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«Apprends, lui dit-il, apprends, Anselme, que depuis plusieurs jours je lutte avec moi-même, me faisant violence pour ne point t’avouer ce qu’il n’est ni possible ni juste de te cacher davantage; apprends que la forteresse de Camille a capitulé, qu’elle est rendue et prête à faire tout ce qu’il me plaira. Si j’ai tardé à te découvrir cette vérité fatale, c’est que je voulais voir si c’était de sa part un coupable caprice, ou bien si elle ne feignait de se rendre que pour m’éprouver et s’assurer que je menais sérieusement l’attaque amoureuse commencée avec ta permission. J’ai cru également que, si elle eût été ce qu’elle devait être, et ce que nous pensions tous deux, elle t’aurait déjà révélé mes poursuites. Mais, voyant qu’elle tarde à t’en faire l’aveu, je dois tenir pour sincère la promesse qu’elle m’a faite de me recevoir, la première fois que tu t’absenterais de chez toi, dans le cabinet qui te sert de garde-robe (et c’était là, en effet, que se rencontraient Camille et Lothaire). Toutefois, je ne veux pas que tu coures précipitamment tirer quelque vengeance de l’infidèle, puisque le péché n’est encore commis que par pensée, et qu’il pourrait arriver que, d’ici au moment de le commettre par action, cette pensée de Camille vînt à changer et qu’à sa place naquît le repentir; ainsi, comme jusqu’à présent tu as ponctuellement suivi mes conseils, hors en un point, suis encore un avis que je veux te donner maintenant pour que tu lèves tes doutes sans erreur possible, et que tu puisses agir en pleine connaissance de cause. Feins de t’absenter pour deux ou trois jours, comme cela t’est maintes fois arrivé, et fais en sorte de rester enfermé dans ta garde-robe, où les tapisseries et les meubles t’offriront un commode moyen de te cacher. Alors, tu verras par tes propres yeux, ainsi que moi par les miens, ce que veut Camille. Si son intention est coupable, comme c’est à craindre plus que le contraire à espérer, sans bruit, avec discrétion et sagacité, tu pourras être le vengeur de ton outrage.»

Le pauvre Anselme resta stupéfait et comme anéanti à cette confidence de Lothaire. Elle venait, en effet, le surprendre au moment où il s’y attendait le moins, car il croyait pieusement Camille victorieuse des feintes attaques de Lothaire, et commençait lui-même à goûter les joies du triomphe. Il demeura longtemps les yeux fixés à terre, immobile et silencieux; enfin il s’écria:

«Tu as agi, Lothaire, comme je l’attendais de ton amitié; en toutes choses j’ai suivi ton conseil; fais maintenant ce qui te semblera bon et surtout garde le secret qu’exige un événement si inattendu.»

Lothaire le lui promit, et, dès qu’il se fut éloigné, il se repentit amèrement de tout ce qu’il venait de dire, voyant avec quelle impardonnable étourderie il avait agi, puisqu’il aurait pu se venger lui-même de Camille, sans prendre une voie si cruelle et si déshonorante. Il maudissait son peu de jugement, se reprochait sa précipitation, et ne savait quel moyen prendre pour défaire ce qu’il avait fait, ou trouver au moins à sa sottise une raisonnable issue. À la fin il résolut de tout révéler à Camille, et, comme les occasions ne lui manquaient pas de la voir en secret, il alla ce jour même la trouver. Dès qu’elle l’aperçut, elle lui dit:

«Sachez, ami Lothaire, que j’ai au fond du cœur un chagrin qui me le déchire et le fera quelque jour éclater dans ma poitrine. L’effronterie de Léonella en est venue à ce point que, toutes les nuits, elle fait entrer un galant dans cette maison, et le garde auprès d’elle jusqu’au jour; jugez quel danger court ma réputation, et quel champ libre aurait pour m’accuser celui qui le verrait sortir de chez moi à ces heures indues. Mais ce qui m’afflige le plus, c’est que je ne peux ni la chasser ni la réprimander; car de ce qu’elle est la confidente de notre intrigue, j’ai la bouche fermée sur la sienne, et je crains bien que cela n’amène quelque catastrophe.»

Aux premières paroles de Camille, Lothaire crut que c’était un artifice pour lui persuader que l’homme qu’il avait vu sortir était venu pour Léonella et non pour elle; mais quand il la vit pleurer, se désoler, et lui demander son secours pour la tirer d’embarras, il reconnut enfin la vérité, ce qui accrut encore son repentir et sa confusion. Cependant il répondit à Camille qu’elle cessât de s’affliger, et qu’il trouverait bien moyen de mettre ordre à l’impudence de Léonella. Ensuite il lui confia tout ce que, dans le transport d’une fureur jalouse, il avait révélé à Anselme, et le complot qu’ils avaient tramé pour que celui-ci se cachât dans sa garde-robe et pût voir clairement de quelle déloyauté sa tendresse était payée. Il lui demanda pardon de cette folie, puis conseil pour la réparer et sortir de l’inextricable labyrinthe où les avait jetés sa fatale irréflexion. Camille fut épouvantée à l’aveu que faisait Lothaire, et commença par lui reprocher, avec un tendre dépit, et sa mauvaise pensée, et la résolution plus mauvaise encore qu’elle lui avait fait prendre. Mais, comme naturellement la femme a l’esprit plus tôt prêt que l’homme pour le bien et pour le mal, esprit qui lui échappe lorsqu’elle veut réfléchir mûrement, Camille trouva sur-le-champ le moyen de remédier à une faute si irrémédiable en apparence. Elle dit à Lothaire de faire en sorte qu’Anselme se cachât le lendemain, comme ils en étaient convenus, parce qu’elle espérait tirer de cette épreuve même une facilité pour que leur amour pût désormais se satisfaire sans alarme et sans effroi. Quoiqu’elle refusât de lui révéler entièrement son dessein, elle l’avertit qu’il ne manquât pas, lorsque Anselme serait dans sa cachette, d’entrer dès que Léonella l’appellerait, et qu’il prît garde de répondre à tout ce qu’elle pourrait lui dire, comme il ferait s’il ne savait pas qu’Anselme était caché près d’eux. Lothaire la pressa vainement d’achever de lui expliquer son intention, pour qu’il pût agir avec plus de prudence et de sûreté; Camille se borna seulement à lui répéter qu’il n’avait autre chose à faire qu’à répondre aux questions qui lui seraient adressées. Elle ne voulait pas le mettre plus au courant de ce qu’elle pensait faire, dans la crainte qu’il ne refusât d’exécuter un projet qu’elle trouvait excellent, et qu’il n’en cherchât d’autres beaucoup moins profitables.

Lothaire s’éloigna; et, le lendemain, sous prétexte d’aller à la maison de campagne de son ami, Anselme partit et revint aussitôt se cacher, ce qu’il put faire aisément, Camille et Léonella lui en ayant avec adresse préparé les moyens. Anselme donc, établi dans sa cachette, avec ces angoisses qu’on peut supposer à l’homme qui va voir de ses propres yeux faire la dissection des entrailles de son honneur, se croyait sur le point de perdre le souverain bien, qu’il plaçait en sa chère Camille. Une fois que celle-ci et Léonella furent bien assurées qu’Anselme était caché, elles entrèrent toutes deux dans le cabinet, et, dès qu’elle y eut mis le pied, Camille s’écria, en laissant échapper un grand soupir: