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– On ne se fera pas prendre, dit Soliman en levant le menton d'un mouvement fier.

– Si. Vous vous ferez prendre. Mais ce n'est pas mon affaire, dit soudain Camille en les regardant tour à tour. Je ne sais pas pourquoi vous êtes venus me raconter ça mais je ne voulais pas le savoir et je ne discute pas avec les vengeurs, les assassins et les ouvreurs de bide.

Elle alla à la porte et l'ouvrit.

– Salut, dit-elle.

– Tu n'as pas compris, dit Soliman d'une voix redevenue hésitante. On s'est mal compris.

– M'en fous.

– On a du chagrin.

– Je sais.

– Il peut en tuer d'autres.

– C'est l'affaire des flics.

– Les flics ne bougent pas.

– Je sais. On a déjà dit tout ça.

– Alors, le Veilleux et moi…

– Vous allez lui coller au cul. J'ai bien saisi, Sol. J'ai bien saisi toute l'opération.

– Pas toute, Camille.

– Il manque une bricole ?

– Il manque toi. On ne t'a pas expliqué que tu faisais partie de l'opération. Tu pars avec nous.

– Enfin… ajouta poliment le Veilleux, si vous voulez bien.

– C'est une blague ? dit Camille.

– Explique-lui, commanda le Veilleux à Soliman.

– Camille, dit Soliman, tu ne veux pas lâcher cette foutue porte et venir t'asseoir ? T'asseoir là avec nous, entre amis ?

– On n'est pas entre amis. On est entre assassins et plombier.

– Mais tu ne veux pas venir t'asseoir ? Entre assassins et plombier ?

– Vu comme ça, dit Camille.

Elle claqua la porte et s'assit sur un tabouret, face aux deux hommes, les coudes sur la table.

– Voilà, dit Soliman. Moi et le Veilleux, on va lui coller au cul.

– Bon, dit Camille.

– Mais pour ça, faudrait déjà pouvoir avancer. On ne va pas y aller à pied, pas vrai ?

– Allez-y comme vous voulez. A pied, à ski, à dos de mouton, qu'est-ce que tu veux que ça me foute ?

– Massart, continua Soliman, a sûrement pris une voiture.

– Pas la sienne en tous les cas, dit Camille. La fourgon nette est restée là-haut.

– Il est pas stupide, le vampire. Il a pris une autre voiture.

– Très bien. Il en a pris une autre.

– Alors nous, on le suit en voiture, tu saisis ?

– Je saisis. Tu lui colles au cul.

– Mais on n'a pas de voiture.

– Non, dit le Veilleux. On n'en a pas.

– Eh bien prends-en une. Celle de Massart par exemple.

– Mais on n'a pas de permis.

– Non, dit le Veilleux. On n'en a pas.

– Où veux-tu en venir, Sol ? Je n'ai pas de voiture non plus. Et Lawrence n'a qu'une moto.

– Mais nous, on a un camion, dit Soliman.

– Tu parles de la bétaillère ?

– Ouais. Tu le dirais peut-être pas, mais c'est un camion.

– Eh bien parfait, Sol, dit Camille en soupirant. Prends la bétaillère et colle-lui au cul et bon vent.

– Mais c'est comme je te le disais, Camille. On n'a pas le permis.

– Non, dit le Veilleux.

– Tandis que toi, tu l'as, le permis. Et t'as déjà conduit des poids lourds.

Camille les regarda l'un et l'autre, incrédule.

– T'as mis du temps à me comprendre, dit Soliman.

– Je n'ai pas envie de te comprendre.

– Alors je t'explique plus à fond.

– Laisse le fond tranquille. Je ne veux pas en entendre plus.

– Ecoute ça, écoule au moins ça : tu conduirais le camion, et tu n'aurais à t'occuper de rien d'autre, tu comprends ? Juste conduire le camion. Moi et le Veilleux, on se chargerait de tout le reste. Conduire, Camille, on ne te demande que ça, conduire. Tu serais sourde et aveugle.

– Et abrutie.

– Aussi.

– Si j'ai bien saisi l'idée générale, récapitula Camille, je conduirais le camion, toi et le Veilleux seriez assis à mes côtés pour m'encourager, on rattraperait Massart, je lui roulerais dessus par mégarde, le Veilleux lui ouvrirait le ventre depuis la gorge jusqu'aux couilles, manière d'avoir la conscience, au net, on déposerait les bouts dans une gendarmerie et on rentrerait tous ici se restaurer avec un bon bol de soupe au lard ?

Soliman s'agita.

– Ce n'est pas exactement ça, Camille…

– Mais disons qu'il y a de ça, termina le Veilleux.

– Trouvez quelqu'un pour conduire la bétaillère, dit Camille. Qui la conduit d'habitude ?

– Buteil. Mais Buteil restera aux Ecarts pour s'occuper des bêtes. Et Buteil a une femme et deux enfants.

– Tandis que moi j'ai rien.

– Si tu veux.

– Trouve quelqu'un d'autre pour ton road-movie à la con.

– Ton quoi ? demanda le Veilleux.

– Ton roade-mouvie, expliqua Soliman. C'est de l'anglais. Ça signifie une sorte de déplacement sur route.

– Bien, dit le Veilleux, perplexe. J'aime bien comprendre.

– Personne au village ne voudra nous donner un coup de main, Camille, reprit Soliman. Tout le monde s'en branle, de Suzanne. Mais toi tu l'aimais bien. Le gendarme Lemirail aussi, mais on ne peut pas demander ça à Lemirail, pas vrai ?

– On ne peut pas, dit le Veilleux.

– Ne joue pas avec les sentiments, Sol, dit Camille.

– Avec quoi veux-tu que je joue ? Je suis honnête, Camille : je joue avec tes sentiments et je joue avec ton permis B. Si tu ne nous aides pas, l'âme de Suzanne va rester coincée dans ce fichu marigot puant.

– Ne me casse pas la tête avec ce marigot, Sol. Ressers de l’eau-de-vie et laisse-moi réfléchir.

Camille se leva et alla se poster face à la cheminée éteinte, tournant le dos aux deux hommes. L'âme de Suzanne dans le marigot, Massart en route avec sa folie glabre, les flics immobiles. Ramener Massart, lui ôter les crocs. Oui, pourquoi pas ? Conduire le camion, quelque quarante mètres cubes, sur les routes en lacet. Eventuellement.

– C'est un quoi, le camion ? demanda-t-elle en se retournant vers Soliman.

– Un 508 D, dit Sol, moins de trois tonnes cinq. T'as pas besoin du permis poids lourd.

Camille reporta son regard vers la cheminée, le silence se réinstalla. Donc, conduire le camion. Sortir Soliman et le Veilleux de la tourmente, apaiser Lawrence et ses loups. Pousser le camion jusqu'aux basques de l'égorgeur. Ridicule. Aucune chance, une vraie foutaise. Alors quoi ? Rester ici, attendre les nouvelles, manger, boire, s'occuper des drames inexpliqués des campagnols, attendre Lawrence. Attendre, attendre. S'emmerder. Craindre. Verrouiller le soir de peur de voir surgir Massart. Attendre.

Camille revint à la table, prit son verre, trempa ses lèvres.

– Le camion m'intéresse, dit-elle. Suzanne m'intéresse, Massart m'intéresse, mais pas sa dépouille. Je le rapporte entier ou je ne le rapporte pas. A vous de voir. Si je prends le camion, Massart revient intact, en supposant qu'on ait la moindre chance de le retrouver. Sinon, vous le rapportez en bouillie de poils si ça peut vous détendre, mais sans moi.

– Tu veux dire qu'on le remet gentiment aux flics ? dit Soliman d'un air peiné.

– Ce serait légal. Fendre un type en deux morceaux dépasse le seuil de violence consenti entre voisins.

– Nous, on s'en branle du plafond légal, dit le jeune homme.

– Je suis au courant. C'est pas la question de la loi. C'est la question de la vie de Massart.

– Ça revient au même.

– En partie.