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On entendit des séries d'aboiements au loin. Lawrence se raidit.

– Les gendarmes qui le cherchent, dit-il en ricanant. Peuvent toujours, le trouveront pas. Était cette nuit à Guillos, sera demain à La Castille. C'est lui qui tue. Lui qui tue, Camille, avec Crassus.

Camille fit un mouvement pour parler, et renonça. Elle ne voyait plus quoi dire pour soutenir Massart

– Avec Crassus, reprit Lawrence. En cavale. Égorgera brebis, femmes, enfants.

– Mais pourquoi, bon Dieu ? murmura-t-elle.

– Parce qu'il n'a pas de poils.

Camille lui jeta un regard incrédule.

– Et ça l'a rendu fou, compléta Lawrence. On va chez les flics.

– Attends, dit Camille en le retenant par le bras.

– Quoi ? Tu veux qu'il attaque d'autres Suzannes ?

– Attendons jusqu'à demain. Voir si on le retrouve. Je t'en prie.

Lawrence hocha la tête et remonta la rue en silence.

– Augustus n'a rien bouffé depuis vendredi, dit-il. Jemonte au Massif. Serai là demain midi.

Le lendemain à midi, Massart n'avait pas été retrouvé. Aux informations de treize heures, on annonça deux brebis égorgées à La Castille. Le loup se déplaçait vers le nord.

A Paris, Jean-Baptiste Adamsberg nota l'information. Il s'était procuré une carte d'état-major du Mercantour, qu'il avait fourrée dans le dernier tiroir de son bureau, un tiroir dévolu aux questions confuses et aux manœuvres aléatoires. II souligna en rouge le nom de La Castille. Hier, il avait souligné Guillos. Il contempla longuement la carte, la joue calée sur sa main, méditatif.

Son adjoint Danglard le regardait faire, un peu désolé. Il ne comprenait pas qu'Adamsberg s'intéresse à ce point à cette histoire de loup, alors qu'une complexe affaire d'homicide rue Gay-Lussac était en cours – un cas de légitime défense un peu trop idéal pour être vrai – et qu'une tueuse folle à lier avait fait serment de lui tirer une bonne petite balle dans le bide. Mais il en avait toujours été ainsi : Danglard n'avait jamais pu saisir la logique singulière qui guidait les choix d'Adamsberg. Pour lui d'ailleurs, il ne s'agissait en aucun cas de logique, mais d'une anarchie perpétuelle tissée de songes et d'instincts, et qui menait, par des voies inexpliquées, à des réussites indéniables. Cependant, suivre Adamsberg dans les cheminements de ses pensées était au-delà de ses forces nerveuses. Car non seulement ces pensées étaient de nature incertaine, à mi-chemin entre l'état gazeux, liquide et solide, mais elles s'aggloméraient sans cesse à d'autres pensées sans qu'aucun lien raisonnable ne préside à ces unions. Et pendant que Danglard, avec son esprit aiguisé, triait, classait, sériait et extrayait des solutions méthodiques, Adamsberg mêlait les niveaux d'analyse, inversait les étapes, dispersait les cohérences, jouait avec le vent. Et au bout du compte, avec sa formidable lenteur, extirpait une vérité du chaos. Danglard supposait donc que le commissaire possédait – comme on le dit des malheureux ou des grands esprits – une « logique à lui ». Il s'efforçait depuis des années de s'en accommoder, déchiré entre admiration et exaspération.

Car Danglard était un homme déchiré. Tandis qu'Adamsberg avait été coulé en une fois – et un peu à la hâte sans doute – mais d'une seule matière, autonome et mouvante, n'offrant au réel que des prises provisoires. Curieusement, c'était un type facile à vivre. Sauf pour tous ceux, bien entendu, qui avaient voulu mettre la main dessus. Il y en avait. Il y a toujours des gens qui veulent vous mettre la main dessus.

Le commissaire mesura avec les doigts la distance entre Guillos et La Castille, puis la reporta à partir de La Castille, cherchant le prochain point d'impact de ce loup sanguinaire errant en quête de terres nouvelles. Danglard le regarda faire pendant quelques minutes. Adamsberg était capable, au sein même du monde vaporeux et parfois visionnaire de ses pensées, d'une déconcertante rigueur technique.

– Quelque chose qui cloche avec ces loups ? tenta Danglard.

– Ce loup, rectifia Adamsberg. Il est tout seul mais il compte pour dix. Un mangeur d'hommes insaisissable.

– Et ça nous regarde ? D'une manière ou d'une autre ?

– Non, Danglard. Comment voudriez-vous que ça nous regarde ?

Danglard se leva, examina la carte par-dessus l'épaule du commissaire.

– Pourtant, ajouta Adamsberg à mi-voix, il faudra bien que quelqu'un s'en occupe, un jour ou un autre.

– La fille, coupa Danglard, Sabrina Monge, a repéré lasortie par les caves. On est grillés.

– Je sais.

– Faut la bloquer avant qu'elle ne vous descende.

– On ne peut pas l'arrêter. Il faut qu'elle me tire dedans, qu'elle me rate, qu'on la ramasse. Après ça, on pourra travailler. Des nouvelles du gosse ?

– Une piste en Pologne. Ça peut être encore long. Elle nous coince.

– Non. Je vais m'en aller, Danglard. Ça nous donnera le temps de trouver le gosse sans qu'elle me tire une bonne petite balle dans le bide.

– Vous tirer où ?

– On va bientôt le savoir. Dites-moi où crèche le commanditaire du meurtre de la rue Gay-Lussac, si c'est bien ce qu'on croit ?

– En Avignon.

– Alors c'est là que je vais. Je vais en Avignon. Personne n'a à le savoir, hormis vous. La PJ. a donné son feu vert. Je dois pouvoir opérer tranquille sans avoir Sabrina aux fesses.

– Compris, dit Danglard.

– Gaffe, Danglard. Quand elle s'apercevra que j'ai disparu, elle tendra ses pièges. Et c'est une fille douée. Pas un mot à personne, même si ma propre mère vous appelle en gémissant. Sachez que ma mère ne gémit jamais, pas plus qu'aucune de mes cinq sœurs. Vous seul, Danglard, aurez mon numéro.

– Pendant votre absence, est-ce que je dois continuer la carte ? demanda Danglard en pointant la main vers le bureau.

– Mais non, mon vieux. Je m'en balance de ce loup.

XIII

À la gendarmerie de Puygiron, Lawrence exigea de s'entretenir avec le plus haut gradé de la brigade. L'appelé de service qui était à l'accueil y mettait de la mauvaise grâce.

– C'est un quoi, votre supérieur ? demanda Lawrence.

– C'est un type qui vous enverra balader plus vite que ça si vous causez des ennuis.

– Non, je vous demande son grade. Son titre ? Comment ça s'appelle ?

– Ça s'appelle l'adjudant-chef.

– Eh bien c'est ça que je veux : l'adjudant-chef.

– En quel honneur vous voulez voir l'adjudant-chef ?

– Parce que j'ai une histoire infernale à raconter. Tellement infernale que quand je vous l'aurai dite, vous m'enverrez voir votre officier, et quand l'officier l'aura entendue, il m'adressera au chef. Le chef estimera que ça sort de sa compétence, et il m'adressera à l'adjudant-chef. Mais moi, j'ai du boulot. Je ne vais pas raconter ça quatre fois, je vais directement voir l'adjudant-chef.

L'appelé fronça les sourcils, troublé.

– Qu'est-ce qu'elle a de si infernal, cette histoire ?

– Ecoute, gendarme, dit Lawrence, tu sais ce que c'est qu'un loup-garou ?

Le gendarme eut un sourire.

– Ouais, dit-il.

– Eh bien ne ris pas, parce que c'est une histoire de loup-garou.

– Je crois que ça sort de ma compétence, dit finalement l'appelé.