Le troisième type de question va donc porter sur les méthodes d'établissement des chronologies.
Les archéologues, quand on leur parle de l'Amérique du Sud, deviennent agressifs et rompent le dialogue après quelques injures où il est question de « superstition », « mentalité prélogique », etc. Les ethnologues sont plus souvent des gens de meilleure composition. Par exemple, le professeur danois Kaj Birket-Smith, docteur ès sciences des universités de Pennsylvanie, d'Oslo et de Bâle. Son livre, The Paths of Culture traduit du danois par Karin Fennow, a été publié par l'université de Wisconsin en 1965. On y trouve, en ce qui concerne les civilisations sud-américaines, la phrase suivante : « Nous semblons être confrontés avec une énigme sans solution et il faut admettre que la réponse finale n'est pas encore trouvée. »
Que l'on suppose que l'Amérique du Sud ait été colonisée à partir de la Polynésie, à partir d'une mystérieuse Atlantide ou même à partir de la Crète (cette dernière thèse est défendue dans l'ouvrage de M. Honoré Champion, Le Dieu blanc précolombien), ou, au contraire, que l'on parte de l'hypothèse d'une culture autochtone, les énigmes se multiplient et les contradictions s'accumulent. Voici la cité de Tiahuanaco au Pérou. Comparons deux chronologies relatives à cette cité : celle des archéologues classiques et celle des archéologues romantiques.
Chronologie classique :
9 000 avant J.-C. : des hommes assez semblables aux Indiens de nos jours chassent des animaux disparus actuellement en Amérique du Sud.
3 000 ans avant J.-C. : ces hommes découvrent l'agriculture.
1 200 ans avant J.-C. : la technique naît avec, en particulier, l'invention de la céramique.
800 ans avant J.-C. : apparition du maïs comme base de la nourriture.
Entre 700 ans avant J.-C. et 100 ans après : trois civilisations apparaissent et s'écroulent.
100 à 1 000 ans après J.-C. : apparition de vastes civilisations et construction de la cité cyclopéenne de Tiahuanaco.
1 000 à 1 200 ans après J.-C, : un trou où, brusquement, on ne retrouve plus aucun objet, aucune tradition pouvant préciser ce qui s'est passé. La civilisation la plus ancienne durant cette période, et qu'on n'arrive pas à dater, est celle de Chanapata. De cette civilisation, Alfred Métraux, archéologue sérieux entre tous, écrira : « Une chose demeure certaine ; entre cette civilisation archaïque et celle des Incas dont les débuts se situent autour de l'an 1200 de notre ère, il y a une solution de continuité. Rien ne permet encore de combler ce vide. »
1 200 à 1 400 ans après J.-C. : une série d'empereurs incas dont on ne sait pas s'ils ont existé ! Par prudence, les archéologues sérieux les appellent semi-légendaires.
1492 après J.-C. : découverte de l'Amérique.
1532 : destruction de l'empire inca par l'invasion espagnole.
1583 : par décision du Concile de Lima, on brûle la plupart des cordes à nœuds, ou quipus, sur lesquelles les Incas avaient enregistré leur histoire et celle des civilisations qui les avaient précédés. Le prétexte donné est que ce sont des instruments du diable. Ainsi disparaît la dernière chance de savoir la vérité sur le passé péruvien. Tout ce qu'on peut faire actuellement, que l'on soit classique ou romantique, ce sont des hypothèses.
Et voici maintenant la chronologie romantique :
50 000 ans avant J.-C. : sur le plateau de Marcahuasi naît la civilisation Masma, la plus ancienne de la Terre.
30 000 ans avant J.-C. : fondation de l'empire mégalithique de Tiahuanaco.
20 000 ans avant J.-C. : écroulement de l'empire de Tiahuanaco et naissance de l'empire Paititi. Développement de l'astronomie.
10 000 ans avant J.-C. à 1 000 ans après J.-C. : cinq grands empires séparés par des catastrophes successives.
1 200 ans après J -C. : Manco Cápac crée l'empire inca. Après quoi la chronologie romantique rejoint la chronologie classique.
Pour le profane, les arguments sur lesquels sont basées les deux chronologies paraissent aussi bons les uns que les autres. Peut-on trancher le débat en faisant appel à l'une des méthodes physiques de datation : radiocarbone, thermoluminescence, rapport argon-potassium, etc. ? Hélas toutes ces méthodes sont discutables dans leur principe et délicates dans leur application. En particulier, le radiocarbone.
La théorie de la datation des objets par le radiocarbone est simple. L'atmosphère de la Terre est constamment bombardée par des rayons cosmiques venant de l'espace. Sous l'effet de ces bombardements, une partie de l'azote de l'atmosphère se transforme en carbone. Mais ce carbone est un carbone lourd, de poids atomique 14, et radioactif. Ce carbone radioactif forme, avec l'oxygène, du gaz carbonique radioactif qui est absorbé par les plantes. Les plantes, à leur tour, sont mangées par des animaux et, finalement, tout organisme vivant comporte une certaine proportion de carbone 14. Quand l'organisme meurt, les échanges avec l'extérieur cessent. Le carbone 14, présent au moment de la mort, continue à se désintégrer suivant une périodicité de cinq mille six cents ans, ce qui veut dire la moitié des atomes de carbone 14 qui y étaient au départ. Au bout de cinq mille six cents ans de plus, il ne restera que la moitié de cette moitié, soit un quart des atomes d'origine. Et ainsi de suite… Avec des instruments de précision, on arrive à compter les atomes qui restent et à déterminer ainsi la date à laquelle un animal a été tué, à laquelle un arbre a été coupé pour faire du charbon de bois, à laquelle une momie a été déposée dans son cercueil.
Telle est la théorie. Elle suppose que le rayonnement cosmique est le même à tous les âges et dans tous les pays, que l'échantillon utilisé n'a pas été contaminé par des microbes ou des champignons récents, qu'il n'y a réellement eu aucun échange avec le milieu extérieur. En pratique, ces conditions ne sont jamais réunies. En particulier, au Pérou, des phénomènes que l'on saisit encore très mal, et qui sont peut-être dus à l'altitude ou à la radioactivité locale, faussent la datation par le radiocarbone, de telle sorte que l'archéologue classique, J. Alden Mason, peut écrire dans son livre sur les anciennes civilisations du Pérou : « D'une façon générale, si une date obtenue au moyen du radiocarbone paraît entièrement déraisonnable à l'archéologue expert, et si elle ne cadre pas avec des dates adjacentes, il est en droit de refuser de l'accepter et d'insister pour qu'une vérification soit faite par d'autres méthodes. » C'est dire qu'on ne peut compter sur le radiocarbone pour trancher définitivement le mystère péruvien et qu'il est légitime d'accepter la chronologie romantique lorsqu'elle est basée sur des expériences. En ce qui concerne le plateau de Marcahuasi, Daniel Ruzo a fait quelques essais de vieillissement sur des morceaux de granit vierge exposés au climat du plateau. Il arrive ainsi à une date de l'ordre de cinquante mille ans. Encore faudrait-il observer la décoloration du granit, non pas à l'œil nu, mais à l'aide de cellules photo-électriques.
D'une façon générale, la tendance actuelle est d'accepter le carbone 14 comme vérification d'une date déjà bien établie, mais de ne pas trop compter dessus lorsqu'on n'a aucun autre recoupement. Il en est de même, pour le moment, des autres méthodes physiques.
Enfin le quatrième type de question va porter, naturellement, sur la présence d'énigmatiques souvenirs et vestiges de technologie avancée.
H.P. Lovecraft a écrit : « Les théosophes et, d'une façon générale, les gens qui se basent sur la tradition indienne parlent d'énormes étendues du passé en des termes qui glaceraient le sang si le tout n'était pas annoncé avec un optimisme sucré. Mais que sait-on en réalité ? »