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« Quel drone, Jernau ? répondit la maison. Voulez-vous parler de Chamlis ? »

Gurgeh abaissa les yeux sur son terminal.

« Mais non ! Cette petite ordure de chez Contact, ce Loash Armasco-Iap Wu-Handrahen Xato Koum ! Le drone qui était ici à l’instant !

« À l’instant ? » fit alors la maison en mode Stupéfaction.

Les épaules de Gurgeh s’affaissèrent. Il s’assit.

« Tu n’as rien vu, rien entendu de ce qui vient de se passer ?

« Pour moi, il n’y a rien eu d’autre que le silence pendant ces onze dernières minutes, Gurgeh. Depuis que tu m’as demandé de bloquer tous les appels extérieurs. Il y en a eu deux, d’ailleurs, mais…

« Aucune importance, soupira Gurgeh. Appelle-moi Central.

« Ici Central. Sous-section de Mental Makil Stra-bey. Que pouvons-nous faire pour vous, Jernau Gurgeh ? »

Gurgeh contemplait toujours le ciel, en partie parce que c’était là qu’était allé le drone de Contact (le fin sillage de vapeur commençait à s’enfler et à se désagréger), mais aussi parce que, quand on parlait à Central, on avait toujours tendance à regarder dans sa direction.

Il remarqua l’étoile surnuméraire juste avant qu’elle n’entre en mouvement. Minuscule point lumineux, elle se trouvait près de la queue évanescente du sillage du drone, alors éclairé par la face de Chiark. Gurgeh fronça les sourcils. Le point lumineux se mit instantanément à se déplacer, d’abord à une allure modérée, puis trop vite pour que l’œil puisse anticiper sa trajectoire.

Là-dessus, il disparut. Gurgeh resta quelques instants silencieux, puis demanda :

« Central, est-ce qu’un vaisseau de Contact vient de quitter la région ?

« Il s’éloigne en ce moment même, Gurgeh. Il s’agissait de l’Unité Offensive Rapide (Démilitarisée)…

« Zélote, acheva Gurgeh.

« Ah, ah ! C’était donc pour vous ! Nous pensions qu’il nous faudrait des mois pour découvrir le fin mot de l’histoire. Vous venez de vous voir octroyer une Visite Privée, joueur-de-jeux Gurgeh. C’est la façon de faire de Contact. Nous ne sommes pas censés savoir ce qui se passe. Pourtant, on peut vous dire que, question curiosité, on a mis le paquet ! Rudement prestigieux, permettez-nous de vous le dire. Ce vaisseau a freiné pile – alors qu’il allait au moins à quarante kilolumières – et a fait un écart de vingt années… simplement pour bavarder cinq minutes avec vous, à ce qu’il paraît. Une sacrée dépense d’énergie, surtout qu’il repart à la même vitesse. Regardez donc ce bébé filer à toute allure…Ah, oui ! C’est vrai, vous ne pouvez pas le voir. Eh bien, croyez-nous sur parole, nous sommes impressionnés. Ça vous ennuierait de raconter ce qui se passe à une pauvre sous-section de Mental Central ?

« Y a-t-il moyen de contacter ce vaisseau ? poursuivit Gurgeh sans prendre garde à cette requête.

« À l’allure où il s’arrache ? Avec son côté armé pointé droit sur nous, pauvres machines civiles… ? (Le Mental Central avait l’air amusé.) Mmouais… ça ne nous paraît pas impossible.

« Je veux parler à un drone qui se trouve à bord, un certain Loash Armasco-Iap Wu-Handrahen Xato Koum.

« Bordel, Gurgeh ! Dans quelle merde êtes-vous allé vous fourrer ? Handrahen Xato ? C’est de la nomenclature SC équiv-tech de niveau espionnage, ça. Vous parlez d’un pétrin… Merde… On essaie… Un instant. »

Gurgeh attendit quelques secondes en silence.

« Rien à faire, reprit la voix sortant du terminal. Gurgeh, ici Mental Total, et non plus une de ses sous-sections. Je suis là au complet. Ce vaisseau accuse réception, mais prétend qu’il n’y a ni drone ni humain de ce nom à bord. »

Gurgeh s’affaissa dans son fauteuil. Il se sentait la nuque raide. Il détacha son regard des étoiles et le reporta sur sa table.

« Pas possible, fit-il.

« Vous voulez que j’essaie encore ?

« À votre avis, ça servira à quelque chose ?

« Non.

« Alors, laissez tomber.

« Gurgeh, cette histoire me tracasse. Qu’est-ce qui se passe ?

« Si seulement je le savais, fit Gurgeh en fixant à nouveau les étoiles. (Le sillage fantôme du petit drone avait pratiquement disparu.) Passez-moi Chamlis Amalk-ney, voulez-vous ?

« En ligne… Jernau ?

« Quoi donc, Central ?

« Faites attention à vous.

« Ah, oui. Bon, merci. Merci beaucoup. »

« Tu as dû l’énerver, fit la voix de Chamlis par le biais du terminal.

« Fort probable, renchérit Gurgeh. Mais toi, qu’est-ce que tu en penses ?

« Ils voulaient se faire une idée sur toi, dans un but que j’ignore.

« Tu crois ?

« Oui. Mais tu viens de repousser leur proposition.

« Ah bon ?

« Oui, et tu peux t’en féliciter.

« Que veux-tu dire ? C’était pourtant ton idée, non ?

« Écoute, ça ne te concerne plus maintenant. C’est fini. Mais de toute évidence ma requête est allée très haut, et plus vite que je ne l’aurais cru. Nous avons déclenché quelque chose. Seulement, tu les as remballés. Maintenant, ils ne s’intéresseront plus à ton cas.

« Hmm… Tu as sans doute raison.

« Je suis désolé, Gurgeh.

« Ne t’en fais pas pour ça, dit-il à la vieille machine. (Puis il leva les yeux au ciel.) Central ?

« Hé ! Ça nous intéresse aussi. Si ç’avait été purement personnel, on n’aurait pas écouté un seul mot, on le jure. Et puis, le rapport de communications journalier aurait mentionné qu’on était à l’écoute, de toute façon.

« Aucune importance, sourit Gurgeh, étrangement soulagé que le Mental Orbital soit resté à l’écoute. Dites-moi simplement à quelle distance se trouve actuellement cette UOR.

« Au moment où vous avez prononcé le mot : à une minute quarante-neuf secondes de distance ; un mois-lumière, déjà sortie du système et largement en dehors de notre juridiction, nous sommes très heureux de vous l’apprendre. Elle fonce en direction d’un bras légèrement en amont du Noyau Galactique. Tout droit sur le VSG Regrettables Témoignages Contradictoires, apparemment, à moins que l’un des deux n’essaie de berner quelqu’un.

« Merci, Central. Et bonne nuit.

« Bonne nuit. Et cette fois, nous vous laissons seul, c’est promis.

« Encore merci, Central. Chamlis ?

« Tu viens peut-être de rater la chance de ta vie, Gurgeh… Mais à mon avis tu l’as plutôt échappé belle. Je regrette de t’avoir parlé de Contact. Il y a anguille sous roche : ils sont venus trop vite, et ils ont attaqué de manière trop directe.

« Ne te fais donc pas tant de souci, Chamlis, dit-il au drone. (Il regarda une dernière fois les étoiles, puis se rassit et posa les pieds sur la table.) Je m’en suis bien tiré. On s’est débrouillés comme on a pu. Je te vois à Tronze, demain ?

« Peut-être. Je ne sais pas. Je vais réfléchir. Sinon, bonne chance – je veux dire : contre le petit prodige de la Frappe. »

Gurgeh sourit piteusement dans le noir.

« Merci. Bonne nuit, Chamlis.

« Bonne nuit, Gurgeh. »

Chapitre 5

Le train quitta le tunnel pour pénétrer dans la vive clarté du soleil. Il arriva au bout de son virage, puis se lança à l’assaut du pont aux lignes aériennes. Par-delà la rambarde, Gurgeh aperçut des pâturages verdoyants ainsi que le fleuve miroitant qui serpentait au fond de la vallée, cinq cents mètres sous ses pieds. L’ombre des montagnes s’étirait sur les prairies étroites, celle des nuages mouchetait les contreforts et leur tapis de forêt. Le vent chassé par le train ébouriffait ses cheveux tandis qu’il respirait goulûment l’air doux et parfumé de la montagne en attendant le retour de son adversaire. Des oiseaux tournoyaient au-dessus de la vallée, presque au niveau du pont. Leurs cris résonnaient dans l’air immobile, à peine audibles dans le chuintement du train qui filait.