– Des grizzlis, rectifia Adamsberg.
– “Des grizzlis. La nouvelle du retour des loups dans les Alpes françaises parvint dans le milieu des naturalistes canadiens alors que John Padwell venait de décéder subitement. Stuart y vit un signe et l'occasion d'accomplir enfin sa mission – citation -, et travailla un an à en ajuster chacune des pièces. Il se fit envoyer dans le Parc naturel du Mercantour, mission qu'il obtint avec une grande facilité au vu de sa renommée. Il fit halte à Paris en décembre – les dates, mon vieux, les dates -, où il acheva sa documentation sur les légendes du loup-garou en France et où il rencontra Camille Forestier. Il encouragea la jeune femme à l'accompagner, autant parce qu'il s'était attaché à elle – citation – que parce qu'un homme seul suscite dans les villages commentaires et curiosité – citation toujours. Depuis Valberg, Alpes-Maritimes, où il s'installa provisoirement, il se mit en quête d'un bouc émissaire. Il repéra trois candidats pour ce rôle – je cite – et jeta son dévolu sur Auguste Massart, domicilié à Saint-Victor-du-Monl, Alpes-Maritimes, où il s'installa – vers janvier, date à vérifier. Il demeura six mois à Saint-Victor, y prenant le temps nécessaire pour se renseigner sur Massart, et assurer sa réputation et la réussite de son entreprise. II enclencha l'opération le mardi 16 juin en égorgeant plusieurs brebis dans la nuit, à la bergerie de Ventebrune, puis au cours des nuits suivantes à Pierrefort et à Saint-Victor – les dates, mon vieux -, à l'aide d'un crâne de loup du Canada aux dénis préalablement aiguisées. Le samedi 20 juin, il lança la rumeur d'un loup-garou en la personne d'Auguste Massart, sur la foi du pseudo-témoignage de Suzanne Rosselin, éleveur à Saint-Victor. Dans la nuit du samedi au dimanche 21 juin, il drogua sa compagne Camille Forestier, quitta son domicile, assassina Auguste Massart, qu'il enterra avec ses vêlements de montagne et son chien, puis égorgea Suzanne Rosselin. Il abandonna au domicile de Massart une carte routière surlignée, afin de mettre en évidence les liens supposés de Massart et des bêles égorgées. Après avoir successivement frappé les bergeries de Guillos et de… – le nom, mon vieux ?
– La Castille.
– “… et de La Castille, il contacta l'adjudant-chef Brévant et lança aux trousses de l'homme au loup Soliman Diawara, fils adoptif de Suzanne Rosselin, et Philibert Fougeray, dit le Veilleux, berger à Saint-Victor. Sa compagne Camille Forestier les accompagnant. Il égorgea successivement Jacques-Jean Sernot à Sautrey, Isère, dans la nuit du 24 au 25 juin, et Fernand Deguy à Bourg-en-Bresse, Ain, dans la nuit du 27 au 28 juin. Il aiguilla l'enquête vers un hôtel de Combes où il déposa deux ongles et un cheveu prélevés sur le corps de Massart. Il égorgea à la suite Paul Hellouin à Belcourt, Haute-Marne, dans la nuit du 2 au 3 juillet, ponctuant sa route de massacres d'ovins perpétrés à… – vous me donnerez la liste, mon vieux, je m'y perds, franchement je m'y perds -, destinés à accréditer la culpabilité de l’homme-loup. Il perpétra ses meurtres suivant un modus operandi toujours similaire, se déplaçant en moto pour tuer, protégé par l'alibi de sa présence dans le Mercanlour, où, en vertu de l'étendue du territoire désert, cette dite présence était invérifiable. Il y fit néanmoins trois brèves incursions par sécurité -je cite l'inculpé – et y préleva au cours de sa dernière visite les poils de loup qui furent retrouvés sur Paul Hellouin. Dans la soirée du dimanche 5 au lundi 6 juillet, à Châteaurouge, Haute-Marne, menacé par l'enquête menée par le commissaire Adamsberg sur le dossier Padwell, il l'attaqua au lieu-dit le Camp du Tonrlu, agression contrecarrée par l'intervention de Soliman Diawara. Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg reconnaît avoir sciemment lancé un projectile en direction de Stuart D. Padwell, le visant à la tête, et provoquant une blessure constatée sans gravité, selon examen réalisé par le Dr Vian à l'hôpital de Montdidier, le lundi 6 juillet à 1 h 50 du matin. Arrestation de l'inculpé par l'adjudant-chef Lionel Fromentin, opérée ce même lundi 6 juillet à 1 h 10 du matin.” Hermel coupa l'enregistrement.
– J'ai oublié quelque chose ?
– Crassus le Pelé et Augustus.
– C'est qui ces types ?
– Deux loups. Laurence a dû faire disparaître le premier dès son arrivée. A moins que Crassus n'ait disparu tout seul, c'est possible. C'était le plus grand d'une meute. Augustus était un vieillard qu'il avait pris sous son aile. Pendant son équipée, il n'a pas pu le nourrir et le vieux en est mort. Laurence en a conçu beaucoup de tristesse.
– Il assassine cinq personnes et il a de la peine pour un loup ?
– C'était son loup.
XXXV
Adamsberg regagna le camion à plus d'une heure du matin. Assise en tailleur sur son lit, Camille consultait le Catalogue de l'Outillage Professionnel avec une lampe de poche. Adamsberg s'assit à côté d'elle, examina la page des perceuses-ponceuses.
– Qu'est-ce que tu peux bien chercher là-dedans ? dit-il.
– Du réconfort.
– À ce point ?
– Tout est aléa, confusion et précarité, sauf le Catalogue.
– Tu es certaine de ça ?
Camille haussa les épaules, sourit brièvement.
– On transfère Laurence à Paris demain, dit Adamsberg. Je rentre avec lui.
– Comment est-il ?
– Comme les autres jours. Paisible, il trouve que les gendarmes puent la sueur.
– Et c'est vrai ?
– Bien sûr que c'est vrai.
– Je lui écrirai quelque chose. Quand je serai dans la montagne.
– Tu retournes à Saint-Victor ?
– Je les raccompagne aux Écarts. Je rentre aussi.
– Oui.
– C'est moi qui conduis.
– Oui, bien sûr.
– Ils ne savent pas conduire.
– Oui. Fais bien attention à cette route.
– Oui.
– Sois prudente.
– Je serai prudente.
Adamsberg passa son bras valide autour des épaules de Camille et la regarda en silenee, dans la lueur de la lampe de poche.