« Ajoutons enfin que l'argot est une des formes dérivées de la langue des oiseaux, mère et doyenne de toutes les autres, la langue des philosophes. C'est elle dont Jésus révèle la connaissance à ses apôtres, en leur envoyant son esprit, l'Esprit-Saint. C'est elle qui enseigne le mystère des choses et dévoile les vérités les plus cachées. Les anciens Incas l'appelaient langue de cour, parce qu'elle était familière aux « diplomates » à qui elle donnait une double science : la science sacrée et la science profane. Au Moyen Âge, on la qualifiait de Gaie Science, ou Gay Sçavoir, Langue des Dieux, Dive Bouteille. La tradition nous assure que les hommes la parlaient avant l'édification de la tour de Babel, cause de sa perversion et, pour le plus grand nombre, de l'oubli total de cet idiome sacré. »
Que penser de ces affirmations réitérées dans toutes les grandes traditions et de leur écho dans les magies verbales des « primitifs » ? Notre chemin n'est pas l'adhésion superstitieuse. Mais nous pouvons nous demander, dans un esprit d'ouverture, s'il n'y a pas quelque base raisonnable à une recherche orientée de ce côté.
Tout nous porte aujourd'hui à penser que les langues ne remontent pas dans le temps jusqu'au gargouillis néanderthalien. L'anthropologie structuraliste même évoque l'hypothèse d'une apparition brusque du langage : « quels qu'aient été le moment et les circonstances de son apparition dans l'échelle de la vie animale, le langage n'a pu naître que d'un seul coup » (Lévi-Strauss). Pour Sapir, dès le « début », le langage est « formellement complet » et dès qu'il y a homme, il y a langage. Pour Leroi-Gourhan, les traces les plus anciennes d'un langage et du symbole graphique remontent à la fin du moustérien et deviennent abondantes vers trente-cinq mille ans avant notre ère. Il n'y aurait pas eu une préhistoire du langage. Celui-ci aurait été en quelque sorte « donné » et serait, en quelque sorte, « éternel ». Nous commençons aussi à nous demander si le Néanderthalien, que nous prenions, il y a encore quelques années, pour l'ancêtre de l'homme, ne serait pas un produit de croisement, coexistant, voici cinquante millénaires, avec un homo habilis infiniment plus vieux. Le préhistorien américain Alexander Marshak, dans de nombreuses communications en 1964, a fait état de signes, sur des galets, révélant des traces de mathématiques paléolithiques. Ces signes sembleraient correspondre à un calendrier lunaire vieux de trente-cinq mille ans. L'établissement d'un tel calendrier laisse supposer l'existence de connaissances mathématiques notables, ou, en tout cas, des notations de périodicité. S'il s'agit là des restes d'une culture disparue, antérieure au Néanderthalien, sommes-nous en présence des vestiges d'une grande langue primordiale ? Nous pouvons aussi rêver à un temps des cavernes qui aurait vu la coexistence de survivants d'une civilisation et de Néanderthaliens, comme notre temps des fusées voit la coexistence d'ingénieurs de la N.A.S.A. et d'Indiens Coghis.
Enfin, nous commençons tout juste le déchiffrement par ordinateurs de langues de haute Antiquité, aussi complexes, semble-t-il, que le sanscrit et l'égyptien, comme, par exemple, l'écriture des tablettes de la vallée de l'Indus. Ces déchiffrements et l'étude des correspondances entre les écritures très anciennes peuvent nous réserver des surprises. « L'idée qu'il fut un temps, écrit Lincoln Barnett, où tous les hommes civilisés parlaient la même langue, n'est en aucune façon limitée à la Genèse. On la retrouve dans l'Égypte ancienne, dans les antiques écrits hindous et bouddhistes. Cette idée fut sérieusement étudiée par plusieurs philosophes européens au XVIe siècle. » Notre plongée dans l'abîme du temps nous révèle un croissant recul de l'âge de l'homme et des civilisations. Et des philosophes du XXIe siècle pourraient peut-être reprendre utilement cette hypothèse en l'élargissant aux temps antédiluviens. Il ne faudrait pas alors négliger l'apparemment folle question suivante :
S'il y eut une langue primordiale, sous quelle forme se serait-elle conservée et transmise ? On pense aux tablettes d'argile, aux inscriptions sur la pierre ou le bois. Mais ces moyens grossiers, cette écriture visible – et qui pourtant témoignent de sociétés d'un raffinement confondant dans des millénaires engloutis – ne furent-ils utilisés que par des sociétés postérieures à une civilisation plus haute ? Si à l'idée de haute connaissance révélée s'ajoute toujours l'idée du secret, de la communication exclusivement initiatique, on est en droit d'imaginer quelque écriture cachée à l'œil public. Nous avons aujourd'hui à notre disposition des moyens d'enregistrement invisible de la connaissance, du disque à la bande magnétique, du microfilm aux cristaux. Nous retrouverons peut-être un jour de l'écriture masquée, déposée dans des objets, des pierres sur le sol, ou – qui sait ? – en nous-mêmes, dans les subtiles profondeurs de nos cellules… Et enfin, même s'il s'agit d'une écriture évidente, nous devons nous rappeler que tous les livres de l'ancien monde, réunis dans les immenses bibliothèques de Rhodes, Carthage, Alexandrie et d'ailleurs, furent détruits, que nous possédons moins de un pour cent des littératures grecque et romaine ; que dans la terre sont enfouies les cendres du génie passé. Enfin si le déchiffrement des langues inconnues progresse, notamment grâce à l'emploi des ordinateurs, l'existence d'une écriture véhiculant des connaissances d'abstractions mathématiques poserait des problèmes insolubles. Toutes nos recherches archéologiques et linguistiques ont toujours porté sur des civilisations moins avancées que la nôtre. Dans le cas contraire, on buterait sur des termes résistant à l'interprétation, comme un écolier du XIXe siècle affolé de devoir traduire dans son thème latin les mots transistor ou laser.
Une autre voie d'accès à cette hypothétique grande langue pourrait être l'analyse des écritures magiques. L'archéologue anglais S.F. Hood, étudiant des tablettes trouvées dans le site préhistorique de Tartaria, en Roumanie, a pu établir des corrélations avec la Crète, l'Irak, l'Égypte et les Balkans. Un système unique de signes magiques paraît avoir été employé voici plus de six mille ans. De même le spécialiste roumain N. Vlassa, attaché au musée de Cluj, a recueilli dans les cendres de ce qui paraît avoir été un autel des tablettes portant ces signes, comparables à ceux découverts à Vinça, près de Belgrade, à Tordos, en Roumanie, à Troie et dans l'île de Mélos en mer Égée. Hood estime que ce système unique de notations se serait propagé à partir de l'Irak. Reste à l'interpréter. Le déchiffrement des écritures magiques, même infiniment plus récentes, n'est pas commencé. Les diverses interprétations ésotériques ne sont guère satisfaisantes. De nombreux alphabets magiques sont parvenus jusqu'à nous et A.B. Waite en a publié un certain nombre. De fait, leur mystère reste entier. Pour la plupart, ils présentent des signes plus complexes que les idéogrammes chinois, et ils ont probablement un contenu d'informations riche.
Une chose nous a frappé : c'est qu'ils ressemblent souvent, étrangement, aux diagrammes des circuits imprimés. On sait ce que sont les circuits imprimés des transistors, par exemple. Il s'agit de circuits électroniques réalisés avec des encres résistantes, conductrices et magnétiques. Cette idée aussi est peut-être folle. Ce n'est pas la seule de ce livre. Quelques lignes sur un parchemin peuvent être des instruments de télécommunication ou des réceptacles d'énergie. C'est peut-être, en tout cas, avec des idées de cette nature pluridisciplinaire qu'il faudrait reprendre les travaux esquissés par John Dee sur l'écriture magique.