« Ensuite, et ce fut pour un millénaire et demi, la religion chrétienne victorieuse allait faire de la Terre, à la suite de Ptolémée, le centre de l'univers, interrompant tout approfondissement des théories de la multiplicité des mondes habités. C'est le grand astronome polonais Copernic qui, après avoir renversé le système de Ptolémée, montra pour la première fois à l'humanité la place réelle qui lui revenait. La Terre “rentrant dans le rang”, la possibilité de la vie sur d'autres planètes recevait un fondement scientifique. Les premières observations au télescope, par lesquelles Galilée ouvrit une ère nouvelle en astronomie, frappèrent l'imagination des contemporains. Il devint clair que les planètes étaient des corps célestes ressemblant fort à la Terre. Ce qui amenait naturellement à se poser la question : s'il y a sur la Lune des montagnes et des vallées, pourquoi n'y trouverait-on pas des villes, avec des habitants doués de raison ? Pourquoi notre Soleil serait-il l'unique astre accompagné d'une cohorte de planètes ? Le grand penseur italien Giordano Bruno exprima ces idées hardies sous une forme claire et sans équivoque : “Il existe une infinité de soleils, de terres tournant autour de leurs soleils comme nos sept planètes tournent autour de notre Soleil… des êtres vivants habitent ces mondes.” L'Église catholique se vengea cruellement de Bruno : reconnu hérétique par le Saint-Office, Bruno fut brûlé à Rome au Campo dei Fiori le 17 février 1600. Ce crime du clergé contre la science n'était, hélas ! pas le dernier. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, l'Église catholique (de même que les Églises protestantes) ne cessa d'opposer à la théorie héliocentrique une résistance acharnée. Mais, peu à peu, même les théologiens comprirent la vanité d'une telle lutte et entreprirent de réviser leurs positions. À l'heure actuelle, ils ne voient dans l'existence d'êtres pensants sur d'autres planètes aucune contradiction avec les dogmes de leur religion.
« Dans la deuxième moitié du XVIe et au XVIIe siècle, savants, philosophes et écrivains consacrèrent une grande quantité de livres au problème de la vie dans l'univers. Citons Cyrano de Bergerac, Fontenelle, Huygens, Voltaire. Leurs œuvres, purement spéculatives, allient la profondeur de pensée (ceci est particulièrement vrai pour Voltaire) à l'élégance de la forme.
« Prenons le savant russe Lomonossov, prenons Kant, Laplace, Herschel, et nous verrons que l'idée de la pluralité des mondes habités s'était répandue absolument partout, sans que personne, ou presque, dans les milieux scientifiques et philosophiques, ose s'élever contre elle. Seules des voix isolées mettaient en garde contre la conception qui faisait de toutes les planètes autant de foyers de vie, et de vie consciente. Ainsi William Whewell, dans un livre publié en 1853, avance avec une certaine audace pour l'époque (les temps ont changé !) que toutes les planètes sont loin de pouvoir offrir un gîte à la vie, les plus grandes d'entre elles étant formées “d'eau, de gaz et de vapeurs”, et les plus proches du Soleil “en raison de la grande quantité de chaleur qu'elles reçoivent, car l'eau ne peut se maintenir à leur surface”. Il prouve qu'il ne peut y avoir de vie sur la Lune – idée qui fut longue à pénétrer dans les esprits. À la fin du XIXe siècle, en effet, William Pickering continuait à démontrer avec beaucoup de conviction que les modifications du paysage lunaire s'expliquaient par les déplacements de grandes masses d'insectes… Remarquons en passant qu'on a ressuscité depuis cette hypothèse pour l'appliquer à Mars…
« L'exemple suivant nous montrera à quel point était répandue, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, l'idée de l'extension universelle de la vie consciente. Le célèbre astronome anglais Herschel considérait le Soleil habité : les taches solaires étaient pour lui comme des déchirures dans les nuages aveuglants entourant de tous côtés la surface sombre de l'astre ; elles permettaient aux habitants du Soleil d'admirer la voûte étoilée… Newton, lui aussi, tenait le Soleil pour habité.
« Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le livre de Flammarion La Pluralité des mondes habités connut une vive popularité : rien qu'en France il soutint trente éditions en vingt ans, et fut traduit en plusieurs langues. Partant de positions idéalistes, Flammarion considérait que la vie était l'objectif final de la formation des planètes. Écrits avec beaucoup de verve, dans un style alerte quoique un peu recherché, ses livres faisaient grande impression sur les contemporains. Ce qui frappe plutôt le lecteur d'aujourd'hui, c'est la disproportion entre la quantité dérisoire de connaissances précises sur la nature des corps célestes (l'astrophysique venait juste de naître) et le ton tranchant sur lequel l'auteur affirmait la pluralité des mondes habités… Flammarion s'adressait davantage à la sensibilité qu'au raisonnement.
« À la fin du XIXe et au XXe siècle, la vieille hypothèse de la panspermie réapparut sous de nouvelles formes et reçut une large diffusion. Selon cette conception métaphysique, la vie existe dans l'univers de toute éternité. La substance vivante n'est pas engendrée à partir de la matière inerte selon des lois précises, elle est véhiculée de planète en planète. Ainsi, selon Svante Arrhenius, de fines poussières mues par la pression de lumière emportent sur d'autres planètes des particules de matière vivante, spores ou bactéries, sans que celles-ci perdent de leur vitalité. Ayant trouvé sur l'une d'elles des conditions favorables, les spores y germent, donnant le départ à toute l'évolution ultérieure de la vie.
« Si on ne peut en principe nier la possibilité de ce transfert de planète à planète, il est difficile de proposer pour le moment un tel mécanisme quand il s'agit de systèmes stellaires. Arrhenius pensait pour sa part que la pression de lumière peut communiquer aux grains de poussière des vitesses considérables. Cependant, ce que nous savons maintenant de la nature de l'espace interstellaire exclut une telle possibilité. Enfin, la thèse de l'éternité de la vie est incompatible avec l'idée que, sur la base d'un grand nombre d'observations, nous nous faisons de l'évolution des étoiles et des galaxies ; selon cette idée, dans le passé, l'univers était composé uniquement d'hydrogène, ou bien d'hydrogène et d'hélium ; les éléments lourds sans lesquels aucune forme de vie n'est pensable n'ont apparu qu'ensuite.
« De plus, le décalage vers le rouge du spectre des galaxies donne à penser qu'il y a dix ou quinze milliards d'années l'état de l'univers rendait peu probable l'existence de la vie.
« Elle n'a donc pu surgir en certaines régions privilégiées qu'à une étape déterminée de l'évolution. Ainsi, la thèse majeure de la théorie panspermique apparaît-elle erronée.
« Le Russe Constantin Tsiolkovski, père de l'astronautique, fut un ardent défenseur de la pluralité des mondes habités. Nous citerons seulement quelques phrases de lui : “Peut-on penser que l'Europe soit peuplée et les autres parties du monde non ?” Et ensuite : “Les diverses planètes présentent les diverses phases de l'évolution des êtres vivants. Ce qu'a été l'humanité il y a quelques milliers d'années, ce qu'elle sera dans quelques millions d'années, on peut l'apprendre en interrogeant les planètes…” Si la première citation ne fait que reprendre les philosophes antiques, la seconde contient une pensée très importante et qui a été développée depuis. Les penseurs et les écrivains des siècles passés se représentaient les civilisations des autres planètes, du point de vue social, scientifique et technique, semblables à ce qu'ils voyaient sur Terre à leur époque. Tsiolkovski, lui, a attiré avec raison l'attention sur les différences de niveau considérables entre les civilisations des divers mondes. Cependant, à l'époque, ces hypothèses ne pouvaient encore être confirmées par la science.