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– Sol, je n'essaie pas de te faire sortir de là.

– Tire-toi!

– Moi aussi j'ai du chagrin.

– Ton chagrin ne vaut rien! Il ne vaut rien, t'entends? T'as même pas le droit d'être là! T'étais pas sa fille! Tire-toi! Bon Dieu, tire-toi!

– Evidemment il ne vaut rien. Suzanne, je l'aimais juste comme ça.

– Ah! Tu vois! hurla Soliman.

– Je lui réparais ses tuyaux et en échange je lui prenais ses légumes et sa gnôle. Et toi, je m'en fous si tu ne sors pas des chiottes. On te passera du jambon sous la porte.

– C'est ça! cria le jeune homme.

– Voilà la situation, Sol. Toi, tu ne sors plus des chiottes. Le Veilleux ne sort plus de la bergerie et Buteil ne sort plus de sa cabane. Plus personne ne sort de nulle part. Les brebis vont toutes crever.

– J'en ai rien à foutre de ces foutues boules de laine! C'est des débiles!

– Mais le Veilleux est vieux. Non seulement il ne sort plus mais il ne bouge plus et il ne parle plus. Il est raide comme son bâton. Le laisse pas choir ou faudra qu'on l'emmène à l'asile des vieux.

– Je m'en branle!

– Le Veilleux est comme ça parce qu'à l'heure où le loup a attaqué, il était dehors. Il n'a pas pu l'aider.

– Et moi je dormais! Je dormais!

Camille entendit Soliman exploser en sanglots.

– Suzanne a toujours voulu que tu dormes beaucoup. Tu lui as obéi. Ce n'est pas de ta faute.

– Pourquoi elle ne m'a pas secoué?

– Parce qu'elle ne voulait pas qu'il t'arrive malheur. Tu étais son prince.

Camille appuya sa main contre la porte.

– C'est ce qu'elle disait, ajouta-t-elle.

Camille remonta vers la bergerie et le gendarme moyen l'arrêta au passage.

– Qu'est-ce qu'il fait? demanda-t-il.

– Il pleure, dit-elle d'un ton las. C'est difficile de parler quand quelqu'un est bouclé dans les toilettes.

– Oui, acquiesça le gendarme, comme s'il avait discuté avec des tas de types bouclés dans les toilettes. La psychologie n'arrive pas, dit-il en consultant sa montre. Je ne sais pas ce qu'ils foutent.

– Le médecin? Qu'est-ce qu'il dit?

– Comme le trappeur. Qu'elle a été égorgée. Egorgée. Entre trois et quatre heures du matin. On ne peut pas encore bien voir l'empreinte des dents. Faudra nettoyer. Mais il dit que c'est flou, que c'est pas comme si ça plantait dans de l'argile, hein?

Camille fit oui.

.- Le Veilleux est toujours là-dedans?

– Oui. On a peur qu'il se momifie.

– Vous pouvez toujours dire aux gens de la psychologie d'aller le voir.

Le gendarme secoua franchement la tête.

– Pas la peine, affirma-t-il. Le Veilleux est dur comme un sac de noix. La psychologie sur lui, ce serait comme pisser sur les arbres.

– Ah bon, dit Camille. Est-ce que ça vous ennuierait de me dire votre nom?

– Lemirail. Justin Lemirail.

– Merci, dit Camille qui reprit son chemin, les bras pendants.

Elle rejoignit Lawrence à la moto, mit son casque en silence.

– Je ne sais plus où j'ai foutu le bocal, murmura-t-elle.

– Je crois que ce n'est pas grave, dit Lawrence.

Camille hocha la tête, enfourcha la moto et serra le Canadien autour du ventre.

X

Lawrence arrêta la moto devant la maison, et attendit sans bouger que Camille en descende.

– Tu ne viens pas? demanda-t-elle. On va faire du café, non?

Lawrence secoua la tête, les mains serrées sur le guidon.

– Tu retournes tout de suite dans le Massif? Tu veux chercher cette saleté de loup?

Lawrence hésita, ôta son casque, secoua ses cheveux.

– Vais voir Massart, dit-il.

– Massart? A cette heure-là?

– Il est déjà neuf heures, dit Lawrence en consultant sa montre.

– Je ne pige pas, dit Camille. Qu'est-ce que tu veux à ce type?

Lawrence fit la moue.

– Je ne comprends pas que le loup ait attaqué, dit-il.

– Eh bien, il l'a fait quand même.

– Le loup a peur de l'homme, continua Lawrence. Il ne l'affronte pas.

– Bon. Il l'a affronté.

– Suzanne était grosse, imposante, gueularde. Déterminée et armée. Il aurait fallu qu'elle l'accule.

– Et bon, c'est ce qu'elle a fait, Lawrence. Elle l'a acculé. Tout le monde sait qu'un loup acculé attaque.

– C'est bien ce qui me tracasse. La grosse en connaissait un rayon. Aurait pas pris le risque d'acculer un loup. Serait passée par-derrière, aurait glissé le fusil par une des fenêtres crevées, et aurait tiré. Voilà ce qu'aurait fait la grosse. Mais entrer dans la bergerie et coincer la bête, God, je ne peux pas me figurer ça.

Camille fronça les sourcils.

– Explique-toi, dit-elle.

– Pas envie. Pas sûr de moi.

– Explique-toi quand même.

– Bullshit. Suzanne a accusé Massart et Suzanne est morte. A bien pu aller voir Massart et lui débiter toute sa salade de loup-garou. N'avait peur de rien.

– Et après, Lawrence? Puisque Massart n'est pas un loup-garou? Qu'est-ce qu'il aurait fait? Il aurait rigolé, non?

– Pas forcément rigolé.

– Massart a déjà mauvaise réputation et les gosses le fuient. Qu'est-ce qu'il a à faire des révélations de Suzanne? On raconte déjà qu'il est glabre, impuissant, pédé, cinglé et je ne sais quoi. Loup-garou, qu'est-ce que ça peut lui foutre? Il est de taille à en supporter d'autres.

– God. Tu ne comprends pas.

– Eh bien explique-toi mieux. Ce n'est pas le moment de bouffer les phrases.

– Massart en a rien à faire des racontars. Ail right. Mais suppose que la grosse ait eu raison? Que ce soit Massart qui ait égorgé les brebis?

– Déraille pas, Lawrence. Tu as dit que tu n'y croyais pas.

– Pas au loup-garou. Non.

– Tu oublies les blessures, bon sang. Ce ne sont pas les dents de Massart, si?

– Non.

– Ah. Tu vois.

– Mais Massart a un chien. Un très grand chien.

Camille tressaillit. Elle avait aperçu le chien sur la place, une haute bête tachetée remarquable, dont la tête massive arrivait à la ceinture de l'homme.

– Un dogue allemand, dit Lawrence. Le plus grand des chiens. Le seul qui puisse égaler ou dépasser la taille d'un loup mâle.

Camille posa sa botte sur le cale-pied de la moto, soupira.

– Pourquoi pas juste un loup, Lawrence? demanda-t-elle doucement. Un vieux loup tout simple? Pourquoi pas Crassus le Pelé? Tu le cherchais hier encore.

– Parce que la grosse lui aurait tiré dans le cul. Par la fenêtre. Je vais voir Massart.

– Pourquoi pas Lemirail?

– Qui est Lemirail?

– Le gendarme moyen.

– God. Trop tôt. On va juste causer, Massart et moi.

Lawrence lança la moto et disparut dans la pente.

Il ne revint qu'à l'heure du déjeuner. Camille, un peu assommée, avait posé sans faim sur la table du pain et des tomates et mangeait en feuilletant le journal de la veille sans le voir. Même le Catalogue de l'Outillage Professionnel n'aurait rien pu faire pour elle aujourd'hui. Lawrence entra sans dire un mot, posa son casque et ses gants sur une chaise, jeta un œil sur la table, ajouta du jambon, du fromage et des pommes, et s'assit. Camille n'essaya pas, comme elle le faisait toujours, de donner le coup d'envoi à la conversation. Si bien que Lawrence mangea en silence, secouant ses cheveux de temps à autre, lui adressant de vagues coups d'œil étonnés. Camille se demanda ce qu'il adviendrait d'eux si elle ne prenait pas l'initiative de la parole. Peut-être qu'ils resteraient assis à cette table quarante années à manger des tomates en silence, jusqu'à ce qu'il y en ait un qui meure. Peut-être. La perspective n'avait pas l'air de déranger Lawrence. Camille céda après vingt minutes.

– Tu l'as vu?

– A disparu.

– Pourquoi «disparu»? Le gars a le droit d'aller faire un tour.