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Elle protesta qu’elle voulait prendre sa voiture pour aller jusqu’à la galerie. Mais il insista sur le fait que ce n’était pas prudent — pas tant qu’on n’avait pas arrêté l’homme qui avait agressé son mari — et il se montra d’une intransigeance professionnelle tellement bornée que Gabrielle finit par capituler et monta dans la Mercedes.

*

— Putain, c’était brillant, murmura Quarry en attrapant Hoffmann par le coude alors qu’ils sortaient de la salle de conférence.

— Tu trouves ? J’ai eu l’impression de les perdre à un moment.

— Ils s’en fichent d’être largués, du moment que tu les ramènes à ce qu’ils sont venus voir, soit le résultat financier. Et un peu de philosophie grecque, ça plaît à tout le monde, dit-il en faisant passer Hoffmann devant lui. Bon Dieu, ce vieil Ezra est laid comme un pou, mais je pourrais l’embrasser pour son petit numéro de calcul mental, à la fin.

Les clients attendaient avec impatience sur le seuil de la salle des marchés, tous sauf le jeune Herxheimer et le Polonais, Łukasiński, qui tournaient le dos aux autres et parlaient à voix basse et animée dans leur téléphone portable. Quarry échangea un regard avec son associé. Hoffmann haussa les épaules. Même s’ils violaient la clause de confidentialité qu’on leur avait fait signer, il n’y avait pas grand-chose à faire. Ces clauses étaient impossibles à faire appliquer sans avoir des preuves de l’infraction, et il était alors trop tard de toute façon.

— Par ici, s’il vous plaît, appela Quarry, qui, le doigt levé façon guide de voyage organisé, les fit avancer en rang par deux dans la grande salle. Herxheimer et Łukasiński s’empressèrent de raccrocher pour rejoindre le groupe. Elmira Gulzhan, les yeux dissimulés derrière de grandes lunettes noires, prit automatiquement la tête de la file. Clarisse Muissard, en cardigan et pantalon informes, traînait sans son sillage, donnant l’impression d’être sa servante. Hoffmann leva instinctivement les yeux vers la barre défilante de CNBC pour voir ce qui se passait sur les marchés européens. La baisse de toute la semaine semblait s’être enfin arrêtée ; le FTSE 100 avait monté de près de 0,5 %.

Ils se rassemblèrent autour d’un écran de l’équipe Exécution. L’un des quants leur laissa son bureau afin qu’ils aient une meilleure vue.

— Voici donc le VIXAL-4 en action, annonça Hoffmann. (Il se recula pour permettre aux investisseurs de se rapprocher du terminal. Il décida de ne pas s’asseoir : cela leur aurait donné une vision directe de la blessure sur son crâne.) L’algorithme sélectionne les opérations. Vous les voyez s’afficher à gauche de l’écran, dans le fichier des ordres en instance. À droite, il y a les ordres déjà exécutés. (Il se rapprocha un peu afin de lire les chiffres.) Ici, par exemple, commença-t-il, nous avons… (Il s’interrompit, surpris par l’ampleur de l’opération. Il crut un instant que la virgule était à la mauvaise place.) Ici, reprit-il, vous voyez, nous avons un million et demi d’options à la vente sur des Accenture à 52 dollars la part.

— Ouah ! s’exclama Easterbrook. C’est un sacré pari sur la baisse. Vous savez quelque chose de spécial sur Accenture ?

— Bénéfices de l’exercice au deuxième trimestre, moins 3 %, récita Klein de mémoire, gain de 60 cents l’action : pas énorme, mais je ne saisis pas la logique de la position.

— Eh bien, il y a forcément une logique à tout ça, ou le VIXAL n’aurait pas pris ces options, intervint Hugo. Alex, pourquoi ne leur montrerais-tu pas d’autres opérations ?

Hoffmann changea l’écran.

— D’accord. Tenez — vous voyez ? — , une autre vente à découvert que nous avons organisée ce matin. Douze millions et demi d’options sur Vista Airways à 7,28 euros la part.

Vista Airways était une compagnie aérienne européenne low cost prospère, et aucune des personnes présentes n’aurait imaginé la voir dans cette situation.

— Douze millions et demi ? répéta Easterbrook. Ça doit faire une sacrée part de marché. Votre machine n’a pas froid aux yeux, il faut lui reconnaître ça.

— Vraiment, Bill, répliqua Quarry, est-ce que c’est si risqué que ça ? Tous les titres de l’aviation sont fragiles en ce moment. Cette prise de position ne me trouble pas le moins du monde.

Mais il semblait sur la défensive, et Hoffmann se douta qu’il avait dû remarquer la remontée des marchés européens. Si un rétablissement technique gagnait l’autre côté de l’Atlantique, ils pourraient se retrouver coincés par la marée montante et finir par devoir vendre les options à perte.

— Vista Airways a observé une croissance de 12 % en nombre de passagers au cours du dernier trimestre, et les prévisions de bénéfices ont été revues à 9 % de hausse, déclara Klein. On vient de leur livrer toute une nouvelle flotte d’appareils. Je ne comprends pas non plus le sens de cette opération.

— Wynn Resorts, lut Hoffmann en faisant apparaître l’écran suivant. 1,2 million en vente à découvert à 124.

Il fronça les sourcils, perplexe. Ces paris énormes sur la baisse ne ressemblaient pas aux schémas complexes habituels des opérations de couverture du VIXAL-4.

— Là, ça m’épate vraiment, reprit Klein, parce qu’ils sont passés au premier trimestre d’une croissance de 7,40 millions à 9,09 millions, avec un dividende de 25 cents la part, et ils viennent de construire ce nouvel hôtel-casino à Macao, qui n’est rien d’autre qu’un permis à faire tourner la planche à billets — ils ont ramassé plus de 20 milliards sur les tables de jeu pour le seul premier trimestre. Je peux ?

Sans attendre la permission, il se pencha devant Hoffmann, s’empara de la souris et se mit à cliquer sur l’historique des opérations. Son costume sentait la blanchisserie, et Hoffmann dut se détourner.

— Procter & Gamble, vente à découvert de 6 millions à 62… Exelon, vente à découvert de 3 millions à 41,50… Plus toutes les options… Bon sang, Hoffmann, il y a une météorite qui va s’écraser sur la Terre ou quoi ?

Il avait le visage pratiquement collé à l’écran. Il sortit un calepin de la poche intérieure de sa veste et se mit à recopier les chiffres, mais Quarry tendit le bras et le lui prit vivement des mains.

— Ce n’est pas bien, Ezra, dit-il. Vous savez que le papier est interdit de séjour dans ces bureaux.

Il arracha le feuillet et le froissa en une boule qu’il mit dans sa poche.

François de Gombart-Tonnelle, le compagnon d’Elmira, demanda :

— Dites-moi, Alex, pour des ventes à découvert aussi importantes que chacune de celles-ci, l’algorithme les met en œuvre tout seul ou bien faut-il une intervention humaine pour les exécuter ?

— C’est un système indépendant, répondit Hoffmann en effaçant le détail des opérations de l’écran. D’abord, l’algorithme détermine les titres qu’il veut traiter. Puis il étudie l’historique de ces titres sur les vingt jours précédents. Il exécute alors les ordres lui-même en faisant en sorte d’éviter d’alerter le marché ou d’affecter les prix.

— Toutes les opérations se font donc en pilotage automatique ? Vos traders sont comme les pilotes d’un gros Jumbo Jet ?

— C’est exactement ça. Notre système s’adresse directement au système du courtier chargé de l’exécution, et puis nous utilisons leur infrastructure pour régler la transaction. Personne n’appelle plus le courtier par téléphone. Pas ici en tout cas.