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Jamais elle n’avait été plus sincère qu’à cet instant : de toutes les fibres de son corps, elle appelait cet homme conquis de haute lutte et qu’elle voulait garder. Cette vérité triompha : incapable de résister plus longtemps à l’enchantement, il l’attira contre lui et prit sa bouche longuement, retrouvant avec une sombre délectation les divines sensations de la nuit.

Le bruit des pas de Perrier qui approchait et nettoyait ses semelles au racloir de la porte les sépara. Quand il entra, Lorna, assise à table, versait du café dans une tasse qu’elle offrit à Guillaume avant de se servir elle-même. Elle lui sourit en répondant à son bonjour puis elle demanda :

 — On dirait que la tempête est finie. J’ai regardé le ciel de ma fenêtre : les nuages vont vite mais ne semblent guère menaçants.

 — Le vent a tourné. Peut-être aurons-nous un peu de soleil dans la journée... Est-ce que vous nous restez un peu, Monsieur Guillaume, ou bien dois-je préparer votre voiture avant d’aller ramasser toutes les branches mortes qui jonchent le jardin ?

 — Préparez la voiture ! Nous partirons d’ici une heure...

 — Non, fit Lorna en se beurrant tranquillement une tartine. Partez si vous voulez. Moi je reste...

Tremaine changea de couleur. Ses sourcils froncés indiquèrent à Gilles Perrier qu’il serait plus discret de s’écarter. Celui-ci sortit donc en marmottant quelque chose de parfaitement indistinct. Aucun des deux n’y prêta grande attention. Cependant, connaissant l’avantage que donne l’attaque, Lorna s’expliquait : elle savait bien qu’à l’origine ils ne devaient faire qu’un aller et retour mais sa décision à elle se trouvait singulièrement modifiée depuis qu’elle avait découvert la maison.

 — J’ai envie d’y passer quelques jours, dit-elle. Rentrer aujourd’hui, c’était bon quand je pensais que nous allions dormir dans quelque auberge de campagne, mais à présent je me sens chez moi : il est normal que je désire en profiter un peu.

 — Ne jouez pas à ce jeu-là avec moi, Lorna ! On nous attend aux Treize Vents ! Si nous ne rentrons pas, ils vont s’inquiéter.

 — Si « vous » ne rentrez pas ! Quant à moi, j’en sais qui seront plutôt contents d’une absence inespérée... Cela dit, je ne joue pas et je vous invite fermement à repartir...

 — C’est ridicule ! Vous n’avez pas assez de bagages, pas de femme de chambre...

 — Et alors ? Je peux très bien m’en passer et c’est même ce que je souhaite. En outre, sous la garde de M. Perrier et de son chien, je n’ai sûrement pas grand-chose à craindre...

 — Ce n’est pas ça qui me tourmente. Vous seriez ici en parfaite sécurité mais...

 — Pas de mais ! Enfin, je ne serai pas mécontente de connaître cette Jeannette qui fait des miracles. Je suis certaine de très bien m’entendre avec elle.

Puis, allongeant le bras à travers la table pour saisir la main de Guillaume :

 — Passez-moi ce caprice, mon amour... et revenez me chercher disons... dans une semaine ?

 — Je ne reviendrai certainement pas ! J’enverrai Daguet...

 — Alors c’est moi qui ne reviendrai pas ! Et ce n’est pas une parole en l’air... Ou vous viendrez me chercher seul, comme vous m’avez amenée ou bien... je ne sais pas ! Peut-être prendrai-je racine ici en attendant que quelqu’un veuille bien s’occuper de moi ? acheva-t-elle sur un ton léger accompagné d’un sourire à belle dents qui acheva de désorienter Guillaume...

 — Vous n’êtes pas un peu folle ?

 — De vous ? Oui, je le suis... Mais comment pouvez-vous être à ce point borné ? Si nous revenons ensemble aux Treize Vents, nous allons à la catastrophe parce que dès ce soir vous serez dans mon lit ou moi dans le vôtre et que tout le monde le saura...

 — Vous êtes bien sûre de vous !

 — Et de vous plus encore ! Oseriez-vous jurer qu’à cette minute même vous ne me désirez pas autant que je vous désire ? Vous voyez bien ! conclut-elle en le voyant détourner les yeux... Croyez-moi, allez-vous-en l’âme en paix. Songez seulement qu’en me séparant ainsi de vous pour quelques jours je ne fais rien d’autre que préparer notre prochaine nuit d’amour. Je l’attendrai avec impatience comme vous l’attendrez vous-même... Car cette nuit, je la veux !

La petite flamme qui dansait dans les beaux yeux changeants le défiait, mais il en était déjà captif et rendit les armes. Il vint à elle et la fit lever pour enfouir son visage dans la masse des cheveux parfumés juste au creux tendre du cou...

 — Et si je n’avais pas envie d’attendre aussi longtemps ?

Elle eut un petit cri de joie un peu rauque qui ressemblait à un sanglot ou à un râle.

 — Viens ! chuchota-t-elle. Viens vite !

Guillaume repartit une heure après. Seul.

Ainsi, tout recommençait...

Tandis que la légère voiture, assez solidement construite cependant pour se jouer des ornières, dévorait le chemin qui le ramenait chez lui, Guillaume s’attachait à tenir fermement à distance remords et scrupules pour goûter plus intensément la joie barbare de la conquête : celle du mâle qui marque de sa griffe la plus belle femelle du troupeau, celle dont il sentait dans ses entrailles qu’elle était créée pour lui. Et puis qu’elle fût la fille de Richard ne faisait, à tout prendre, qu’ajouter le piment d’une sorte de vengeance dont il espérait bien que, là où il était, le traître de l’anse au Foulon pouvait apprécier tout le raffinement : avoir la fille après avoir eu l’épouse, quel triomphe !

Pourtant Tremaine gardait assez de lucidité pour admettre que ce n’était pas du tout la même chose : il avait aimé Marie avec passion, une passion où il s’investissait corps et âme. Elle était l’unique, la bien-aimée, et Lorna ne pourrait jamais la remplacer. Ce qui l’attirait vers elle était uniquement charnel et ne pouvait porter le nom d’amour. Même au plus fort du délire qu’elle avait suscité en lui, il n’avait pu se résoudre à dire « je t’aime ». Et c’était naturel puisque son cœur ne lui soufflait pas ces mots qui comptent parmi les plus beaux du monde. Elle, pourtant, les avait dits, espérant sans doute un écho qui ne vint pas, qui ne viendrait peut-être jamais.

Guillaume reconnaissait néanmoins que s’arracher aux bras de la sirène représentait une espèce d’exploit. Ce corps splendide dont la seule évocation lui mettait le sang à la tête, la sueur aux mains, était doué d’une sorte de magnétisme secret que la possession, si meurtrière cependant lorsque le cœur n’est pas en cause, ne parvenait pas à trancher. Tout au contraire, il vivifiait le désir. D’autant que la jeune femme s’entendait à en éterniser les sensations...

A y bien réfléchir, cette science peu courante chez une « demoiselle » de la haute société pouvait surprendre, même en pleine folie. Que Lorna ne fût plus vierge n’était guère étonnant : son épanouissement révélait une femme plus qu’une jeune fille. Un autre homme, certainement, l’avait eue en sa fleur mais cela n’expliquait pas un art des caresses évoquant bien davantage une bayadère hindoue — et sur ce chapitre Tremaine gardait quelques souvenirs ! — qu’une respectable lady. Là le champ des suppositions s’ouvrait : plusieurs amants ? Ou alors un initiateur incomparable ? Au fond c’était de peu d’importance... Néanmoins Guillaume se promit de poser un jour la question. Quelle que soit la réponse, elle ne l’atteindrait pas dans ses sentiments puisqu’ils n’y étaient pas engagés... en dépit de l’attrait que la jeune femme exerçait sur lui.

Si puissant d’ailleurs qu’à deux reprises Guillaume retint son cheval, tenté de faire demi-tour. La sagesse heureusement l’emporta et il continua, constatant d’ailleurs que sa fièvre s’apaisait à mesure que le temps et le chemin s’étiraient. Il en éprouva un soulagement, presque une délivrance, et sa hâte de retrouver la maison s’accrut. Il n’en regretta que davantage de rouler carrosse alors qu’une bonne chevauchée lui eût convenu beaucoup mieux...