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– Il y a aussi un monsieur qui a laissé tomber un billet de banque sur le trottoir de la rue Gorohovaia… non, de la rue Sadovaia. Un paysan, qui avait vu cela, a dit: «Ma chance!» Mais un autre qui l’avait vu également a dit: «Non, la mienne, je l’ai vu avant toi…»

– Et alors?

– Alors les paysans se sont battus, Astafi Ivanovitch, et l’agent de police a pris le billet, l’a rendu au monsieur, et a menacé de les conduire au poste.

– Eh bien! quoi? Qu’y a-t-il là d’intéressant?

– Mais rien, Astafi Ivanovitch; les gens ont bien ri…

– Ah! Emelian, tu as vendu ton âme pour un sou… Sais-tu ce que je te dirai?

– Quoi, Astafi Ivanovitch?

– Prends une occupation quelconque. Vraiment, fais quelque chose. Pour la centième fois, je te le répète; aie pitié de toi.

– Mais quel travail prendre, Astafi Ivanovitch? Je ne sais pas ce que je pourrais faire, et personne ne voudra de moi.

– Et pourquoi as-tu été chassé du service; hein! Emelian? Parce que tu bois.

– À propos, Astafi Ivanovitch, Vlass, le sommelier, on l’a appelé aujourd’hui au bureau.

– Et pourquoi l’a-t-on appelé?

– Ça, je n’en sais rien, Astafi Ivanovitch. Mais si on l’a appelé, c’est qu’il le fallait.

» Ah!» pensai-je, nous sommes perdus ensemble, Emelian, C’est Dieu qui nous punit pour nos péchés. Que faire d’un être pareil?»

» Seulement c’était un garçon rusé! Il m’écoutait, mais à la fin cela finissait par l’assommer. Aussi, dès qu’il me voit de mauvaise humeur, il prend son pardessus et disparaît sans traces! Toute la journée, il erre quelque part et rentre le soir complètement ivre. Qui lui donnait à boire, où prenait-il l’argent? Dieu le sait. Ce n’est pas ma faute…

» Non», lui dis-je un jour, «Emelian Ilitch, assez boire, tu entends, assez! Si tu rentres ivre encore une fois, tu passeras la nuit sur l’escalier. Je ne te laisserai pas entrer!»

» Le lendemain, Emelian resta à la maison; le surlendemain aussi. Mais le troisième jour, de nouveau il disparut. J’attends, j’attends, il ne rentre pas. À vrai dire, je commençais d’être inquiet et j’avais pitié de lui. «Qu’ai-je fait?», pensai-je. «Je lui ai fait peur, et où est-il allé maintenant, le malheureux! Il ne reviendra peut-être plus jamais. Oh! mon Dieu!»

» La nuit passe, il ne vient pas. Le matin, je sors, je vais dans le vestibule, je regarde; il est couché là. Il est couché, la tête appuyée sur la première marche de l’escalier. Il est presque gelé.

– Qu’as-tu, Emelian, Seigneur Dieu! Où étais-tu? Comment es-tu ici?

– Mais voilà, Astafi Ivanovitch, l’autre jour vous vous êtes fâché, et vous avez dit que vous me feriez coucher dans le vestibule. Alors je n’ai pas osé entrer… et je me suis couché là…

» La colère et la pitié me faisaient bouillonner.

– Mais, Emelian, lui dis-je, tu pouvais trouver un autre emploi que de garder l’escalier.

– Quel autre emploi, Astafi Ivanovitch?

– Mais, misérable, lui dis-je (j’étais furieux), si tu avais appris le métier de tailleur! Regarde ton manteau! Ce n’est qu’un trou! Si tu avais pris une aiguille et t’étais mis à boucher ces trous. Ah! ivrogne, misérable!

» Eh bien! Monsieur, il a pris une aiguille. Je lui disais cela en plaisantant, eh bien! lui avait eu peur et avait obéi. Il enleva son paletot et se mit à enfiler une aiguille. Je le regarde. Naturellement ses yeux voient mal, tout rouges… et ses mains tremblent… Quoi! Il pousse, il pousse, le fil n’entre pas… Il cligne des yeux, mouille le fil, le tord entre ses doigts, rien! Il y renonce et me regarde.

– Eh bien! Emelian, qu’est-ce que tu fais? Je t’ai dit cela pour te faire honte. Va… Dieu soit avec toi!… Reste, mais ne fais pas de sottises.» Ne couche pas dans l’escalier… Ne me fais pas l’affront…

– Mais que puis-je faire, Astafi Ivanovitch? Je sais bien que je suis toujours ivre, que je ne suis bon à rien. Mais ça m’attriste de vous fâcher, mon bienfaiteur…

» Tout d’un coup ses lèvres décolorées tremblent et une larme coule sur sa joue blême. Cette larme trembla un moment sur sa barbe embroussaillée, et soudain, un flot de larmes… Pauvre Emelian!… Comme si on m’enfonçait un couteau dans le cœur.

» Eh! Je ne pensais pas du tout… Si j’avais su, je ne t’aurais rien dit… Et je pense: «Non, pauvre Emelian, tu ne seras jamais bon à rien. Tu te perdras.»

» Eh bien! Monsieur, ce n’est pas la peine de raconter si longtemps… Toute cette histoire est si petite, si misérable… elle ne vaut pas les paroles… C’est-à-dire que vous, Monsieur, vous n’en donneriez pas deux sous de cette histoire, mais moi, j’aurais donné beaucoup, si j’avais eu, pour que seulement tout cela n’arrivât pas…

«Monsieur, j’avais un pantalon: ah! que le diable l’emporte! un bon pantalon, bleu, à carreaux. C’était un propriétaire venu de province qui me rayait commandé. Mais ensuite, il l’a refusé, sous prétexte qu’il était trop étroit, et il m’est resté pour compte. Je me disais: «Un objet de valeur! Aux vieux habits on m’en donnerait peut-être cinq roubles; en tout cas j’aurais de quoi faire deux pantalons pour des messieurs de Saint-Pétersbourg, et encore du reste pour le gilet.» Vous savez, pour les pauvres bougres comme nous, tout est bon! Mais voilà qu’à cette époque, Emelian tomba dans une sorte de marasme, je regarde: Il ne boit pas un jour, deux jours; le troisième, il est tout à fait anéanti. Ça fait pitié. Moi je pensais: «Eh bien! mon cher, tu vas peut-être rentrer dans la voie du Seigneur; tu as écouté la raison et dit: «Basta!» Voilà, Monsieur, où nous en étions. Là-dessus, arriva une grande fête. Je suis allé aux vêpres. Quand je rentrai à la maison, je trouva mon Emelian sur le rebord de la fenêtre, ivre-mort; il est là et se dodeline: «Ah! Ah!» pensai-je. «Ça y est, mon garçon!»

» Je suis allé chercher quelque chose dans le coffre. Je regarde: pas de pantalon… Je cherche partout, rien! Quand, après avoir fouillé partout, je dus constater qu’il n’était plus là, ce fut comme si on m’avait donné un coup de couteau dans le cœur.

» Je courus chez la vieille et l’accablai de reproches. Mais à Emelian, bien que son ivresse constituât une preuve contre lui, je ne dis rien.

– Non, me dit la vieille, que Dieu te garde, mon cavalier, qu’ai-je besoin de ton pantalon? Est-ce que je pourrais le porter! L’autre jour, précisément, un homme m’a volé une jupe… C’est-à-dire, je n’en sais rien…

– Qui est venu? demandai-je.

– Mais personne, dit-elle. Je suis restée tout le temps ici. Emelian Ilitch est sorti, puis il est revenu. Voilà, il est assis, interroge-le.

– Emelian, dis-je, est-ce que tu n’aurais pas pris mon pantalon neuf, tu sais bien, celui qu’on a fait pour le propriétaire?

– Non, Astafi Ivanovitch, je ne l’ai pas pris.

» Qu’est-ce que cela veut dire? De nouveau, je me mets à chercher. Rien. Emelian est toujours là, assis, et se balance. J’étais assis comme ça, Monsieur, devant lui, sur le coffre, et tout d’un coup, j’ai regardé de son côté. «Lui!» pensai-je. Le cœur me brûlait; je suis devenu rouge. À ce moment, Emelian aussi me regarda.

– Non, Astafi Ivanovitch, commença-t-il, je n’ai pas pris votre pantalon. Vous pensez peut-être que… que… mais moi je ne l’ai pas pris…