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«La douleur augmente, et avec elle augmente la honte dans l’âme de Pierre, quand le jour a paru. Et, bien qu’il ne soit aperçu de personne, il a honte de lui-même en voyant qu’il a péché: car, pour un cœur magnanime, ce ne sont pas seulement les yeux d’autrui qui excitent la honte; ne serait-il vu que du ciel et de la terre, il a honte de lui dès qu’il est en faute.»

«Ainsi, le secret ne saurait t’épargner la douleur: au contraire, tu auras à pleurer sans cesse, non les larmes qui coulent des yeux, mais les larmes de sang qui coulent du cœur, comme les pleurait ce crédule docteur que notre poëte nous raconte avoir fait l’épreuve du vase qu’avec plus de sagesse le prudent Renaud s’abstint de tenter [190]; et, bien que ce soit une fiction poétique, encore renferme-t-elle des secrets moraux dignes d’être compris et imités. Mais d’ailleurs ce que je vais te dire à présent achèvera de te faire connaître la grande faute que tu veux commettre. Dis-moi, Anselme, si le ciel, ou une faveur de la fortune, t’avait fait maître et possesseur légitime d’un diamant le plus fin, d’un diamant dont les qualités satisfissent tous les lapidaires qui l’auraient vu; si, d’une voix unanime, tous déclaraient que, pour l’éclat et la pureté de l’eau, il est aussi parfait que permet de l’être la nature de cette pierre précieuse, et que tu en eusses toi-même une opinion semblable, sans rien savoir qui pût te l’ôter; dis-moi, serait-il raisonnable qu’il te prît fantaisie d’apporter ce diamant, de le mettre entre une enclume et un marteau, et là, d’essayer à tour de bras s’il est aussi dur et aussi fin qu’on le dit? serait-il plus raisonnable que tu misses en œuvre cette fantaisie? Si la pierre résistait à une si sotte épreuve, elle n’y gagnerait ni valeur, ni célébrité; et si elle se brisait, chose qui pourrait arriver, n’aurait-on pas tout perdu? oui, certes, et de plus son maître passerait dans l’esprit de chacun pour un niais imprudent. Eh bien, mon cher Anselme, sache que Camille est ce fin diamant, dans ton estime et dans celle d’autrui, et qu’il n’est pas raisonnable de l’exposer au hasard de se briser, puisque, restât-elle intacte, elle ne peut hausser de prix; mais si elle ne résistait point, et venait à céder, considère dès à présent ce qu’elle deviendrait après avoir perdu sa pureté, et comme tu pourrais à bon droit te plaindre toi-même, pour avoir été cause de sa perdition et de la tienne. Fais bien attention qu’il n’y a point en ce monde de bijou qui vaille autant qu’une femme chaste et vertueuse, et que tout l’honneur des femmes consiste dans la bonne opinion qu’on a d’elles; et, puisque ton épouse possède l’extrême degré de sagesse que tu lui connais, pourquoi veux-tu mettre en doute cette vérité? Prends garde, ami, que la femme est un être imparfait; que, loin de lui susciter des obstacles qui la fassent trébucher et tomber, il faut, au contraire, les éloigner avec soin, et débarrasser son chemin de tout encombre, pour qu’elle marche d’un pas sûr et facile vers la perfection qui lui manque, et qui consiste dans la vertu. Les naturalistes racontent que l’hermine est un petit animal qui a la peau d’une éclatante blancheur, et que les chasseurs emploient pour la prendre un artifice assuré. Quand ils connaissent les endroits où elle a coutume de passer, ils les ferment avec de la boue; puis, la poussant devant eux, ils la dirigent sur ces endroits; dès que l’hermine arrive auprès de la boue, elle s’arrête et se laisse prendre, plutôt que de passer dans la fange, plutôt que de souiller sa blancheur, qu’elle estime plus que la liberté et la vie. La femme honnête et chaste est une hermine, sa vertu est plus blanche que la neige; celui donc qui veut qu’elle ne la perde pas, mais qu’elle la garde et la conserve précieusement, ne doit point agir avec elle comme les chasseurs avec l’hermine: qu’il se garde bien de mettre sur son passage la fange des cadeaux et des galanteries d’amants empressés, car peut-être, et même sans peut-être, elle n’a point en elle-même assez de force et de vertu naturelle pour renverser tous ces obstacles. On doit les aplanir, et ne placer devant elle que la pureté de la vertu, que la beauté qu’enferme la bonne renommée. La femme vertueuse est comme un miroir de cristal, clair et brillant, mais qui se tache et s’obscurcit au moindre souffle qui l’atteint. Il faut en user avec la femme vertueuse comme avec les reliques, l’adorer sans la toucher; il faut la garder comme un beau jardin rempli de roses et de toutes sortes de fleurs, où le maître ne permet de porter ni les pas ni la main: c’est assez que les passants puissent, de loin et par une grille de fer, jouir de sa vue et de ses parfums. Finalement, je veux te citer des vers qui me reviennent à la mémoire, et que j’entendis réciter dans une comédie moderne; ils viennent tout à point pour le sujet qui nous occupe. Un prudent vieillard conseille à un autre, père d’une jeune fille, de la tenir dans la retraite et de la garder soigneusement sous clef; entre autres propos, il lui dit: