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Le cœur d’Élisabeth se serra. Pour rien au monde elle n’aurait voulu blesser ce jeune frère tombé du ciel et devenu si cher. D’autre part, nier le charme de la morte n’eût été qu’un mensonge puéril. Elle glissa son bras sous celui du jeune garçon :

 — C’est peu dire ! Je suis certaine qu’elle était mieux encore ! dit-elle doucement. C’est un très beau cadeau grâce auquel tu te sentiras moins exilé ici. Je vais dire à Potentin de l’accrocher dans ta chambre. Ainsi tu sentiras davantage encore sa présence à tes côtés.

Heureux de ce qu’elle venait de dire, Arthur l’embrassa. Lorna sortit alors de la tasse de thé qu’elle dégustait avec un plaisir évident pour remarquer avec nonchalance :

 — Est-ce si urgent ? C’est, je le rappelle, l’œuvre d’un grand peintre qui ne déparerait pas l’harmonie de ce salon, bien au contraire. J’en connais qui seraient fiers de le pendre à une place d’honneur et non au fond d’une chambre...

Il s’agissait là d’une provocation flagrante qu’une femme avertie eût balayée d’une boutade ou d’une pirouette, mais Élisabeth était trop jeune pour être habile à l’escrime de salon.

 — Je ne vois pas où le portrait d’une mère pourrait être mieux que dans la chambre de son fils ? Vous l’avez bien apporté pour lui et non pour la famille ?

 — Pourquoi pas à l’intention des deux ? Après tout, ma chère enfant, il s’agit de votre tante.

 — Peut-être, mais il est des parentés qu’il vaut mieux ne pas afficher. En outre, vous pourrez constater en faisant le tour de nos pièces de réception qu’il n’y a ici aucun portrait de ma mère. Sa brève existence dans cette maison s’est déroulée pendant une époque de bouleversements et de violence où l’on n’avait guère le loisir de poser pour un peintre. Aussi aucun de nos amis ne comprendrait que lady Astwell trône en effigie dans les salons de Mme Tremaine. Si ce... détail dépasse votre entendement, je le regrette mais sachez que moi je ne le tolérerai pas ! Je vous souhaite le bonsoir, madame !

Un bref signe de tête et la jeune fille quittait la pièce en quelques pas rapides, poursuivie par le rire en cascatelle de la belle Anglaise. Sa voix même lui parvint avant que la porte ne fût refermée :

 — Quelle enfant impulsive ! Je ne m’attendais pas à pareille réaction. Loin de moi la pensée de blesser qui que ce soit...

 — Je vous demande excuses pour son comportement, fit Guillaume avec un rien de sévérité. Mais c’est à elle, en tant que maîtresse de maison, de décider de ce qui doit entrer ou non dans les pièces communes. Depuis la mort de sa mère elle assume ce rôle à mon entière satisfaction... De toute façon, je vous rappelle vos paroles : c’est pour Arthur que sir Christopher vous a remis ce portrait. Étant donné la place qu’il occupait chez lui, je ne crois pas qu’il nous approuverait de vouloir en faire un simple élément décoratif. Arthur, j’espère que tu ne tiendras pas rigueur à ta sœur de ce qu’elle...

 — Non, Père, soyez sans crainte ! Moi, j’ai très bien compris ! Monsieur Brent, puis-je vous demander de m’aider à porter mon cadeau chez moi ?

 — Bien sûr, Arthur ! Si vous voulez bien m’excuser, miss Lorna !

 — Et moi je vais demander à Potentin ce qu’il faut pour l’accrocher, déclara Adam. A nous trois, nous trouverons la meilleure place.

Le tableau disparut avec eux. Guillaume et Lorna demeurèrent seuls et en silence. Lui s’était dirigé vers une fenêtre pour regarder le vent nocturne secouer les cimes des arbres. Elle achevait tranquillement la collation qu’on lui avait servie. Après une dernière tasse de thé, elle se leva et vint vers lui :

 — Il me semble que je ne suis pas aussi bienvenue que je l’imaginais, murmura-t-elle avec une tristesse à laquelle il fut sensible.

 — Je serais navré que vous ayez cette impression. Chez nous, en Cotentin, quiconque vient frapper à la porte doit être reçu avec honneur et ma fille le sait. Peut-être même sait-elle trop de choses ! Parmi tout cela, il en est, bien sûr. qui lui sont plus sensibles. Tâchez de ne pas lui en vouloir. Demain, à la lumière du jour. tout ira mieux...

 — Ce n’est pas à elle que j’en veux mais à vous qui lui donnez raison. J’espérais, je l’avoue, que vous seriez heureux d’avoir jour après jour cette image sous les yeux.

La réponse vint aussitôt, brutale, formelle :

 — Non. Cette image, comme vous dites, n’est pas celle de la femme que j’aimais ; celle-là est gravée en moi et ne s’effacera plus. Aussi n’ai-je que faire de l’œuvre de Mr Lawrence : elle représente la mère d’Arthur, l’épouse de sir Christopher. Pas Marie-Douce ! J’aurais dû comprendre plus tôt que, le jour où elle m’a dit adieu, tout était vraiment fini...

 — C’est vous, n’est-ce pas, qui l’aviez baptisée ainsi ?

 — Oui. C’était venu tout naturellement : elle avait quatre ans et moi sept ! Dieu qu’elle était adorable ! Et je l’ai adorée ! conclut Guillaume avec un mince sourire. Seulement tout était contre nous... même l’Histoire avec un grand H !

 — Et surtout ma grand-mère ! Je crois que vous êtes l’être qu’elle déteste le plus au monde. Elle vous haïssait déjà quand vous étiez enfant et elle a failli mourir de fureur quand elle a su qu’Arthur était de vous.

 — Seulement failli ? C’est bien dommage.

On gratta à la porte et Kitty parut, déjà revêtue de sa tenue de camériste — robe noire, tablier, bonnet et manchettes de batiste blanche. Elle venait annoncer que la chambre de Miss Lorna était prête à l’accueillir. On lui avait même préparé un bain.

 — Merveille ! s’écria la jeune femme. J’arrive tout de suite Kitty !... Je crois, ajouta-t-elle en se tournant vers Guillaume, que je ne vous imposerai pas davantage ma présence pour ce soir ! Après ce bain, seul le lit sera le bienvenu. Je vous souhaite le bonsoir... mon oncle !

Pensant qu’elle allait lui tendre la main, il inclina son buste mais elle le saisit aux épaules et posa sur sa joue des lèvres infiniment douces et chaudes puis, reculant vivement, elle darda sur lui le scintillement de son regard :

 — Dieu que je déteste vous appeler ainsi ! C’est tout juste bon pour un vieil homme !

 — Mais je suis un vieil homme !

Elle eut un petit rire en considérant la longue silhouette maigre et musclée, les larges épaules et la tête rousse, si durement sculptées, les cheveux drus à peine argentés aux tempes.

 — Ne dites pas de sottises, lança-t-elle avec une brusque colère. Vous êtes un homme, tout simplement, mais un vrai. Le seul, sans doute, que j’aie jamais rencontré jusqu’à présent ! A part peut-être sir Christopher, mais celui-là était un saint...

 — Pas moi ! protesta-t-il

 — Je sais. Vous ressembleriez plutôt à un démon... Tout compte fait, je crois que j’aimerais vous appeler Guillaume... Nous appartenons à une famille tellement bizarre ! Il me semble que cela simplifierait nos relations. Après tout, vous n’êtes qu’une moitié d’oncle et mon frère vous appelle Père !

Elle sortit sans attendre une réponse qui ne lui eût peut-être pas convenu. Guillaume doutait, en effet, qu’une nouvelle entorse aux convenances fut du goût d’Élisabeth. déjà tellement prévenue contre la visiteuse. Si celle-ci se mettait à lui donner du « Guillaume », on allait au massacre !...

Cependant, il serait peut-être bon d’essayer de raisonner un peu la jeune furie et de l’inciter à la patience. Il n’entrait certainement pas dans les projets d’une jeune femme aussi brillante que Lorna de s’attarder plus que de raison dans un manoir campagnard accroché à un rocher du bout du monde où les distractions se faisaient rares, surtout en hiver. Quelques jours tout au plus et la voyageuse repartirait... C’était ce qu’il fallait faire comprendre à Élisabeth, en ajoutant qu’au cours de son existence il lui arriverait encore de recevoir des gens plutôt mal venus.