Выбрать главу

En l’apercevant, elle eut pour lui un joli geste de sa petite main gantée de suède fin.

 — Ce cher Jeremiah Brent ! C’est une joie de retrouver un visage ami en terre lointaine !... Et quelle surprise !

 — Surprise ? Votre Grâce savait pourtant que j’accompagnais Arthur ? articula le jeune homme, blessé dès le premier mot.

 — Pardonnez-moi ! Je crois que je l’avais oublié !... Et pas de Votre Grâce, s’il vous plaît ! Ce titre ne me convient pas...

Et elle lui tourna le dos pour diriger sur le seul Guillaume l’éclat d’un inimitable sourire, laissant le malheureux définitivement ulcéré.

Cependant se rangeaient tout naturellement du côté de l’accablement Potentin, Mme Bellec, Lisette, Béline et le reste du personnel des Treize Vents, fatigué par une dure journée de travail commencée avant l’aube et à qui cette arrivée imprévue apportait un surcroît de peine : au lieu d’un repos bien gagné, il allait falloir se remettre à la tâche, cuisiner un repas, dresser la table dans la salle à manger, réendosser les livrées d’apparat et, bien entendu, préparer des chambres. En outre, si l’on en jugeait par l’abondance des caisses, malles, cartons à chapeaux, couvertures de voyage, paniers et sacs de toute sorte que Valentin, Colas et deux garçons d’écurie étaient en train d’empiler sur les dalles de marbre blanc, il ne s’agirait pas d’un séjour d’une ou deux nuits. La belle dame avait certainement l’intention de rester quelque temps.

Pour sa part, Guillaume, s’il retrouvait l’éblouissement de sa première rencontre avec cette incroyable beauté, n’était pas loin de partager l’ennui de ses gens dont il sentait la déception : il n’avait jamais beaucoup aimé les surprises et s’il goûtait de recevoir largement, il détestait y être contraint, surtout à un moment où il souhaitait jouir d’une soirée paisible dans sa maison. Il en était fâché, presque autant que de devoir accueillir cette altière Anglaise dans un accoutrement tout juste bon à courir les champs. Enfin l’entrée en scène d’une évocation du passé d’Arthur précisément le jour où l’on venait de célébrer le début de sa nouvelle existence l’inquiétait : il craignait instinctivement que l’équilibre de l’enfant en fût compromis.

Néanmoins, esclave courtois des sévères lois de l’hospitalité, il fit grand accueil aux deux voyageuses — seule la présence de Kitty lui faisait vraiment plaisir ! — en mettant sa demeure, ses gens et lui-même à leur disposition et en leur assurant que l’on ferait tout pour qu’elles ne regrettent pas leur long parcours depuis Londres.

 — La mer n’était guère clémente, ces jours derniers, ajouta-t-il. J’espère que vous n’en avez pas trop souffert !

Lorna Tremayne se mit à rire :

 — Pas du tout ! Nous ne venons pas d’Angleterre mais bien de Paris. Je désirais revoir des amis, faire quelques folies. C’est une ville qui a tant de charme quand les ruisseaux se contentent de charrier des détritus et non du sang...

L’arrivée en trombe d’Arthur qui dévalait l’escalier suivi d’Adam détourna son attention. Elle lui tendit les bras :

 — Eh bien, cher petit frère ? Ne vous avais-je pas promis de venir voir comment vous vous trouviez de vivre en terre de France ?

Après lui avoir rendu son baiser, le jeune garçon recula de quelques pas pour la regarder droit dans les yeux :

 — Je crois que je suis heureux, dit-il gravement. C’est bon d’avoir une vraie famille, vous savez ? Et plus encore puisque vous vous y joignez ! J’avoue cependant que je ne vous espérais pas si tôt. Qu’avez-vous fait de votre époux ?

 — Rien du tout pour le moment ! Sa Grâce veut bien se contenter du rôle de fiancé patient depuis que je lui ai fait comprendre qu’il était difficile de se marier en grand deuil. Je l’ai laissé à ses courses de chevaux, ses combats de boxe, ses conférences avec son tailleur, ses paris stupides et ses beuveries avec le prince de Galles ! Mais nous en parlerons plus tard, ajouta-t-elle d’un ton léger. Ce que nous souhaitons avant tout, Kitty et moi, c’est nous réchauffer. Tandis que l’on réparait nous avons subi un vent polaire...

 — Venez par ici ! invita Guillaume en lui prenant la main. Nous n’avons pas que du vent mais aussi de bons feux.

 — Ne pourrait-on me conduire plutôt à ma chambre ? J’aimerais me détendre, me changer... Cette route m’a épuisée et je dois être affreuse...

Guillaume n’eut pas le temps de protester. Haute, claire mais aussi froide que le vent mentionné, la voix d’Élisabeth se fit entendre depuis la courbe de l’escalier :

 — La chambre jaune sera prête dans peu d’instants, dit-elle. En attendant, Père, vous devriez conduire madame au petit salon. Je vais lui faire porter de quoi se restaurer.

D’un mouvement plein de grâce, Lorna se détourna pour considérer la mince silhouette qui la fixait d’un œil nuageux en descendant lentement vers elle.

 — Une simple tasse de thé devrait suffire en attendant le souper, soupira-t-elle.

 — C’est qu’en principe nous ne souperons pas ce soir. Le dîner de Noël a été des plus copieux et nous comptions nous contenter de grignoter quelque chose à la cuisine avec peut-être un peu de soupe. Je doute que cela vous convienne... A propos, je suis Élisabeth Tremaine !

La jeune fille était arrivée à la hauteur de la visiteuse que ses yeux gris, froidement scrutateurs, dévisageaient sans indulgence : seule expression d’antipathie que la bienséance lui autorisât. En effet, depuis que de sa fenêtre elle avait assisté à l’arrivée de la berline, Élisabeth s’était sentie envahie d’une crainte étrange qui s’aggrava lorsquelle découvrit la splendeur de cette inconnue. Pareille beauté ne pouvait être que dangereuse ! Un instinct quasi animal lui soufflait d’avoir à s’en méfier.

Lorna leva les sourcils avec un petit rire assez insolent :

 — Vous avez de curieuses coutumes pour des châtelains.

 — C’est que nous n’en sommes pas. En construisant cette maison, mon père n’a jamais voulu en faire un château. Un manoir, une gentilhommière, tout ce que vous voudrez ! Rien d’autre...

 — Cela y ressemble tout de même beaucoup, mais soyez sans crainte, je saurai m’en accommoder... Au fait : nous sommes cousines puisque mon père, sir Richard Tremayne, était votre oncle...

Plutôt étonné — un peu amusé aussi — par cette passe d’armes inattendue, Guillaume jugea qu’il était temps de s’en mêler : la jeune et toujours si charmante hôtesse des Treize Vents était en train de se transformer en un petit coq de combat.

Il n’arrivait pas à lui donner tout à fait tort d’ailleurs. La belle Anglaise se comportait comme en pays conquis. En outre, la référence à Richard, le traître, le demi-frère détesté, et cela sous son propre toit, lui était franchement désagréable mais il convenait cependant de respecter les usages. Posant une main apaisante sur l’épaule de sa fille, il lui sourit en disant :

 — Accordez, s’il vous plaît..., ma nièce, quelque indulgence à une jeune maîtresse de maison qui vient de subir une rude journée et qui ne perd jamais de vue la fatigue de ses gens ! Vous n’en êtes pas moins la très bien venue ! Mettez-vous à l’aise tandis que Mme Bellec prendra soin de Kitty. Je vous la recommande, Clémence ! C’est une ancienne amie...