Ces deux choses qui entrent dans nos cités, peut-être nous rendront-elles sensibles une circulation entre les temps engloutis et les temps à venir ; peut-être nous apprendront-elles que notre immense effort pour aller dans le ciel est une très vieille et très héroïque envie de poursuivre la conversation. Peut-être verrons-nous nos origines et nos aboutissements comme les deux moments d'une relation à la vie et à l'intelligence dans l'univers. Bien entendu, quand nous nous posons de telles questions, quand nous cherchons des traces immémoriales d'un contact et quand nous interrogeons les possibilités de l'avenir, nous devons garder en tête le proverbe chinois : « Celui qui attend un cavalier doit prendre garde à ne point confondre le bruit des sabots et les battements de son cœur. » Mais c'est l'espérance qui fait battre le cœur.
QUATRIÈME PARTIE
De quelques interrogations romantiques
I. PETIT MANUEL DE LA CHASSE AUX ÉNIGMES
Comment apostropher monsieur le Président. – Comment ne pas se faire prendre par les glaces. – Comment se promener dans les Andes. L'affaire du plateau de Marcahuasi. – Comment douter des chronologies. – Les tablettes de Mahenjo-Daro. – Comment conjuguer le verbe « inventer » au futur antérieur. – La pile de Bagdad. – Le mécanisme d'anti-Cythère. – Un peu de métallurgie. – L'incroyable géode. – Comment fouiller avec la pelle du rêve.
« Monsieur, vous croyez à de profonds mystères parce que vous êtes un amateur. Il n'y a pas d'énigmes pour un archéologue sérieux. »
Ainsi discourait à la télévision, un soir de 1969, le président de l'Association des Écrivains scientifiques français. Il n'est pas archéologue lui-même. C'est un mathématicien. Mais il défendait une certaine idée de la science qui est de tradition, chez nous, depuis « le siècle des lumières ». L'homme qui descend du singe n'est vraiment un animal raisonnable que depuis la mort de Louis XVI. Il détient aujourd'hui l'explication de tout, ou presque.
Quand on est sérieux, on est économe. La meilleure hypothèse est celle qui utilise le moins d'imagination possible et n'abîme pas l'idée de la mécanique des choses qu'on s'est faite. Si les lemmings vont en foule se noyer dans l'océan, c'est qu'ils sont myopes et prennent pour une rivière à franchir la mer qui les noiera. Ah ! cela est scientifique, puisque cela nous débarrasse d'un mystère.
La science a pour fonction essentielle de nous prouver qu'il n'y a pas de Bon Dieu. Donc, s'exalter à la pensée qu'il nous reste beaucoup d'inconnu à percer, c'est avoir partie liée avec l'obscurantisme. Ce paradoxe est le fondement d'un certain « rationalisme ». Il y entre moins de raison que de passion antireligieuse. En vérité, ce rationalisme est un prosaïsme déraisonnable.
Le sérieux fait carrière dans cette déraison. L'intelligence s'aventure. Le sérieux professe une idée de la science qui, refoulant l'inconnu, décourage la recherche. L'intelligence considère qu'on ne saurait avoir une idée de la science et s'y conformer, sans aussitôt empêcher l'intelligence de fonctionner.
Et s'il n'y a pas d'énigmes pour un archéologue sérieux, pourquoi fait-il de l'archéologie ? Quel triste métier ! Quelle déraison de l'avoir choisi et de s'y maintenir !
Boucher de Perthes était un amateur. Il découvrit la préhistoire. Schliemann était un amateur. Il découvrit Troie. Hapgood était un amateur. Il amorça la théorie de la dérive des continents. Hawkins était un amateur. Il perça le secret de Stonehenge. La nature, qui paraît bien manquer d'idéologie, a négligé de s'inscrire à la ligue rationaliste. Tout porte à croire qu'elle écrit une histoire très compliquée et plutôt fantastique qui s'adresse aux gens qui sont intelligents avant d'être sérieux.
Ainsi, monsieur le Président, tout le passé humain nous serait connu ? En somme, après quelques années de fouilles, l'archéologie serait une science complète et fermée, tout comme la physique l'était au XIXe siècle ? Il n'y aurait aucune possibilité d'une révolution en ce domaine, comparable à celle qu'introduisirent en physique la radio-activité, la relativité et la mécanique ondulatoire ? Permettez quelques questions. Qui les pose ? Hé, d'affreux amateurs ! Spécialistes en rien ? Que si ! Spécialistes en idées générales. C'est une spécialité fort décriée aujourd'hui. Tant décriée qu'on oserait à peine poser des questions si l'on ne se rappelait cette vérité que l'homme qui pose beaucoup de questions peut quelquefois paraître imbécile mais que l'homme qui n'en pose jamais le reste toute sa vie.
Premier type de question :
Personne ne connaît actuellement la cause des glaciations ni comment les hommes y ont survécu. On nous dit a priori qu'il ne peut y avoir eu aucune civilisation avant les âges glaciaires sur les dates desquels d'ailleurs on discute. Comme on ne peut pas, et pour cause, faire des fouilles dans les régions de la terre actuellement recouvertes par les glaces – Antarctique et Groenland –, la question reste, pour le moins, ouverte.
On nous présente des hommes d'il y a quinze ou seize mille ans comme tout juste capables de tailler la pierre et d'entretenir le feu. Ils ignoraient la culture des terres et l'élevage ; ils n'avaient pas d'autres moyens de subvenir à leur vie que la cueillette ou la chasse. Les glaciations successives de la période Würm III auraient embrassé plusieurs millénaires : de treize mille à huit mille environ. Qu'étaient alors devenues les proies, les baies sauvages ?
Certains peuples, sans doute, ont atteint les terres chaudes ; d'autres pouvaient y habiter déjà. Mais, au point optimal des glaciations, lorsque le froid eut gagné le Wisconsin, l'Angleterre, la France, l'Italie et que furent sous les glaces toutes les régions du globe habitées par les diverses races du paléolithique (les seules régions, en fait, où nous retrouvons leurs traces), comment ces peuples purent-ils survivre ?
L'idée de « réserves » vient à l'esprit ; plus spécialement de réserves de blé sauvage, puisque, d'une part, de telles espèces de blé ont existé longtemps avant l'agriculture – et que, d'autre part, le blé conserve ses vertus (nutritives, entre autres) pendant plusieurs milliers d'années : les stocks des tombes égyptiennes nous en ont donné l'assurance.
Mais cette idée même n'est pas simple : elle recouvre les notions de prévision, de prévoyance. Si des réserves furent faites, elles durent être commencées des siècles avant l'avancée des glaces ; c'est-à-dire que le fléau dut être prophétisé.
Ce raisonnement se trouve être singulièrement confirmé par un article paru dans le n° 6 (1965) de la revue russe Technique et jeunesse. Voici les faits : En novembre 1957, un excavateur travaillant à la reconstruction de Hambourg sous la direction de l'ingénieur Hans Elieschlager sort des pierres géantes ressemblant à des têtes humaines. Le professeur Mattes, archéologue allemand, en fait l'étude. Et il arrive à établir qu'il s'agit d'objets sculptés de main d'homme et datant de l'époque pré-glaciaire. On en a retrouvé sous la direction du professeur Mattes dans des couches d'argile ayant au moins cet âge. Selon ce professeur, il ne peut pas s'agir d'un jeu du hasard. Mattes a même trouvé des figures à double visage : si on les tourne de cent vingt-cinq degrés, le visage d'homme se transforme en visage de femme.