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 — C’est à ce point-là ? demanda Clémence.

 — Oh ! c’est encore pire que tout ce qu’on pouvait imaginer. Là-bas, aux Hauvenières, il a couché avec elle !

 — Quoi ?... Mais comment pouvez-vous savoir ça ? Il vous l’a dit ?

 — Oh que non ! Je n’en avais pas besoin d’ailleurs  ! Il se préparait pour se mettre au lit. Quand il a ôté sa chemise j’ai été fixé. Je voudrais que vous voyiez ça ! Elle a dû se comporter comme une tigresse en chaleur... Quelle honte !... Mais quelle honte ! Faire de cette fille sa maîtresse dans la maison où il allait rejoindre la mère !... J’aurais dû me douter qu’elle était mauvaise...

 — Mais vous vous en doutiez ! On s’en doutait tous les deux d’ailleurs et on n’est peut-être pas les seuls. Quand elle croit qu’on ne la voit pas, elle a une façon de le regarder qui ne peut tromper personne. Elle le mange des yeux. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi elle est restée là-bas si elle a gagné ?

 — C’est justement parce qu’elle a gagné. Difficile de revenir embrasser les enfants après un tel exploit. Et puis, aux Hauvenières, elle a dû se sentir chez elle. Quand il ira la chercher, elle le ferrera plus facilement. Après, elle l’aura bien en main.

Clémence, qui s’était assise sous le coup de l’émotion, se leva brusquement et se mit à tourner en rond dans sa cuisine comme une poule affolée, les mains sur ses joues, prise d’une espèce de terreur à laquelle elle essayait d’échapper.

 — Il ne faut pas ! répéta-t-elle à plusieurs reprises. Nos petits ne le supporteraient pas...

 — Elle non plus ! gronda Potentin en désignant le feu qui, de la même façon qu’au soir de Noël, était en train de s’éteindre. Regardez ! Mme Agnès est là... Elle veut qu’on l’aide !

Derrière la porte à laquelle il s’appuyait, Arthur devint plus pâle encore. Tout à l’heure, entendant crier son père, il était sorti de sa chambre pieds nus dans sa longue chemise de nuit. Témoin de l’émotion de Potentin, il l’avait suivi et, naturellement, il avait tout surpris...

Son premier mouvement le poussait à faire irruption dans la cuisine pour dire à ce vieux fou qu’il en avait menti, que ce n’était pas possible ! Guillaume et sa nièce ! Sa sœur à lui, Arthur, avec son propre père ! Qui pouvait imaginer pareille infamie ?... S’il se retint, c’est sans doute parce que les forces lui manquèrent. Pour la première fois de sa vie, ce garçon vigoureux, résistant, crut qu’il allait perdre connaissance là, dans ce recoin, comme une fillette...

Et soudain, un visage passa devant ses yeux : celui d’Élisabeth. Ce qu’elle pourrait penser si jamais elle découvrait l’ignoble vérité le bouleversa et lui fit comprendre du même coup combien elle lui était chère. Pour elle, pour la paix de son âme, il fallait garder le secret, si difficile que ce fût. Il fallait aussi que Loma reparte pour l’Angleterre... Et ça, ce serait sans doute encore plus difficile !

Alors Arthur bougea. Très lentement, avec un luxe infini de précautions comme s’il craignait que le glissement de ses pieds nus sur les dalles ne résonnât jusqu’en haut de la maison, puis plus vite et enfin en courant, il réintégra sa chambre, se jeta dans son lit. Pas pour y dormir ! Les images qui dansaient dans sa tête semblaient vouloir s’y incruster. Mais il voulait réfléchir, essayer de trouver un moyen d’écarter des Treize Vents — cette maison dont il savait bien à présent qu’il en aimait chaque pierre ! — le danger de détérioration par la lente pourriture des âmes.

Tandis que, les draps au ras des yeux, il s’efforçait de calmer les battements désordonnés de son cœur, un étroit rayon de lune s’insinua par la fenêtre dont il ne fermait jamais les volets et remonta jusqu’au portrait de sa mère pendu au-dessus de sa table à écrire, juste en face de son lit. Il se souvint alors des dernières phrases prononcées par Potentin : « Madame Agnès est là... Elle veut qu’on l’aide ! » Quiconque les eût entendues les eût jugées obscures, incompréhensibles voire délirantes. Pour le jeune garçon elles apportaient au contraire une explication à un bizarre phénomène dont il s’était gardé de parler à qui que ce fût, même à Jeremiah Brent : plusieurs fois, en s’éveillant il avait trouvé le tableau descendu de son clou et posé bien droit sur le bureau, le haut appuyé au mur. Il n’était pas abîmé comme si la main inconnue entendait marquer une désapprobation et non une hostilité. Aussi Arthur se contentait-il de le raccrocher...

Cette nuit, il décida d’observer le manège avec attention, bien qu’une voix secrète lui soufflât que rien ne se passerait. Et, en effet, le portrait de Marie-Douce demeura sagement à sa place...

Par contre, lorsqu’elle entra dans la chambre de Lorna pour recouvrir le lit, aérer et ranger la lingerie ravaudée la veille, Kitty, en ouvrant le placard aux robes, trouva tous les vêtements décrochés des porte-manteaux et empilés à terre...

CHAPITRE XI

L’ÂNE DE BURIDAN

Le lendemain Guillaume se rendit à Escarbosville chez M. de Rondelaire. Ce que l’ancien officier de justice souhaitait apprendre à Tremaine tenait en assez peu de mots : la surveillance exercée sur la maison du galérien après la disparition de la neige n’avait pas donné grand-chose : les habitantes et le prêtre qu’elles hébergeaient menaient une vie aussi sage que régulière. Tous les jours l’abbé Longuet allait dire sa messe à l’église de Morsalines. Mlle Célestine s’occupait du ravitaillement et, si l’on apercevait sa sœur, c’était lorsqu’elle se promenait sur la lande ou dans le jardin, toujours abritée de son voile noir. Mais Urbain n’était plus là. Rien d’extraordinaire d’ailleurs à son absence d’après l’aînée des demoiselles Mauger. Originaire d’Isigny, le « fidèle » serviteur s’y était rendu pour rejoindre son frère dont il avait reçu « un mot de billet » : leur mère allait mourir.

De l’avis de Rondelaire, on ne le reverrait certainement pas de sitôt dans la région. La perte de son couteau — très semblable à ceux que les bagnards se fabriquaient en secret — avait dû le mettre en méfiance : il avait préféré prendre le large. Confiante, cependant, Mlle Célestine espérait fermement son retour : il était tellement attaché à sa pauvre soeur !

 — Autrement dit, conclut le magistrat, ces deux malheureuses devaient tout ignorer de son activité nocturne. S’il faisait partie de la bande à Mariage, ce qui me paraît évident, elles n’en ont jamais eu la moindre idée.

 — Il est certain que la maison des deux vieilles filles représentait une cachette idéale. Néanmoins a-t-on envoyé quelqu’un à Isigny pour s’assurer qu’il s’y trouve ?

 — Pour quoi faire ? Je suis persuadé qu’il n’y est pas. Aller là-bas serait du temps perdu et je vous rappelle que nos effectifs de gendarmerie ne sont guère nombreux. Évidemment, cette fuite est plutôt ennuyeuse : nous n’avions qu’une seule piste et elle nous lâche.

 — C’est nous qui l’avons lâchée. Quand cet homme est parti, pourquoi ne pas l’avoir suivi ?...

 — On l’a fait ! Il a été suivi jusqu’à Montebourg où l’abbé Longuet l’a mis dans la diligence de Saint-Lô. Que vouliez-vous de plus ? Le suiveur n’avait ni argent ni ordres pour s’embarquer dans un voyage quelconque...

 — Autrement dit, nous repartons de zéro ! Que faisons-nous à présent ? Nous attendons un nouveau drame... qui ne nous apprendra rien de plus ? Bon Dieu ! Il fallait s’accrocher aux basques de cet homme, ne renoncer à aucun prix...

 — Ça vous est facile à dire, mon cher Tremaine, mais vous oubliez que nous manquons singulièrement de moyens. Vous étiez enfermé chez vous...