La projection directe, sur l'écran, du négatif de l'une de ces photos, fait apparaître une seconde figure. On voit, à l'endroit où se trouve la tête du premier personnage, le visage sculpté d'un homme jeune, les cheveux sur le front, qui vous regarde avec une expression noble et fière. Comment expliquer ce mystère sculptural que seule la photo découvre ?
Le plus important des monuments, par la perfection du travail, est un double rocher haut de plus de vingt-cinq mètres. Chacune de ses parties semble représenter une tête humaine. En réalité au moins quatorze têtes d'hommes sont sculptées, figurant quatre races différentes. Son nom le plus ancien est « Peca Gasha » (la tête du couloir). On l'appelle maintenant, dans la région, « La Cabeza de l'Inca » (la tête de l'Inca). Comme il ne ressemble en rien à une tête d'Inca, il est probable que ce nom lui a été donné pour le situer dans les temps « les plus anciens ». En se référant aux récits des chroniqueurs espagnols de la conquête, et en accord avec leurs observations personnelles, on peut avancer :
— que des sculptures en pierre anthropomorphiques et zoomorphiques ont existé en différentes régions du Pérou et que l'Inca Yupanqui a eu connaissance de ces sculptures ;
— que ces sculptures ont été attribuées à des hommes blancs barbus, appartenant à une race légendaire ;
— que les Huancas, habitant, lors de l'arrivée des Espagnols toute la région centrale du Pérou où se trouvent Marcahuasi et Masma, ont toujours été considérés comme les plus habiles ouvriers de l'empire inca pour les travaux de la pierre ;
— que cette ancienne race de sculpteurs avait laissé des inscriptions. À Marcahuasi, deux rochers, malheureusement abîmés par les ans, semblent avoir été couverts d'inscriptions.
Il y a aussi des « pétrographs » différentes de celles déjà connues : par une habile combinaison d'incisions et de reliefs, le sculpteur a exécuté des images qui doivent être regardées d'un certain point de vue ; quelquefois l'effet est réalisé lorsque la lumière du soleil arrive sous un certain angle ; d'autre ne sont apparentes que dans le demi-jour. L'étude de ces images est difficile. Pour bien les saisir, il convient de les photographier à diverses époques de l'année. On découvre ainsi des reproductions abîmées d'étoiles à cinq et six branches, de cercles, de triangles et de rectangles.
L'inscription la plus notable est placée sur le cou et à la base du menton de la figure principale de la « tête de l'Inca ». Imaginez des lignes doubles faites avec de petits points noirs gravés dans le roc de manière indélébile. Il semble presque incroyable que ces points aient défié le temps, peut-être sont-ils gravés en profondeur. L'inscription reproduit la partie centrale d'un échiquier. Un quadrillage analogue à celui que les Égyptiens gravaient sur la tête de leurs dieux.
De même que les inscriptions, les souvenirs du passé se sont peu à peu effacés. L'idée courante, dans la région, est que le plateau est un lieu hanté. On raconte qu'à une certaine époque les meilleurs magiciens et guérisseurs se rassemblaient là et que chacun des rochers représentait l'un d'eux. Si plusieurs figures peuvent être reproduites photographiquement, un nombre beaucoup plus grand ne peut être apprécié que sur les lieux, sous certaines conditions de lumière et par des sculpteurs ou des personnes familiarisées avec ce travail. Les sculptures ne sont parfaites que vues sous un angle donné, à partir de points bien déterminés ; hors de ceux-ci, elles changent, disparaissent ou deviennent d'autres figures ayant, aussi, leurs angles d'observation. Ces « points de vue » sont presque toujours indiqués par une pierre ou une construction relativement importante.
Pour l'exécution de ces travaux, on eut recours à toutes les ressources de la sculpture, du bas-relief, de la gravure et à l'utilisation des lumières et des ombres. Les uns sont visibles seulement à certaines heures du jour, soit toute l'année, soit seulement à l'un des solstices s'ils demandent un angle extrême du soleil. D'autres, au contraire, ne peuvent être appréciés qu'au crépuscule, quand aucun rayon ne tombe sur eux.
Beaucoup sont reliés les uns aux autres et aux « points de vue » correspondants, permettant de tirer des lignes droites réunissant trois points importants, ou plus. Quelques-unes de ces lignes si on les prolongeait, signaleraient approximativement les positions extrêmes de déclinaison du soleil.
Les figures sont anthropomorphiques et zoomorphiques. Les premières représentent au moins quatre races humaines, dont la race noire. La plupart des têtes sont sans coiffure, mais quelques-unes sont couvertes d'un casque de guerrier ou d'un chapeau.
Les figures zoomorphiques offrent une extrême variété. Il y a des animaux originaires de la région, tel le condor et le crapaud ; des animaux américains, tortues et singes, qui ne pouvaient vivre à une telle altitude ; des espèces – vaches et chevaux – que les Espagnols apportèrent ; des animaux qui n'existaient pas sur le continent – non plus que dans les temps préhistoriques –, tels l'éléphant, le lion d'Afrique et le chameau également, quantité de figures de chien ou de têtes de chien, totem des Huancas, même à l'époque de la conquête.
Les sculpteurs ont réalisé des figures en utilisant aussi des jeux d'ombres qu'on peut apprécier surtout durant les mois de juin et de décembre quand le soleil envoie ses rayons des points extrêmes de sa déclinaison. Ils ont, pareillement, profité des ombres en ciselant des cavités dans le roc afin que leurs bords projettent des profils exacts à un certain moment de l'année pour former une figure ou la compléter.
Tout cela incite à croire à l'existence d'une race de sculpteurs au Pérou qui fit de Marcahuasi son plus important centre religieux et, pour cette raison, le décora à profusion. Nous pourrions rapprocher cette race de sculpteurs des artistes préhistoriques qui ont décoré avec des peintures murales les cavernes d'Europe. On trouve encore des « pétrographs » obtenues grâce à des vernis indélébiles : rouges, noirs, jaunes et bruns, semblables à d'autres, découvertes dans le département de Lima, mais moins anciennes que les grandes sculptures.
Il y a une parenté très proche entre les sculptures de Marcahuasi et celles qui décorent, en très grand nombre, la petite île de Pâques : la technique des sculpteurs est la même ; ils ont, notamment, représenté les têtes sans yeux, taillant les sourcils de manière à produire une ombre qui, à un moment donné de l'année, dessine l'œil dans la cavité.
Ces ouvrages, d'un type extrêmement archaïque, paraissent avoir été conçus par une mentalité humaine intermédiaire entre celle des paléolithiques ou mésolithiques anciens – dont les Australiens sont la dernière relique –, et la mentalité, si connue, des grands empires où la taille des pierres, la géométrie, l'arithmétique de position, avec figuration du zéro, l'élévation des pyramides, sont les traits les plus saillants.
Marcahuasi, semble-t-il, est moins un centre de lieux d'habitations que de lieux de réunion des fils du même clan. L'ensemble de monuments et de sculptures, sur les trois kilomètres carrés du plateau, constitue une œuvre sacrée comme les alignements de Carnac ou les grottes des Eysies.
Quatre mille photos en noir et en couleurs, des études chimiques sur la pierre, des comparaisons avec des bas-reliefs, trouvés en Égypte et au Brésil, montrent qu'il y a peut-être sur ce plateau de Marcahuasi la plus vieille culture du monde, plus vieille que celle de l'Égypte, plus ancienne que celle de Sumer. Que s'est-il passé en Amérique du Sud entre cette période et l'arrivée des Espagnols ?