[3] Cette coutume, alors générale, était très-suivie en Espagne. Chaque livre débutait par une série d’éloges donnés à son auteur, et, presque toujours, le nombre de ces éloges était en proportion inverse du mérite de l’ouvrage. Ainsi, tandis que l’Araucana d’Alonzo de Ercilla n’avait que six pièces de poésie pour recommandations, le Cancionero de Lopez Maldonado en avait douze, le poëme des Amantes de Teruel de Juan Yaguë, seize, le Viage Entretenido d’Agustin de Rojas, vingt-quatre, et les Rimas de Lope de Vega, vingt-huit. C’est surtout contre ce dernier que sont dirigées les railleries de Cervantès, dans tout le cours de son prologue.
Au reste, la mode de ces ornements étrangers ne régnait pas moins en France: qu’on ouvre la Henriade et la Loyssée de Sébastien Garnier (Blois, 1594), ces deux chefs-d’oeuvre réimprimés à Paris en 1770, sans doute pour jouer pièce à Voltaire, on n’y trouvera pas moins de vingt-huit morceaux de poésie française et latine, par tous les beaux esprits de la Touraine, entre autres un merveilleux sonnet où l’on compare le premier chantre d’Henri IV à un bastion:
Muni, pour tout fossé, de profonde science…
Qui pour mare a Maron, pour terrasse Térence.
[4] Cervantès avait cinquante-sept ans et demi lorsqu’il publia la première partie du Don Quichotte.
[5] Personnage proverbial, comme le Juif errant. Dans le moyen âge, on croyait que c’était un prince chrétien, à la fois roi et prêtre, qui régnait dans la partie orientale du Thibet, sur les confins de la Chine. Ce qui a peut-être donné naissance à cette croyance populaire, c’est qu’il y avait dans les Indes, à la fin du douzième siècle, un petit prince nestorien, dont les États furent engloutis dans l’empire de Gengis-Khan.
[6] C’est ce qu’avait fait Lope de Vega dans son poëme El Isidro.
[7] En effet, ce n’est point Horace, mais l’auteur anonyme des fables appelées Ésopiques. (Canis et Lupus, lib. III, fabula XIV.)
[8] Ces vers ne se trouvent point parmi ceux qu’on appelle Distiques de Caton; ils sont d’Ovide. (Tristes, elegia VI.)
[9] Don Antonio de Guévara, qui écrivit, dans une de ses Lettres, la Notable histoire de trois amoureuses. «Cette Lamia, dit-il, cette Layda et cette Flora furent les trois plus belles et plus fameuses courtisanes qui aient vécu, celles de qui le plus d’écrivains parlèrent, et pour qui le plus de princes se perdirent.»
[10] Rabbin portugais, puis médecin à Venise, où il écrivit, à la fin du quinzième siècle, les Dialoghi d’amore. Montaigne dit aussi de cet auteur: «Mon page fait l’amour, et l’entend. Lisez-lui Léon Hébreu… On parle de lui, de ses pensées, de ses actions; et si, n’y entend rien.» (Livre III, chap. v.)
[11] Cet ouvrage est justement le Peregrino ou l’Isidro de Lope de Vega, terminés l’un et l’autre par une table alphabétique des auteurs cités, et qui contient, dans le dernier de ces poëmes, jusqu’à cent cinquante-cinq noms. Un autre Espagnol, don José Pellicer de Salas, fit bien mieux encore dans la suite. Son livre, intitulé Lecciones solemnes a las obras de Don Luis de Gongora (1630), est précédé d’un index des écrivains cités par lui, par ordre alphabétique, et divisés en 74 classes, 2165 articles.
[12] Il y a dans le texte duelos y quebrantos; littéralement des deuils et des brisures. Les traducteurs, ne comprenant point ces mots, ont tous mis, les uns après les autres, des œufs au lard à la manière d’Espagne. En voici l’explication: il était d’usage, dans les bourgs de la Manche, que, chaque semaine, les bergers vinssent rendre compte à leurs maîtres de l’état de leurs troupeaux. Ils apportaient les pièces de bétail qui étaient mortes dans l’intervalle, et dont la chair désossée était employée en salaisons. Des abatis et des os brisés se faisait le pot-au-feu les samedis, car c’était alors la seule viande dont l’usage fût permis ce jour-là, par dispense, dans le royaume de Castille, depuis la bataille de Las Navas (1212). On conçoit comment, de son origine et de sa forme, ce mets avait pris le nom de duelos y quebrantos.
[13] Voici le titre littéral de ces livres: La Chronique des très-vaillants chevaliers don Florisel de Niquéa, et le vigoureux Anaxartes, corrigée du style antique, selon que l’écrivit Zirphéa, reine d’Agines, par le noble chevalier Feliciano de Silva. – Saragosse, 1584. Par une rencontre singulière, cette Chronique était dédiée à un duc de Bejar, bisaïeul de celui à qui Cervantès dédia son Don Quichotte.
[14] «Que j’achève par des inventions une histoire si estimée, ce serait une offense. Aussi la laisserai-je en cette partie, donnant licence à quiconque au pouvoir duquel l’autre partie tomberait, de la joindre à celle-ci, car j’ai grand désir de la voir.» (Bélianis, livre VI, chap. LXXV.)
[15] Gradué à Sigüenza est une ironie. Du temps de Cervantès, on se moquait beaucoup des petites universités et de leurs élèves. Cristoval Suarez de Figueroa, dans son livre intitulé el Pasagero, fait dire à un maître d’école: «Pour ce qui est des degrés, tu trouveras bien quelque université champêtre, où ils disent d’une voix unanime: Accipiamus pecuniam, et mittamus asinum in patriam suam (Prenons l’argent, et renvoyons l’âne dans son pays).»
[16] «Ô bastard! répliqua Renaud à Roland, qui lui reprochait ses vols, ô fils de méchante femelle! tu mens en tout ce que tu as dit; car voler les païens d’Espagne ce n’est pas voler. Et moi seul, en dépit de quarante mille Mores et plus, je leur ai pris un Mahomet d’or, dont j’avais besoin pour payer mes soldats.» (Miroir de chevalerie, partie I, chap. XLVI.)
[17] Ou Galadon, l’un des douze pairs de Charlemagne, surnommé le Traître, pour avoir livré l’armée chrétienne aux Sarrasins, dans la gorge de Roncevaux.
[18] Pietro Gonéla était le bouffon du duc Borso de Ferrare, qui vivait au quinzième siècle. Luigi Domenichi a fait un recueil de ses pasquinades. Un jour, ayant gagé que son cheval, vieux et étique, sauterait plus haut que celui de son maître, il le fit jeter du haut d’un balcon, et gagna le pari. – La citation latine est empruntée à Plaute (Aulularia, acte III, scène VI).
[19] Ce nom est un composé et un augmentatif de rocin, petit cheval, bidet, haridelle. Cervantès a voulu faire, en outre, un jeu de mots. Le cheval qui était rosse auparavant (rocin-antes) est devenu la première rosse (ante-rocin).