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Howson ne demeura pas davantage aux côtés du psychiatre, et après cela il fut plus effrayé que jamais.

Puis la crise éclata. Et Howson, qui ne voulait pas coopérer, fut laissé de côté tandis que des efforts frénétiques étaient tentés pour la résoudre.

Sa vision de ce qui se passait réellement demeura longtemps confuse. Depuis des semaines, il n’avait pas pris la peine d’allumer la télévision ou de lire les journaux ; s’il l’avait fait, il aurait immédiatement appris que la tentative de Hemmikaini pour faire « au mieux », n’avait pas été suffisante et qu’en conséquence, la crise sud-africaine s’était transformée en une horrible boucherie.

Pendant que Makerakera, l’expert en agression, suait à grosses gouttes pour rassembler une équipe improvisée autour de lui : Choong de Hong Kong, Jenny Pender de l’Indiana, Stanislas Danquah d’Accra et quelques élèves, le télépathe grec Périclès Phranakis tourna le dos à la catastrophe et son esprit s’engagea sur un chemin bien à lui.

À Salisbury, Nairobi, Johannesburg, les troupes descendaient du ciel ; derrière elles, les hôpitaux mobiles, les hélicoptères de transports, les bidons, les sacs, les ballots de nourriture ; et derrière, les juristes et les politiciens. Un grand silence succéda au tumulte, et il fut rompu par les pleurs des enfants.

Cependant, un stratoplane Mach 5 amenait l’enveloppe charnelle de Périclès Phranakis à Oulan-Bator et les conclusions des ordinateurs furent vérifiées : il fallait Ilse Kronstadt pour résoudre la crise, et puisqu’elle ne pouvait aller sur le terrain, on venait à elle.

Comme tous les esprits se tournaient vers Phranakis, Howson se retrouva étrangement isolé ; et la panique qu’il éprouva en se sentant seul, par contraste avec le flot d’attentions dont il avait été l’objet pendant un mois, l’incita à s’intéresser aux problèmes dont tous ceux qui l’entouraient étaient préoccupés.

Il n’osa pas immédiatement s’avancer dans l’intimité de Ilse Kronstadt, mais il percevait son angoisse comme une mauvaise odeur. Confusément, il comprit que même si Phranakis avait failli à sa tâche, il n’en demeurait pas moins le plus proche concurrent d’Ilse Kronstadt dans sa spécialité : l’élimination des agressions violentes. Devant la nécessité de briser les fantasmagories de Phranakis, elle faiblissait.

Embarrassé, il porta son attention ailleurs, et découvrit que Phranakis était en train de devenir une obsession paranoïde dans l’esprit du personnel. Les témoignages de ceux qui l’avaient connu s’amassaient, et les voix des morts sur le papier, sur bande magnétique, sur film, montraient le chemin à Ilse Kronstadt : à cinq ans, il faisait telle chose, avec sa première petite amie telle autre ; pendant son entraînement télépathique, il avait eu des difficultés avec telle autre encore, etc.

Comme un sculpteur rassemble toutes sortes de morceaux de métal et les fond pour en faire une œuvre d’art, Ilse choisissait dans toutes ces données et inventait l’image mentale de Phranakis. Howson était fasciné : il était si absorbé qu’il ne put jamais déterminer à quel moment il s’était introduit pour la première fois dans la conscience de Ilse Kronstadt. Il ne se rendit peut-être pas compte qu’il l’observait, ou bien elle était trop préoccupée pour s’en soucier. Il penchait pour la seconde explication et ressentit une vague de culpabilité devant son refus d’exploiter son propre don comme elle le faisait du sien.

Il oublia qu’il était Gerald Howson. Il oublia qu’il était un infirme, un nain, un hémophile et un orphelin. Il se rappela seulement qu’il était un télépathe, capable de s’emparer des éléments dans n’importe quel esprit si le propriétaire lui en donnait la permission, et, avec une ardeur désespérée, il nourrit son savoir de tout ce qui avait conduit à l’impasse présente.

Phranakis : voici comment il avait conscience de lui-même avant de se réfugier dans la fugue ; c’était là le visage qu’il voyait chaque jour dans la glace ; la mère dont il se souvenait, le père, les frères et sœurs ; la route qui le conduisait à Athènes, et les déceptions de la jeunesse, et la chambre où il fut frappé pour la première fois par la connaissance de sa véritable identité…

L’Afrique du Sud : l’ulcère qui s’infectait sous la surface lisse de modernité ; la haine des Noirs contre la peau blanche, et la rapacité qui explosait en violence… Il visualisait l’énorme Polynésien Makerakera, descendant une rue ensoleillée et absorbant la haine comme un appareil photo ; il était l’un des rares télépathes réceptifs dépourvu de « voix » projective, comme les surveillants thérapeutiques et les analystes de divan que Howson avait rencontrés dans l’hôpital. Il perçut des images de longs couloirs, les pièces où des personnages solennels s’étaient rencontrés pour donner un sens à l’antique lieu commun concernant le meilleur moment d’arrêter une guerre. Il perçut la réaction de Phranakis quand celui-ci comprit que son travail avait échoué : il l’avait ressenti comme la némésis, la rançon de son ubris, l’orgueil illimité qui avait offensé les dieux de ses ancêtres.

Et il plongea aussi dans les vies et les esprits de ceux que Phranakis avait entraînés avec lui. Entraînés : c’était l’aspect vraiment unique de ce cas, et le seul qui effrayait au plus haut point Ilse Kronstadt.

Car tel était le pouvoir de Phranakis qu’il n’avait pas eu à attendre le consentement des personnalités réflexives du groupe catapathique : il les avait simplement emmenées avec lui – quatre de ses plus proches associés non télépathes – et les avait fait sombrer dans son univers d’illusion.

Terrifié comme un lapin devant un serpent, Howson remontait le cours des événements autour de lui. Plus bas, là où les spécialistes et les politiciens, les familles et les parents s’étaient rassemblés, on amenait Phranakis dans la pièce où Ilse Kronstadt l’attendait pour lui livrer bataille. L’hôpital semblait se ramasser sur lui-même, se raidir comme s’il s’apprêtait à vibrer d’appréhension comme une corde de violon. Howson s’était raidi lui aussi, perdu pour le monde, osant à peine respirer.

XII

Dans les rues de son imagination passait une procession. Tandis que les jeunes gens et les jeunes filles couronnés de fleurs dansaient en son honneur, les graves aînés se rassemblaient dans le temple de Pallas Athénée. Là, ils préparèrent la couronne de lauriers qui devait couronner le champion. Malgré leurs ruses et leurs vantardises, les barbares s’en étaient allés, vaincus. La cité était sauvée ; la civilisation et la liberté avaient survécu, tandis qu’au loin un tyran maudissait ses généraux et ordonnait leur exécution.

Il y avait assurément une cité. Il y avait, en un sens, des aînés rassemblés devant leur champion. Mais Esculape était plus présent à leur esprit que Pallas, et la couronne qu’ils avaient préparée pour son front était un léger réseau de métal relié à un enregistreur d’encéphalogrammes. Il n’y avait pas de tyran à part le démon de la haine, mais il existait des barbares qui avaient passé pour des êtres civilisés jusqu’à ce qu’ils soient défaits et démoralisés. Ils avaient conquis Périclès Phranakis et défiaient encore les forces lancées contre eux. Il avait refusé de savoir, et à présent, il avait oublié.

Son visage basané exprimant le contentement, il reposait sur ce qui était principalement un lit mais pouvait devenir un prolongement de son corps si nécessaire. Outre les appareils enregistrant ses réactions physiques – battements de cœur, respiration, mouvements du cerveau, pression sanguine et une douzaine d’autres – des prothèses complexes étaient reliées à lui. Pour l’heure, il était nourri artificiellement, tandis que d’autres dispositifs étaient au repos. Si le choc du réveil se révélait aussi brutal que la perte de conscience, il pouvait renoncer à toute tentative de rester en vie. Alors, le masseur cardiaque, l’oxygénateur, le rein artificiel, combattraient l’inhibition vitale et maintiendraient l’existence dans son corps jusqu’à ce qu’il ait péniblement accepté d’être frustré de l’évasion hors du monde qu’il avait projetée.