Выбрать главу

« Déjà la découverte d'une créature présentant des caractères si proches des caractères humains, alors qu'elle avait vécu il y a un million huit cent mille ans, était à elle seule une révolution, écrivait Mme Yvonne Rebeyrol à l'occasion du Congrès de l'Unesco dans Le Monde. Jusqu'alors la lignée des hominiens progressait du fruste australopithèque jusqu'à l'homo sapiens (c'est-à-dire l'homme d'aujourd'hui), apparaissant seulement il y a environ vingt-cinq mille ans. L'évolution était jalonnée par le pithécanthrope plus tardif et plus évolué que l'australopithèque, puis par l'homme de Néanderthal plus primitif que l'homo sapiens. Et voilà qu'apparaissait une nouvelle créature aussi ancienne que les australopithèques, mais montrant des analogies frappantes avec l'homo sapiens. Pour le Dr Leakey, l'homo habilis est notre seul ancêtre, les autres hominiens n'étant que des rameaux aberrants n'ayant pas eu de descendance. Australopithèques, pithécanthropes et homo habilis sont apparus en même temps, mais seul l'homo habilis a été le point de départ de l'évolution fructueuse qui a abouti à l'homo sapiens. Au demeurant, fait-il remarquer, on a trouvé ici et là, notamment en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Hongrie, des crânes fossiles dont les caractéristiques faisaient penser à l'homme actuel, mais qui provenaient de couches fort anciennes. Récemment encore, dans le gisement de la rivière Omo (Éthiopie) on a mis au jour deux crânes très « modernes » mais aussi très vieux. Cette dispersion de types déjà très évolués suppose, évidemment, une dispersion antérieure de la souche des homo habilis […].

« Toutefois le Dr Leakey pense toujours que l'homme est “né” dans la région comprenant l'Afrique orientale, l'Arabie et l'ouest de l'Inde. En Inde on a déjà trouvé un singe fossile, le ramapithecus plus récent mais assez proche du kenyapithecus, et l'on a mis, aussi, au jour des industries primitives. Mr Leakey est donc persuadé que des fouilles systématiques en Inde ou en Arabie seraient extrêmement fructueuses puisque l'Afrique orientale ne cesse de montrer sa richesse en fossiles. Après les gisements de Tanzanie ou du Kenya, l'Éthiopie a révélé le site de la rivière Omo. La latitude et les altitudes étagées de ces régions ont été extrêmement favorables à l'apparition et à l'évolution des hominiens primitifs. Leurs terres volcaniques sont idéales pour la préservation des fossiles. Plus on cherche, plus on trouve. Tout récemment, Mme Leakey a mis au jour, à Olduvai, un crâne d'homo habilis qui semble complet ou à peu près (Le Monde du 19 août 1969). Le Dr Leakey a montré une dent trouvée en territoire kenyan, au sud du lac Rodolphe : cette dent aurait appartenu à un hominien vivant il y a huit millions d'années. »

Cependant, Leakey estime que l'homo sapiens n'a pu apparaître qu'avec la possibilité de faire du feu, c'est-à-dire « avec la sécurité, la tranquillité d'esprit apte à produire la pensée abstraite ». Les outils sont apparus très tôt, mais ils ne déterminent pas le passage du préhomme à l'homme. L'homme à proprement parler naît avec la pensée abstraite, les concepts de magie, la religion et l'art. Pour Leakey, il aura fallu un temps considérable pour passer de l'homo habilis à l'homo sapiens qui ne remonterait qu'à cent mille ans.

Cette thèse ne repose sur rien de définitivement acquis. Elle jalonne seulement, par vague estimation, des incertitudes. La seule certitude est que « plus on cherche, plus on trouve ». Un homo habilis de plusieurs millions d'années. Un homo sapiens de cent mille ans, et quelques suppositions tous les six mois remises en cause, flottant sur cet océan du temps. Mais si des hominiens vivaient voici plus de huit millions d'années, la théorie classique de l'évolution a fait faillite. Et s'il y a des hommes pensants depuis cent mille ans, on est raisonnablement en droit de se demander s'il est possible d'accepter tranquillement l'idée qu'ils n'ont acquis des lumières et des pouvoirs que depuis deux siècles, qu'il y a un unique moment privilégié de cette longue aventure, compris dans la dernière cinq-centième partie du temps humain, lui-même surgi d'une nuit obscure de huit millions d'années.

Et si, comme l'estime Leakey, l'homo sapiens apparaît avec la magie, c'est-à-dire la tentative de contrôler le monde visible par les forces invisibles, nous pouvons considérer nos deux siècles de technologie comme une des formes prises par la longue quête magique, parmi des quantités de formes qui se sont développées, avec des succès et des échecs, au cours des temps immémoriaux. Cette façon de voir est, à tout prendre, moins fantasque que la façon convenue qui suppose deux siècles de révélation sur cent mille ans de demi-sommeil, et, somme toute, un extraordinaire racisme temporel.

Curieusement, nous combinons avec satisfaction l'idée que le dernier cinq-centième du temps humain nous fait les seigneurs de toute l'humanité pensante, et l'idée évolutionniste qui lie notre ascension à l'obscur processus général du vivant qui faisait sortir le groin de sa vase, aux aveugles chimies qui, ajoutant deux petits ballons à sa mince cervelle, donnaient naissance aux hémisphères cérébraux. Il serait peut-être utile pour l'esprit, tout au moins à titre d'exercice, d'envisager des attitudes inverses : de nous situer moins exceptionnellement dans l'histoire humaine, et plus exceptionnellement dans l'histoire du vivant. Acceptons d'envisager l'idée que l'homme pourrait être une forme stable, se manifestant à plusieurs reprises, avec des réussites et des catastrophes. Ce non-racisme temporel et le sentiment que l'humanité pourrait être, sur la Terre et dans l'univers, une forme d'émergence stable, un point d'aboutissement des énergies, l'entêtement éternel de l'Être à se manifester, auraient une chance d'influencer la civilisation, la société, la morale. Que l'homme le plus humble soit un objet sans prix. Que la totalité des temps humains soit à considérer avec la plus grande disponibilité au respect, à l'admiration, à l'étonnement. Quand on cherche dans le stock des doctrines non reçues, on en trouve une qui convient assez bien : l'humanisme.

II. LA DÉRIVE DES CONTINENTS

Un regard d'enfant sur la carte du monde. – C'est un puzzle. – L'idée de Wegener. – On lui donne raison trente ans après. – Petit exposé sur le paléomagnétisme. – Einstein préface Hapgood. – Comment les continents glisseraient. – Une théorie nouvelle : le fond des océans bouge. – Un mot sur l'Atlantide. – Que fut l'Antarctique ? – Un songe de Hapgood. – Partons en traîneau avec Paul-Émile Victor dans les couloirs du temps.

On a relevé des traces de matière organique sur deux fragments de Lune ramenés par les premiers explorateurs. Sont-elles originelles ? Ont-elles été apportées par les cosmonautes, en dépit des précautions ? Nous ne savons pas encore grand-chose de la composition de notre satellite. Pourquoi l'atmosphère de Mars ne contiendrait-elle pas d'azote, si l'on y croit déceler de l'ammoniac ? Questions pendantes. Maigres et fragmentaires informations. Mais savons-nous tout de la Terre que nous habitons ? Il s'en faut. Ses profondeurs nous demeurent en grande part ignorées. Son histoire nous reste énigmatique.