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 — Plus bas ! intima la fillette. Si tu cries comme un âne tout le monde va t’entendre... et Élisabeth, qu’est-ce qu’elle dit de tout ça ?

 — Rien du tout ! Elle a même l’air de trouver que c’est très bien. Quand je suis rentré hier soir, il était un peu tard et tout le monde était à table. J’aurais voulu que tu voies ! On aurait dit que le garçon avait toujours été là. Et le pire... c’est qu’il ressemble à Père... beaucoup plus que moi !

Colère et chagrin, il y avait tout cela dans la voix d’Adam qui éclata soudain en sanglots :

 — Tu ne peux pas savoir... l’effet que ça m’a fait... de le voir installé là... comme chez lui ! Et il me regardait... ce voleur... il me regardait comme s’il se moquait... Je... je n’ai pas pu... le supporter.

Amélie vint s’asseoir près de son ami, tira de la poche de son tablier un petit mouchoir pas trop propre et entreprit d’essuyer ses larmes. La douleur d’Adam la bouleversait. C’était la première fois qu’elle le voyait pleurer et un début de rancune à l’égard de Guillaume commençait à gonfler dans son cœur.

 — Qu’est-ce que tu as fait alors ?

J’ai quitté la table et j’ai... couru m’enfermer... dans ma chambre.

 — Et personne n’est venu te rejoindre ?

Si... mon père d’abord mais je ne lui ai même pas répondu... Après... il y a eu Élisabeth. J’ai dit que... je voulais qu’on me laisse dormir...

 — Mais comment as-tu fait pour t’échapper ? Personne ne t’a vu ?

 — C’était dans la nuit. J’ai attaché mes draps à ma fenêtre et je suis descendu...

 — Et tu es venu ici tout de suite ?

 — Oui. Je te l’ai dit : je voulais te voir...

 — Comment ça se fait que tu n’aies pas été d’abord à Escarbosville ? Julien de Rondelaire n’est plus ton meilleur ami ?

 — Si mais, justement, c’est là qu’on me cherchera en premier. Et puis, il y a l’abbé. Rien à faire pour lui cacher quelque chose : Julien ne bouge pas un doigt sans son avis et on m’aurait ramené. Et moi, je ne veux pas...

Amélie se sentit un peu désemparée. Une détermination aussi farouche chez un garçon toujours si paisible et si aimablement farfelu la désorientait. Elle avait l’impression qu’en une seule nuit Adam venait de vieillir de plusieurs années. Et qu’il était en train de faire une grosse bêtise. Mais, peut-être qu’en essayant de le raisonner ?...

 — Et où veux-tu aller ?

 — J’y ai beaucoup pensé cette nuit en préparant mes affaires. Le mieux est que j’aille chez ma marraine. Elle m’aime bien et je suis certain qu elle pourra comprendre pourquoi je suis parti.

 — Tante Flore ? s’écria la fillette stupéfaite. En voilà une idée ? Tu sais bien qu’en cette saison elle n’est jamais à la Becquetière ?

 — Bien sûr. Elle habite un château à côté de Paris. Seulement je ne sais pas où. C’est aussi pour ça que je viens te voir : il faut que tu me donnes son adresse.

 — Tu ne lui écris jamais ?

 — Si, mais je remets toujours ma lettre à Père et c’est lui qui l’envoie avec un billet de sa main...

Amélie se sentait de plus en plus mal à l’aise. Elle avait très envie d’aider Adam mais se demandait tout de même si, sous le coup du chagrin, il ne perdait pas l’esprit. Elle lui dit que Paris était loin, à des jours et des jours de diligence et que, de toute façon, il fallait de l’argent pour y prendre place :

 — J’en ai. Tu penses bien que j’ai emporté mes économies.

Il sortit de sa poche une petite bourse de soie verte contenant cinq louis d’or. En effet, dès qu’ils atteignaient l’âge de sept ans — l’âge de raison — , Guillaume, pour habituer ses enfants à la valeur de l’argent, leur remettait solennellement une pièce d’or à chacun de leurs anniversaires en accompagnant son présent d’un petit discours plein de sagesse.

Amélie ouvrit de grands yeux. Chez les Varanville, et bien que Rose eût réussi à sauvegarder une partie de sa fortune, on n’avait pas de ces munificences. Sauf pour Alexandre en tant que fils aîné. Les filles, si on leur donnait un peu d’argent, recevaient surtout des présents de coquetterie. La fillette admira donc le trésor sans envie, mais éprouva tout de même un peu d’inquiétude.

 — Surtout ne montre ça à personne : tu risques de te faire voler. Maman dit toujours qu’il y a de plus en plus de malandrins...

 — Sois tranquille, je ferai attention. Alors, s’il te plaît, essaie d’obtenir qu’on t’explique le chemin pour aller chez ma marraine ! Oh... et puis si tu pouvais me donner quelque chose à manger. Je crois que je n’ai jamais eu aussi faim...

 — D’autant que tu n’as pas dû manger grand-chose au souper d’hier... Je vais voir ce que je peux te trouver mais surtout ne bouge pas d’ici et ne fais pas de bruit...

Au moment de franchir la porte branlante, Amélie s’arrêta :

 — J’ai dans l’idée que tu vas parcourir beaucoup de chemin pour pas grand-chose. Je sais bien que Tante Flore t’aime beaucoup mais il y a son époux qui est l’ami de ton père. Il va te renvoyer à la maison.

 — Je ne crois pas. Ma marraine fait ce qu’elle veut de M. de Bougainville et quand je lui aurai expliqué que je veux aller dans une grande école comme ton frère pour devenir un vrai savant, je suis certain qu’elle m’aidera. Et puis, quand j’en saurai assez, je partirai pour un pays lointain...

 — Alors, on ne se verra plus ? fit la petite déjà prête à pleurer. Et ça t’est égal !

Il se leva vivement et vint l’embrasser :

 — Mais non, grosse bête ! Ça me ferait trop de peine à moi aussi. Quand je serai grand on se mariera et tu partiras avec moi...

Rassérénée, elle lui rendit son baiser et se glissa hors du vieux colombier pour se diriger vers la maison. Ravitailler Adam ne présentait pas de grandes difficultés. On ne fermait jamais le fruitier ni la laiterie. Quant à la cuisine, c’était la chose la plus aisée du monde de s’y procurer un morceau de pain. Il suffisait de se servir s’il n’y avait personne ou d’annoncer qu’on avait faim.

La chance était avec Amélie. La cuisine lui parut déserte. Sans se soucier de l’endroit où pouvait bien être Marie Gohel, l’enfant tailla un bon morceau de pain pris dans la huche, hésita un peu devant les rayonnages où la cuisinière rangeait les pots de confitures qui faisaient sa gloire et dont elle avait le secret. Peut-être les comptait-elle ? De toute façon, il y en avait beaucoup et Amélie pensa qu’en rapprochant les pots d’une rangée, on ne s’apercevrait pas tout de suite qu’il en manquait un. Et puis Adam les adorait, ces confitures. Son amie pouvait bien courir un risque pour lui. Ce serait un cadeau d’adieu bien qu’elle n’aimât pas beaucoup le mot...

Se rendant ensuite au fruitier, elle y rangea ses larcins dans un petit panier, ajouta deux belles pommes et autant de poires d’hiver, puis s’en alla visiter la laiterie où elle se livra, avec les fromages en train de sécher, à la même opération qu’avec les confitures. Un petit pot de lait compléta le panier que, le cœur un peu affolé par toute cette suite d’audaces et la peur d’être prise, elle se hâta de porter à l’habitant du pigeonnier. Le tout sans avoir rencontré âme qui vive, ce qui la réconforta et lui donna l’impression qu’elle accomplissait une œuvre bénie du Ciel.

Adam se jeta sur la nourriture en affamé. Amélie le regarda un instant dévorer sans rien dire puis remarqua tandis qu’il mordait dans une pomme :

 — Comment vas-tu faire pour prendre la diligence ? C’est loin Valognes...

 — J’ai pensé à tout. Bien sûr c’est loin mais Saint-Pierre-Église n’est guère qu’à deux petites lieues d’ici et le chemin est facile. Je vais me reposer toute la journée et je partirai cette nuit. Au matin, je trouverai bien le moyen de grimper dans une charrette de choux pour aller à Cherbourg... et là je prendrai la diligence. Je sais qu’elle part après-demain. Tu vois, c’est simple ! A présent, je vais dormir un peu... mais n’oublie pas mon adresse...