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— Ça prendra moins d’une minute, assura-t-il avant de disparaître.

La porte se referma derrière lui avec un soupir. Hoffmann souleva légèrement la tête. Il était seul. Au-delà de ses pieds nus, de l’autre côté de la vitre épaisse au fond de la pièce, il vit Gabrielle qui l’observait. Tallon la rejoignit. Ils se dirent quelque chose qu’il ne put entendre. Il y eut un crépitement, puis la voix de Tallon retentit avec force dans un haut-parleur.

— Gardez la position, Alex. Essayez de rester aussi immobile que possible.

Hoffmann obéit. Il y eut un bourdonnement, et la table se mit à avancer à travers le grand anneau du scanner. Une première fois brièvement, pour les réglages, puis une seconde fois plus lentement, pour l’acquisition des images. Il examina le boîtier de plastique blanc pendant qu’il passait dessous. C’était un peu comme d’être soumis à un lavage automobile radioactif. La table s’arrêta, puis repartit en arrière, et Hoffmann imagina que son cerveau était aspergé par une lumière brillante et purifiante à laquelle rien ne pouvait échapper — une lumière qui traquait et éliminait toutes les impuretés avec un grésillement.

Le haut-parleur se remit fugitivement en marche, et Hoffmann entendit la voix de Gabrielle s’éteindre en fond sonore. Il lui sembla — se trompait-il ? — qu’elle chuchotait quelque chose.

— Merci, Alex, dit alors Tallon. C’est terminé. Ne bougez pas. Je viens vous chercher. (Puis il reprit sa conversation avec Gabrielle :) Mais tu comprends…

Le son fut coupé.

Hoffmann resta allongé ce qui lui sembla un très long moment : largement le temps, en tout cas, de constater qu’il aurait été très facile pour Gabrielle d’avoir une liaison au cours de ces derniers mois. Il y avait toutes ces heures qu’elle avait passées à l’hôpital pour récupérer les images dont elle avait besoin pour son travail ; et surtout tous ces jours et ces nuits où il était resté au bureau pour mettre au point le VIXAL. Que restait-il à un couple pour sécuriser son mariage après plus de sept ans de vie commune quand il n’y avait pas d’enfant pour exercer une force d’attraction ? Il éprouva soudain une autre sensation depuis longtemps oubliée : la souffrance enfantine et délicieuse qu’on éprouve à s’apitoyer sur soi-même. Il fut horrifié de s’apercevoir qu’il se mettait à pleurer.

— Ça va, Alex ? demanda le visage de Tallon, beau, compatissant, insupportable.

— Impeccable.

— Vous êtes sûr que tout va bien ?

— Ça va.

Hoffmann s’essuya rapidement les yeux sur le pan de son peignoir et chaussa ses lunettes. Son côté rationnel admettait que ces soudaines sautes d’humeur puissent être le symptôme d’un trauma crânien, mais cela ne les rendait pas moins réelles pour autant. Il refusa de se rallonger sur le lit roulant, posa les pieds par terre et prit quelques profondes inspirations. Lorsqu’il eut regagné l’autre salle, il avait repris le contrôle de lui-même.

— Alex, annonça Gabrielle, voici la radiologue, le docteur Dufort.

Elle désigna une toute petite femme aux cheveux gris coupés en brosse, installée devant un écran d’ordinateur. Dufort se tourna pour lui adresser un salut indifférent du haut de ses épaules étroites, puis reprit son examen des résultats du scanner.

— C’est moi ? s’enquit Hoffmann en regardant l’écran.

— Oui, monsieur *, dit-elle sans se retourner.

Hoffmann contempla son cerveau avec détachement, voire une certaine déception. L’image, qui s’affichait en noir et blanc, aurait pu représenter n’importe quoi — un bout de récif corallien filmé dans les profondeurs sous-marines, un plan de la surface lunaire, une tête de singe. Son caractère désordonné, son manque de forme et de beauté le déprimèrent. On peut sûrement mieux faire, songea-t-il. Ça ne peut pas être le produit fini. Il ne doit s’agir que d’une étape dans l’évolution, et notre tâche à nous, humains, est de préparer le chemin pour ce qui viendra juste après, de la même façon que le gaz crée de la matière organique. L’intelligence artificielle, ou les mécanismes de raisonnement autonomes, les MRA, comme il préférait appeler ça, étaient au centre de ses préoccupations depuis plus de quinze ans. Les imbéciles, encouragés par les journalistes, pensaient que le but était de reproduire l’esprit humain et d’arriver à une version numérique de nous-mêmes. Alors que, en fait, à quoi rimerait d’imiter quelque chose d’aussi vulnérable, faillible, et voué à une obsolescence intrinsèque : une unité centrale qui pourrait être entièrement détruite par la défaillance temporaire d’une de ses composantes mécaniques — disons le cœur ou le foie ? Cela reviendrait à perdre un superordinateur Cray et tous ses fichiers mémoire à cause d’une fiche à remplacer.

La radiologue fit basculer le cerveau de son axe du haut vers le bas, et Hoffmann eut l’impression qu’il lui faisait signe, comme un salut depuis l’espace.

— Aucun signe de fracture, annonça-t-elle, et pas de gonflement non plus, ce qui est le plus important. Mais qu’est-ce que c’est que ça, je me le demande ?

La boîte crânienne ressemblait à l’image inversée d’une coquille de noix. Un trait blanc d’épaisseur variable renfermait la matière grise et spongieuse du cerveau. Le docteur Dufort fit un zoom. L’image grossit, se brouilla, et finit par se dissoudre en une supernova grisâtre. Hoffmann se pencha pour mieux voir.

— Là, dit le médecin en touchant l’écran d’un doigt dépourvu de bague et à l’ongle rongé. Vous voyez ces pointillés blancs ? Ces étoiles brillantes ? Ce sont de minuscules hémorragies dans la matière cervicale.

— C’est grave ? questionna Gabrielle.

— Non, pas nécessairement. Ce n’est sans doute pas étonnant avec une blessure de ce genre. Vous voyez, quand la tête est frappée avec assez de force, le cerveau ricoche contre la paroi et ça peut saigner un peu. On dirait que ça s’est arrêté.

Elle souleva ses lunettes et s’approcha très près de l’écran, tel un bijoutier qui examinerait une pierre précieuse.

— Quoi qu’il en soit, j’aimerais bien procéder à un autre examen.

Hoffmann avait si souvent imaginé cette scène — l’hôpital immense et impersonnel, les résultats d’analyse anormaux, le verdict médical froidement assené, première marche d’une descente irréversible vers l’impotence et la mort — qu’il lui fallut un moment pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une de ses visions hypocondriaques coutumières.

— Quel genre d’examen ? demanda-t-il.

— Je voudrais vérifier avec une IRM. Ça donne une vision beaucoup plus précise des tissus mous, et ça devrait nous dire s’il y a un problème médical ou non.

Un problème médical…

— Ça prendra combien de temps ?

— L’examen en lui-même est assez rapide. Le tout est d’avoir une machine de libre. (Elle ouvrit un nouveau fichier et le parcourut.) On devrait pouvoir avoir une machine à midi, s’il n’y a pas d’urgences.

— Et ça, ce n’est pas une urgence ? intervint Gabrielle.

— Non, non. Il n’y a pas de caractère de danger immédiat.

— Dans ce cas, je préfère ne pas le faire, déclara Hoffmann.

— Ne sois pas bête, dit Gabrielle. Fais cet examen. Ça vaudra beaucoup mieux pour toi.

— Je ne veux pas de cet examen.

— Tu es ridicule…

— J’ai dit que je ne voulais pas de ce putain d’examen !