Pour y échapper, il arracha son habit, sa cravate, ouvrit la porte et se précipita sous la pluie battante. En un instant il fut trempé. Une rafale manqua le faire tomber. Pourtant, il resta là, les bras en croix, prêt à accueillir toute cette violence dont il espérait cependant l’apaisement...
C’est alors qu’il entendit Lorna crier.
Un gémissement d’abord qui lui parvint difficilement au milieu de la tourmente, puis un râle et pour finir un véritable hurlement. Guillaume rentra vivement juste à temps pour voir Gilles Perrier accourir. Les regards des deux hommes se croisèrent puis remontèrent vers les poutres du plafond :
— Un cauchemar peut-être ? émit Guillaume. Elle y est sujette. J’y vais !
Sans même songer à se sécher, il grimpa l’escalier et se jeta dans la chambre dont la porte n’était pas fermée. Assise dans son lit au milieu de ses cheveux d’or rouge répandus sur ses épaules nues, les mains nouées devant sa bouche, les joues inondées de larmes et les yeux agrandis d’horreur, la jeune femme haletait aux prises sans doute avec un retour de la terreur laissée par sa crainte de la maladie.
— Guillaume !... Oh ! Guillaume ! gémit-elle en le voyant surgir.
Aussitôt, elle se jeta hors de son lit les bras ouverts et vint s’abattre sur sa poitrine dont l’humidité la surprit. Cependant, elle ne s’écarta qu’à peine :
— Mon Dieu... vous êtes mouillé ?
— Oui... j’étais dehors... j’avais besoin...
Il bredouillait mais déjà elle s’activait à arracher le linge trempé, caressant plus qu’essuyant les muscles durs avant de se couler à nouveau contre lui non sans s’être, d’un rapide mouvement, débarrassée de ses dentelles humides. Dans un geste dérisoire pour la repousser, Guillaume sentit contre sa paume la rondeur soyeuse d’une épaule, contre sa peau celles, affolantes, de deux seins arrogants. Le corps de Lorna semblait fait de satin tiède. Il était la source offerte aux lèvres desséchées d’un homme mourant de soif et, quand la jeune femme colla sa bouche à la sienne, elle aspira le peu qui lui restait de volonté. Sans rompre le baiser, il la poussa sur le lit, acheva fébrilement de se dévêtir et s’abattit sur elle. Incapable de se contenir plus longtemps, il s’empara d’elle avec une violence qui arracha à la jeune femme un cri de douleur vite changé en un ronronnement heureux...
Ils firent l’amour pendant des heures sans un mot, chacun d’eux attentif à découvrir les secrets du corps de l’autre et à en tirer un plaisir toujours plus aigu. C’était comme s’ils ne pouvaient se rassasier. Les forces de l’homme semblaient inépuisables, réveillées d’ailleurs par la femme qui, avec une science subtile, leur redonnait vie lorsqu’elles semblaient faiblir... Pourtant il finit par s’endormir.
Peu de temps avant l’aube, Lorna réveilla Guillaume.
— Il faut que tu redescendes, mon amour !... Ton gardien ne doit rien soupçonner.
— Tu... tu as raison...
Titubant de fatigue, il ramassa ses vêtements à l’aveuglette et regagna la salle. Le feu s’était éteint. Il y faisait froid. Frissonnant, il s’enfouit sous les couvertures et s’anéantit à nouveau dans un sommeil profond. De son côté, Lorna remettait quelques bûches dans sa cheminée, s’étirait voluptueusement puis retournait s’étendre dans son lit... Elle souriait. Quelle nuit !... et quel amant ! Elle avait toujours été certaine que ce serait une expérience inoubliable pour l’un comme pour l’autre. Elle l’était plus encore à présent : sans doute ne serait-il plus besoin de recourir à la petite fiole contenant un liquide à base de cantharide pulvérisée dont elle avait réussi à faire glisser quelques gouttes dans le vin de Guillaume tandis qu’à sa demande il allait tisonner le feu et remettre un peu de bois. Le résultat s’était révélé miraculeux, cependant Lorna considérerait comme une injure à son charme s’il lui fallait s’en servir encore. L’homme qu’elle avait voulu si ardemment ne pourrait plus jamais lui échapper...
Sur cette grisante certitude, elle s’endormit à son tour.
Lorsqu’elle descendit vers le milieu de la matinée, fraîche et rayonnante, elle vit tout de suite que Guillaume l’était beaucoup moins. Il se tenait debout, jambes écartées, mains nouées dans le dos, devant l’une des petites fenêtres et ne se retourna pas au bruit allègre de talons hauts sur les marches de l’escalier. Tout dans son attitude criait la mauvaise humeur.
— Eh bien ? fit-elle gaiement, espérant vaguement qu’il allait venir à elle les bras tendus. Est-ce là votre façon de me dire bonjour ?
— Bonjour ! murmura-t-il et, comme il virait lentement sur lui-même, elle eut un peu peur devant ses traits tirés et ses yeux injectés de sang qui l’enveloppaient d’un regard lourd de rancune : celui d’un loup malade et d’autant plus hargneux. Il désigna la table sur laquelle se trouvaient du pain, du beurre, du miel et des tasses dont l’une avait servi.
— Installez-vous et mangez ! Je vais vous chercher du café. Ensuite nous partirons...
Sans même attendre sa réponse, il gagna la cuisine mais, quand il revint armé d’une cafetière, elle était toujours à la même place, debout sur la dernière marche de l’escalier, une main sur la rampe.
— Vous n’êtes pas encore assise ? aboya-t-il. Qu’attendez vous ?
— Que vous me parliez sur un autre ton !
Vibrante d’une colère chargée de déception, la réplique partit comme une flèche et atteignit son but. D’un geste las, Guillaume déposa le récipient d’argent puis alla reprendre son poste devant la fenêtre. Tout de suite, alors, elle fut près de lui ce qui le fit frissonner, fermer les yeux et cependant dilater les narines : elle sentait la jeunesse, les fleurs... l’amour, subtil mélange où, la veille, sa raison s’était enlisée. Pourtant, quand elle parla, ce fut avec beaucoup de gentillesse :
— Que vous ai-je fait, Guillaume ? Dois-je demander pardon pour ce qui s’est passé ? Je ne me souviens pourtant pas de vous avoir violé ?
— Non. Ce serait plutôt moi et je devrais vous offrir des excuses mais je ne sais lesquelles sinon que j’ai dû devenir fou à un moment ou à un autre. Cela tient à ce que j’avais envie de vous à un point inimaginable...
— Je peux très bien imaginer, au contraire : j’avais la même...
— C’est impossible ! Comprenez donc ! Lorsque je vous ai entendue crier, je me suis senti heureux, délivré puisque je pouvais courir vers vous. Le diable m’envoyait le prétexte dont j’avais besoin.
— Laissez le diable où il est c’est-à-dire bien loin de nous. N’avez-vous pas été heureux ?
— Si... divinement !
— Et ce matin vous ne l’êtes plus ?
— Non... Je me dégoûte. Quel homme suis-je donc pour avoir osé cette infamie : posséder la fille de mon frère.
— Oh, ne recommencez pas avec cette sottise ! Elle est indigne de nous. Sachez-le, Guillaume, vous n’avez fait que prendre ce qui vous appartenait déjà. Depuis le premier regard, j’ai été à vous... Et regardez-moi, s’il vous plaît ! Osez me regarder en face ! ajouta-t-elle en le prenant aux épaules.
— Voilà !... Je vous regarde.
— Que voyez-vous ?
— La pire tentation que j’aie jamais subie. Une femme...
— Qui t’aime avec passion ! Une femme qui a tout quitté pour toi, qui t’a voulu de tout son être et qui tremble de joie depuis qu’elle est tienne. Si tu savais comme je t’aime, Guillaume !...
Les larmes emplissaient ses yeux. Cependant elle souriait et ce sourire mouillé n’en était que plus rayonnant. Elle ajouta alors, presque bas :
— Est-ce que je ne devrais pas être déjà dans tes bras ?... Ou bien n’as-tu plus du tout envie de me donner le baiser que j’attends ?