Voici vingt mille ans, une civilisation scientifique et technicienne conçut le projet de domestiquer le vent solaire. On construisit, en plusieurs lieux de la terre, de monumentaux isolateurs en forme de pyramide. Au sommet de ceux-ci se trouvait quelque chose comme un super-laser. Ces instruments devaient, longtemps après, hanter la mémoire abîmée des générations survivantes. Sans comprendre, les hommes construisaient des pyramides et plaçaient parfois au sommet des pierres miroitantes, enchâssées dans du métal.
L'expérience fut tentée. Mais la puissance arrachée au soleil balaya l'ambitieuse civilisation, foudroya ce monde qui vit « le ciel se rouler sur lui-même comme un parchemin et la lune devenir comme du sang ».
Les grands isolateurs furent volatilisés. En leur lieu, un peu partout en Afrique, en Australie, en Égypte, on devait, beaucoup plus tard, au XXe siècle de notre ère, découvrir des projections constituées par du verre soumis à une énorme température et bombardé de particules à haute énergie : les tectites.
Y eut-il des survivants parmi les détenteurs du savoir ? Peut-être certains avaient-ils été placés à l'abri de profondes cavernes. Peut-être d'autres voyageaient-ils alors dans l'espace ? La situation, après la grande catastrophe, n'était pas seulement désastreuse géologiquement (continents effondrés ou submergés) elle l'était aussi biologiquement. Le bombardement de l'atmosphère avait créé une quantité notable de carbone radio-actif. Absorbé par les animaux et les hommes il devait produire des mutations et provoquer l'apparition d'hybrides fantastiques. Ces hybrides, centaures, satyres, hommes-oiseaux, travailleront longtemps la mémoire humaine, jusqu'aux temps historiques de la Grèce et de l'Égypte. Les survivants avisés se trouvaient confrontés à un problème technique urgent : éliminer le carbone 14. Ils furent amenés à organiser un gigantesque lavage de l'atmosphère par pluies artificielles tout en préservant suffisamment d'humains et d'espèces animales non mutées. Parmi les méthodes de protection figura notamment la circoncision. L'hémophilie, produit d'une mutation défavorable se transmettant par la femme et affectant surtout l'homme, la circoncision est sélective. Cette pratique, instituée pour le salut génétique, devait être poursuivie, mais sans connaissance de cause, durant des millénaires, par de multiples peuples un peu partout dans le monde…
Voilà donc une petite tentative pour décrypter les traditions et expliquer les choses sans recourir à l'occultisme. Est-ce une bonne piste ? Nous n'en sommes pas sûrs du tout. Mais nous espérons qu'un homme viendra qui, avec la foi d'un Schliemann et le génie synthétique d'un Darwin, rassemblera des éléments épars de vérité et écrira l'histoire d'avant l'histoire.
Si vous nous dites : voilà une hypothèse énorme et infantile. Y croyez-vous ? Nous répondrons que nous ne croyons pas à la fable, mais à sa morale.
Et puis, nous avons choisi cette fable parce qu'elle illustre la façon réaliste-fantastique d'aborder de tels problèmes, et esquisse des directions de réponse à plusieurs questions actuelles.
Situer aux environs de moins vingt mille ans la grande catastrophe tient compte des anomalies qui se produisent dans la datation par le carbone 14. Quand la méthode du carbone 14 apparut, on put croire que l'archéologie allait devenir une science exacte. Les perfectionnements permirent des repères jusqu'à moins cinquante mille ans. Cependant, on ne trouve aucun objet à situer dans la période moins vingt mille à moins vingt-cinq mille, alors qu'on en repère avant et après. On n'a trouvé jusqu'ici aucune explication à cette anomalie. On peut supposer que se produisit alors un événement modifiant la concentration dans l'atmosphère du carbone 14.
Notre fable indique un contenu réel possible aux innombrables légendes ayant trait à des êtres mi-homme, mi-bête. Objection : on ne retrouve pas de tels ossements. Réponse : on en trouve, mais l'archéologue pense avoir découvert, dans des tombes consacrées à quelque religion totémique, un homme enterré avec un animal.
Notre fable a le mérite de proposer l'emploi de méthodes empruntées à la physique pour essayer de déterminer la date d'une éventuelle grande catastrophe. Si celle-ci est due à un court-circuit dans l'atmosphère terrestre, un tel court-circuit a sans doute perturbé le champ magnétique, et peut-être même déplacé les pôles magnétiques. Les spécialistes pourraient chercher dans ce sens.
Les champs de tectites pourraient aider à identifier les lieux de déclenchement de la catastrophe. L'examen de la composition nucléaire des tectites montre que ceux-ci n'ont pas voyagé longtemps dans l'espace. Ils se seraient donc formés, soit sur la Terre, soit sur la Lune. Leur formation paraît avoir dégagé une énergie si énorme qu'on peut évidemment se refuser à envisager une origine technologique. Cependant, la catastrophe de notre très hypothétique récit peut avoir à la fois créé les tectites et les avoir projetés autour du point d'impact de la décharge dont ils seraient issus. On a pu montrer que les tectites avaient voyagé dans l'atmosphère à une vitesse considérable. Ce qui prouverait, soit qu'ils viennent de la Lune, soit qu'ils ont été créés sur la Terre par quelque événement catastrophique. Il est également possible que des traces d'une telle catastrophe soient relevées sous forme de trajectoires formées dans certains minerais par le passage de particules à haute énergie. Il suffisait que l'hypothèse d'une grande catastrophe soit retenue dans des milieux scientifiques pour que des recherches d'ordre physique soient entreprises. Peut-être obtiendrons-nous alors des renseignements propres à bouleverser nos idées sur l'histoire de l'humanité.
Enfin, notre fable laisse entendre que l'utilisation de la mythologie comme base de recherches sur le réel, ainsi que l'avait génialement compris Schliemann, n'en est sans doute qu'à ses débuts. Tous les mythes catastrophiques, notamment tous ceux où le feu du ciel s'abat sur les hommes, toutes les légendes décrivant des êtres non humains dérivés de l'homme, devraient être systématiquement examinés.
Il manque à cette fable quelque tentative de description des contemporains de la grande catastrophe. Un racisme, conscient ou non, a-t-il incliné jusqu'ici les recherches sur l'origine de l'homme ? La question se pose depuis la célèbre thèse de Cheikh Anta Diop sur Nations nègres et culture, montrant l'origine nègre de l'Égypte ancienne. Dans Antériorité des civilisations nègres, Anta Diop écrit :
« Les résultats des fouilles archéologiques, particulièrement celles du Dr Leakey en Afrique orientale, permettent de reculer presque chaque semestre dans la nuit des temps les premières ébauches de l'humanité. Cependant, on continue à admettre que l'homo sapiens apparut il y a environ quarante mille ans au paléolithique supérieur. Cette première humanité, celle qui appartient aux couches inférieures de l'aurignacien, se rattacherait morphologiquement au type noir de l'humanité actuelle […]. On est amené à reconnaître en toute objectivité que le premier homo sapiens était un « négroïde », et que les autres races, le blanc et le jaune, apparurent plus tard, à la suite de différenciations dont les causes physiques échappent encore à la science […]. Tout indique qu'à l'origine, à la préhistoire, au paléolithique supérieur, les nègres furent prédominants. Ils le sont restés aux temps historiques, pendant des millénaires sur le plan de la civilisation, de la suprématie technique et militaire. »