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– Dangereuse?

– Très.

– Ça m'arrange de ne pas vous citer. Prenez garde à vous, mon vieux.

Le lendemain matin, un lundi, presque toute la presse faisait sa une du loup-garou. Soliman revint en sueur de la ville, balança sa mobylette sur le bas-côté, jeta le pain frais et une brassée de journaux sur la caisse en bois.

– Tout est dans ces putain de journaux! cria-t-il. Tout! Une catastrophe! Une fuite monumentale! Putain de flics et putain de journaux! Le loup-garou, les brebis, les victimes, tout y est! Même la carte! L'itinéraire! Il n'y a que le nom de Massart qui ne soit pas cité! C'est foutu! C'est cuit! Massart va se barrer dès qu'il aura lu ça. Il est peut-être déjà en train de se barrer! Il nous échappe, bon sang de merde! Faudrait contrôler les frontières, bloquer les routes! Connards de flics! Elle avait raison, ma mère! Connards de flics!

– Calme-toi, Soliman, dit Adamsberg. Bois ton café.

– Vous ne comprenez pas? cria le jeune homme. Ce n'est plus un filet qu'on lui tend, c'est un tapis rouge pour qu'il puisse s'envoler!

– Calme-toi, répéta Adamsberg. Montre ça.

Adamsberg déplia les journaux, en passa un à Camille, un au Veilleux. Il hésita, puis il en posa un sur les pattes d'Interlock.

– Tiens, le chien, lis ça.

– Est-ce que c'est tellement le moment de rire? demanda Soliman, mauvais, en plissant les yeux. Est-ce que c'est tellement le moment de rire quand Massart va se barrer et que ma mère va rester coincée dans le marigot puant?

– On n'est sûr de rien, pour le marigot, dit le Veilleux.

– Oh merde, le vieux! cria Soliman. Tu ne comprends toi rien loi non plus?

Le Veilleux leva son bâton et toucha sans violence Soliman à l'épaule.

– Ta gueule, Soi, dit-il. Respecte.

Soliman se tut, souffla et s'assit, un peu étourdi, les bras ballants. Le Veilleux lui versa un café.

Camille examinait les journaux, parcourant les gros titres Un loup-garou se dirige vers Paris – Retour de la lycanthropie – La Bête du Mercantour guidée par un dément - La course folle de l'homme au loup.

Plusieurs d'entre eux révélaient le détail de l'itinéraire rouge tracé par Massart, accompagné d'une carte. Des étoiles signalaient les lieux des précédents massacres. Après avoir ravagé les Alpes-Maritimes, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Isère et l'Ain, où elle a fait sa dernière victime, la bête, partie du Mercantour voici neuf jours, se dirigerait à présent plein nord. Menée par un psychopathe sanguinaire atteint de lycanthropie, l'animal longerait par trente kilomètres à l'ouest l'Autoroute du Soleil jusqu'à la hauteur de Chaumont avant d'obliquer plein ouest vers la capitale, via Bar-sur-Aube et Provins. On suppose que l'homme procède par petites étapes, de soixante à deux cents kilomètres, et qu'il se déplace de nuit, accompagné d'un loup et d'un dogue allemand, probablement au volant d'une fourgonnette aux vitres aveugles. Il aurait à ce jour trois victimes à son actif et aurait égorgé plus de quarante brebis. Il est conseillé à tous les éleveurs d'ovins de mettre en place un dispositif dissuasif visant à protéger le cheptel, chien de garde ou clôture électrifiée. Il est expressément recommandé à toutes les personnes, hommes et femmes, résidant en bordure ou à proximité immédiate des départementales signalées, d'éviter de sortis non accompagnées après la tombée de la nuit. Toute personne susceptible de fournir une information de nature à aider la police dans ses investigations est priée de contacter la gendarmerie ou le poste de police le plus proche de son domicile.

Camille reposa le journal, désolée.

– La fuite vient des flics, dit-elle. Ils ont convoqué la presse. Soliman n'a pas tort. Si Massart a trois grains de bon sens, il va disparaître avant qu'on ait eu le temps de souffler.

– Les flics ont cru bien faire, dit le Veilleux. Ils ont préféré alerter les populations pour éviter de nouvelles victimes. Tendre un piège à Massart, c'est exposer des vies. On peut comprendre.

– Que dalle, dit Soliman. C'est une énorme connerie. Je voudrais tenir le taré qui a lâché tout ça.

– C'est moi, dit Adamsberg.

Il se fit un pesant silence dans le camion. Adamsberg se pencha vers le chien et lui extirpa le journal déchiré hors des crocs.

– Interlock a bien aimé ça, dit-il en souriant. Vous devriez vous fier au chien. Ça a beaucoup de flair, les chiens.

– Je ne peux pas le croire, dit Soliman, atterré. Je ne peux pas le croire.

– Tu ferais aussi bien de le croire, dit doucement Adamsberg.

– Fais pas répéter, dit le Veilleux. Puisqu'il te le dit.

– J'ai appelé l'AFP hier, dit Adamsberg, et je leur ai raconté exactement ce que j'ai voulu.

– C'est quoi l'AFP? demanda le Veilleux.

– Une sorte d'énorme brebis de tête pour les journalistes, expliqua Soliman. Tous les journaux suivent ce que dit l'AFP.

– Bien, dit le Veilleux. J'aime bien comprendre.

– Mais l'itinéraire? dit Camille, tendue. Pourquoi tu leur as filé l'itinéraire?

– Justement. C'est surtout l'itinéraire que je voulais leur donner.

– Pour que Massart se barre? demanda Soliman. C’est cela? C'est cela, un flic sans principes?

– Il ne se barrera pas.

– Et pourquoi ça?

– Parce qu'il n'a pas terminé son boulot.

– Quel boulot?

– Son boulot. Son boulot de tueur.

– Il va aller le faire ailleurs, son boulot! cria à nouveau Soliman en se dressant. En Amazonie, en Patagonie, aux Hébrides! II y en a partout des ovins!

– Je ne parle pas des ovins. Je parle des hommes.

– Il en tuera ailleurs.

– Non. C'est ici, son boulot.

Il y eut un nouveau silence.

– On ne comprend pas, dit Camille, résumant l'impression générale. Tu sais ces choses ou bien tu les penses?

– Je ne sais rien, dit Adamsberg. Je veux voir. J'ai déjà dit que l'itinéraire de Massart était précis et compliqué. A présent que sa route est connue et qu'il est recherché, il a tout intérêt à en changer.

– Et il va en changer! dit Soliman. Il est en train d'en changer!

– Ou pas, dit Adamsberg. C'est le point névralgique de l'histoire. Tout repose là-dessus. Va-t-il s'écarter de son itinéraire? Ou va-t-il s'y tenir? Tout est là.

– S'il s'y tient? dit Camille.

– Ça changera tout.

Soliman eut une moue d'incompréhension.

– S'il s'y tient, expliqua Adamsberg, c'est qu'il n'a pas le choix. C'est qu'il doit suivre cette route, c'est qu'il ne peul pas faire autrement que de la suivre, quels que soient les risques.

– Et pourquoi? dit Soliman. Folie? Hantise?

– Nécessité, calcul. En ce cas, il ne serait plus question de hasard. Ni pour la mort de Sernot ni pour celle de Deguy.

Soliman secoua la tête, incrédule.

– On divague, dit-il.

– Évidemment, dit Adamsberg. Qu'est-ce qu'on sait faire d'autre?

XXIX

Avec les nouvelles du matin, la pression se relâcha d'un coup sur les gardes du Mercantour. On décréta aussitôt une relâche dans le suivi des deux meutes.

Lawrence faisait route vers Camille, poussant sa moto. Des jours et des nuits qu'il ne l'avait pas vue. Tout lui manquait. Sa parole, son visage, son corps. Il avait vécu des moments harassants, et il avait besoin d'elle. Camille le sortait du silence, de l'emmurement.

Le Canadien se faisait du souci. On ne lui avait accordé aucune prolongation de visa. La mission dans le Mercantour était plus qu'achevée et il ne voyait aucun moyen de la faire reconduire au-delà de son terme. Dans à peine deux mois, le 22 août, il devrait partir. On l'attendait chez les grizzlis. Ni lui ni Camille n'avaient discuté de cette échéance, de ce qu'il adviendrait d'eux. Lawrence se figurait mal reprendre la vie sans elle. Cette nuit, s'il pouvait, s'il osait, il lui demanderait de venir à Vancouver. Bullshit. Les femmes l'impressionnaient tant.