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 — Je n’en doute pas un seul instant mais je ne te comprends pas. Tu viens de dire que jadis tu partais parce que je te manquais ! Est-ce que... est-ce que tu ne m’aimes plus ?...

Oh, ce jeune visage fermé, ce regard qui refusait le sien, cette attitude où l’éloignement se sentait déjà ! Comme si elle craignait de se laisser attendrir, Élisabeth détourna franchement la tête :

 — Je ne sais pas... mais ce que je sais bien c’est que je ne peux plus supporter de la voir auprès de vous, parlant avec vous, prenant votre bras. C’est trop facile d’imaginer autre chose et si je ne mets pas une véritable distance entre moi et... le couple que vous allez former sans doute — car vous serez obligé de l’épouser ! — , nous aurons ici quelque malheur. Laissez-moi partir !

 — Attends encore un peu, je t’en supplie ! Aucune décision, tu viens de l’entendre, n’a été prise. Qui sait si elle n’acceptera pas finalement ce que je lui propose...

Il était malheureux, pitoyable même dans son désir de retenir son enfant. Celle-ci l’en détesta presque : le superbe Guillaume Tremaine n’était pas fait pour l’humilité.

 — Ne vous méprenez pas ! Elle vous veut et elle vous aura ! De toute façon, vous prendrez plus facilement la décision dont vous parlez si je ne suis pas là... Et moi, je serai moins malheureuse auprès de celle qui a toujours su me consoler...

Soudain, elle se laissa emporter par un regain de fureur et de déception :

 — Mais comment avez-vous pu seulement regarder cette putain anglaise quand il y avait auprès de vous la plus adorable des femmes, quand vous pouviez respirer une véritable rose !

Puis, se calmant soudain, elle ajouta d’une voix devenue curieusement impersonnelle :

 — Vous voudrez bien demander à Daguet d’amener le cabriolet pour dix heures demain matin ? Je vais prier Béline de m’aider à faire mes bagages... Et surtout, que personne n’essaie de m’empêcher de partir ! Ne m’obligez pas à m’enfuir !

Quelques minutes plus tard, le galop d’un cheval éveillait les échos de la nuit : Guillaume courait vers Varanville. Il ne pouvait pas laisser sa fille arriver là-bas à l’improviste mais, surtout, il voulait voir Rose, parler à Rose, vider son cœur une bonne fois avec la seule, la faible espérance qu’elle ne le condamnerait pas et saurait comprendre.

Derrière les fenêtres de la maison, plusieurs regards le suivirent, la plupart avec des larmes dans les yeux, mais Arthur n’était pas de ceux qui se contentent de pleurer. Lorsque à sa demande il avait accompagné Lorna au sortir de la salle, il s’était gardé de lui dire ce qu’il pensait : elle s’appuyait alors au bras de Mr Brent et, bien que le garçon considérât son précepteur comme un ami, il y avait des paroles qu’il ne voulait pas prononcer en sa présence.

Lorna le sentit peut-être, car elle invita le jeune homme à la suivre chez elle pour s’entretenir avec lui un instant. Arthur avait donc regagné sa chambre pour attendre que la voie soit libre. Le départ de son père le décida à brusquer les choses et il alla frapper à la porte de sa sœur. Celle-ci le reçut assez mal.

 — Je suis fatiguée, Arthur et je n’ai aucune envie de causer avec vous.

 — Il n’est pas question de causer mais plutôt d’écouter. Ce que j’ai à dire tient en peu de mots : je ne veux pas qu’Élisabeth quitte cette maison, « sa » maison. Alors, tirez-en les conclusions !

 — Nul ne l’oblige à partir. Cette petite personne s’arroge il me semble des droits excessifs et, si vous voulez mon sentiment, il est invraisemblable que chacun ici l’accepte. En Angleterre, les enfants ne se mêlent pas de la vie de leurs parents... Vous devriez vous en souvenir et laisser votre père et moi...

 — N’essayez pas de vous leurrer, Lorna ! Il ne veut pas de vous parce qu’il ne vous aime pas.

 — Il m’a aimée assez pour me faire cet enfant et il m’aimera encore pour peu qu’on cesse de le harceler. Moi, de toute façon, je n’ai plus le choix : je dois rester ici. C’est ma seule chance d’être heureuse ! Me voyez-vous rentrer en Angleterre, épouser Thomas alors que je suis enceinte d’un autre ? Les enfants de France apprennent, il me semble, une étrange morale...

 — Je veux que vous acceptiez ce que l’on vous offre : laissez-vous conduire à Paris pour mettre cet enfant au monde. Ensuite, je vous jure que nous nous en occuperons... et vous pourrez aller coiffer votre couronne de duchesse. La guerre qui va commencer vous offre une excellente excuse pour un assez long retard, il me semble ?

La jeune femme se mit à rire. Quittant le fauteuil où elle s’était assise, elle s’approcha d’Arthur et le prit aux épaules.

 — Quoi que vous en pensiez, vous n’êtes encore qu’un petit garçon persuadé que les adultes doivent agir selon ses idées. Vous n’oubliez que deux choses importantes : j’aime votre père et je tiens déjà beaucoup à celui qui va venir. Si vous m’aimez encore un tout petit peu, cela devrait compter pour vous...

 — C’est vraiment de l’amour que vous éprouvez pour Père ? J’ai peine à le croire !

 — Lui aussi, figurez-vous ! C’est pour cela qu’il fait tous ces efforts pour me repousser. Et aussi parce qu’il n’a pas encore pris conscience de ce qu’il éprouve pour moi, mais je peux vous assurer qu’un jour viendra où il retrouvera la joie que je lui ai donnée cette nuit où nous avons été l’un à l’autre. Je sais comment la lui rendre... et nous serons heureux ! Quant à Élisabeth, elle se calmera. Bientôt elle sera une femme, elle aimera... et elle reviendra ! Tout sera oublié.

Prenant la tête du jeune garçon, elle posa un baiser sur ses cheveux drus et le conduisit doucement vers la porte. Il la franchit en baissant le front, ne sachant plus que croire ni que penser mais toujours aussi malheureux.

 — Kitty ! appela Lorna, venez me déshabiller, je vous prie !

La femme de chambre, qui se trouvait alors dans la garde-robe où elle rangeait des vêtements, se releva brusquement, serrant entre ses doigts une petite fiole enveloppée d’un treillis d’argent de facture orientale qu’elle venait de faire tomber de la poche d’un vêtement. Elle n’avait jamais vu cet objet mais, sans qu’elle pût l’expliquer, il lui inspirait une instinctive méfiance.

 — Eh bien, Kitty ? Que faites-vous ? s’impatienta la jeune femme.

Remettant vivement le menu flacon d’où il sortait, elle se hâta de rejoindre sa maîtresse, mais sa curiosité était éveillée. Ce n’était ni un parfum ni une liqueur. Une drogue peut-être ? Mais à quoi pouvait-elle bien servir ?

Dix heures sonnaient à la grande horloge du vestibule quand, au matin, Élisabeth apparut en haut des marches de l’escalier et descendit lentement vers ceux qui l’attendaient. Devant la porte. Valentin et Daguet chargeaient deux malles et un coffre à chapeaux sur la berline de Varanville qui venait tout juste d’arriver. Debout sur le perron, Guillaume, tête nue en dépit du crachin qui noyait le parc et les bâtiments en voie de reconstruction, les regardait faire appuyé sur sa canne avec l’impression horrible de vivre un nouveau cauchemar : dans la voiture, il y avait Rose venue elle-même chercher celle qui demandait asile, Rose qui ne descendrait pas pour être certaine de ne rencontrer personne, Rose qu’il avait blessée au cœur et à qui, sans doute, il faisait horreur parce qu’il n’était plus à ses yeux qu’un débauché sans scrupules...

Trop émue pour parler, la jeune fille embrassa ses frères puis Potentin, Clémence, Lisette et tendit la main à Jeremiah Brent qui s’inclina sur elle, bien près des larmes lui aussi. Arthur seul rompit l’étrange silence peuplé de petits sanglots étouffés dans un mouchoir et de reniflements. Pâle jusqu’aux lèvres, son visage n’était plus celui d’un garçon de treize ans mais celui d’un homme qui souffre. Son cri de protestation retentit comme un ordre :