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– Il note peut-être ses chemins de montagne, dit-elle.

Sans un mot, Lawrence se dirigea vers la chambre, souleva le sommier, le matelas, ouvrit les tiroirs de la table de chevet, de la commode, inspecta le petit placard en bois. Cradingue.

Il revint dans la salle en frottant ses mains sur son pantalon.

– Ce n'est pas une carte du coin, dit Camille. C'est une carte de France.

– Quelque chose de marqué dessus?

– Sais pas. On ne voit rien dans cette pièce.

Lawrence haussa les épaules, ouvrit le tiroir de la table, en renversa le contenu sur la toile cirée.

– Bourre ses tiroirs d'un monceau de vieilles merdes, dit-il. Bullshit.

Camille s'approcha de la porte restée grande ouverte et plaça la carte dans la lumière du jour.

– Il a tracé tout un itinéraire au crayon rouge, dit-elle. Depuis Saint-Victor jusqu'à…

Lawrence examina rapidement les objets épars, renfourna le tout dans le tiroir, souffla sur la poussière retombée sur la table. Camille déplia l'autre moitié de la carte.

– … Calais, termina-t-elle. Puis ça enjambe la Manche et ça atterrit en Angleterre.

– Voyage, commenta Lawrence. Aucun intérêt.

– Par les petites routes. Il en a pour des jours.

– Aime les petites routes.

– Et n'aime pas les gens. Qu'est-ce qu'il compte faire en Angleterre?

– Oublie, dit Lawrence. Rien à voir. C'est peut-être déjà vieux.

Camille replia la moitié de la carte, réexamina le coin du Mercantour.

– Viens voir, dit-elle.

Lawrence leva le menton.

– Viens voir, répéta-t-elle. Trois croix au crayon. Lawrence se pencha sur la carte.

– Vois pas.

– Ici, dit Camille en appliquant son doigt. On les remarque à peine.

Lawrence prit la carte, sortit et examina les marques rouges en pleine lumière, sourcils froncés.

– Les trois bergeries, dit-il entre ses dents. Saint-Victor, Ventebrane, Pierrefort.

– Ce n'est pas certain. L'échelle est trop grande.

– Si, dit Lawrence en secouant ses cheveux. Bergeries.

– Et après? Cela montre que Massarl s'intéresse aux attaques, comme toi, comme tous les autres. Il veut voir comment bouge le loup. Vous aussi, dans le Mercantour, vous avez marqué la carte.

– En ce cas, aurait pointé les autres attaques, celles de l'an passé, et celles de l’an d'avant.

– S'il ne s'intéresse qu'au grand loup?

Lawrence replia rapidement la carte, la glissa dans sa veste, referma la porte.

– On s'en va, dit-il.

– La carte? Tu ne la ranges pas?

– On l'emporte. Voir ça de plus près.

– Et les flics? S'ils l'apprennent?

– Qu'est-ce que tu veux qu'ils en branlent de la carte, les flics?

– Tu parles comme Suzanne.

– Je t'ai dit. Elle m'a chauffé la tête.

– Elle t'a trop chauffé la tête. Remets la carte.

– C'est toi, Camille, qui veux protéger Massart. Mieux vaut pour lui qu'on escamote sa carte.

A la maison, Camille ouvrit grands les volets et Lawrence étala la carte de France sur la table en bois.

– Elle pue, cette carte, dit-il.

– Elle ne pue pas, dit Camille.

– Elle pue le gras. Sais pas ce que vous avez dans le nez, vous les Français, pour être jamais gênés.

– On a dans le nez deux mille ans d'histoire pleine d'odeurs de gras. Vous, les Canadiens, vous êtes trop jeunes pour comprendre ça.

– Doit être ça, dit Lawrence. Doit être pour ça que les vieilles nations puent tout le temps. Tiens, ajouta-t-il en lui tendant une loupe, examine ça de près. Je descends chez les flics.

Camille se pencha sur la carte, le regard collé aux routes, et passa lentement la loupe sur tout le secteur du Mercantour.

Lawrence ne revint qu'une heure plus tard.

– Ils t'ont gardé longtemps, dit Camille.

– Ouais. Se demandaient pourquoi je m'inquiétais pour Massart. Comment je savais qu'il avait disparu. Personne ne se soucie de lui dans le pays. Pouvais pas leur parler du loup-garou.

– Qu'est-ce que tu as dit?

– Que Massart m'avait fixé rendez-vous dimanche pour me montrer une grosse empreinte de patte qu'il avait repérée près du mont Vence.

– Pas mal.

– Qu'il n'y avait personne le matin, ni le soir. Que je m'étais inquiété, que j'étais repassé ce matin.

– Ça se tient.

– Se sont inquiétés aussi, au bout du compte. Ont appelé les abattoirs de Digne, personne ne l’a vu. Viennent d'envoyer la brigade de Puygiron, ordre de se déployer tout autour de la baraque. S'ils ne l'ont pas trouvé à deux heures, envoient la brigade d'Entrevaux en renfort. Je voudrais manger, Camille. Je crève de faim. Replie la carte. T'as repéré quelque chose d'autre?

– Quatre autres croix, très légères. Toujours entre la Nationale 202 et le Mercantour.

Lawrence leva le menton, interrogateur.

– Ça tomberait sur Andelle et Anélias, à l'est de Saint-Victor, sur Guillos, à dix kilomètres au nord, et à La Castille, presque à la limite du Parc.

– Colle pas, dit Lawrence. Jamais eu d'attaque dans ces bergeries. Tu es certaine des lieux?

– A peu près.

– Colle pas. Doit signifier autre chose.

Lawrence réfléchit.

– Peut-être là qu'il pose ses pièges, proposa-t-il.

– Pourquoi les pointer sur la carte?

– Inscrit ses prises. Repère les bons endroits. Camille hocha la tête, replia la carte.

– On va déjeuner au café de la place, dit-elle, il n'y a plus rien ici.

Lawrence fit la moue, vérifia le contenu du réfrigérateur.

– Tu vois, dit Camille.

Lawrence était un homme de solitude, il n'aimait pas s'immerger dans les lieux publics, et surtout pas déjeuner dans les cafés, entendre le fracas des couverts et des mastications et manger devant les autres. Camille aimait le bruit et, des qu'elle le pouvait, elle traînait Lawrence au café de la place, où elle allait presque chaque jour quand le Canadien disparaissait dans le Mercantour.

Elle s'approcha de lui, posa un baiser sur ses lèvres.

– Viens, dit-elle.

Lawrence la serra contre lui. Camille s'échapperait s'il l'isolait du reste du monde. Mais ça lui coûtait.

Larquet, le frère du cantonnier, entra dans le café à la fin du repas, congestionné et haletant. Les conversations s'interrompirent. Larquet ne mettait jamais les pieds au café, il emportait une gamelle et mangeait sur la route.

– Qu'est-ce qui t'arrive, vieux père? demanda le patron. T'as vu la Vierge?

– J'ai pas vu la Vierge, pauvre con. J'ai vu la femme du veto qui remontait de Saint-André.

– Sûr que c'est tout le contraire, dit le patron.

La femme du vétérinaire était infirmière et piquait les fesses de tous les environs de Saint-Victor. Elle était très demandée, parce qu'elle était si douce qu'elle piquait sans qu'on s'en aperçoive. D'autres disaient que c'est parce qu'elle couchait avec tous les types acceptables dont elle piquait les fesses. D'autres, plus charitables, disaient que ce n'était pas de sa faute si elle piquait des fesses, que ce n'était pas un boulot si marrant que cela, qu'on veuille bien se mettre à sa place une minute.

– Et alors? demanda le patron. Elle t'a violé dans le fossé?

– T'es vraiment qu'un pauvre taré, dit Larquet en reniflant de mépris. Tu veux que je te dise, Albert?

– Dis toujours?

– Elle refuse de te piquer les fesses, et c'est ça que tu peux pas endurer. Si bien que tu salis tout, parce que tu sais rien faire d'autre.

– T'as fini ton prêche? demanda le patron, un éclair de rage dans les yeux.

Albert avait des yeux bleus très petits, perdus dans un large visage brique, il n'était pas spécialement engageant.

– J'ai fini, oui, seulement parce que je respecte ta femme.

– Ça suffit, dit Lucie en posant la main sur le bras de son mari. Qu'est-ce qu'il y a, Larquet?