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Et Pavilly, confus et sournois, balbutia :

— Non… non… Pas cette fois… pas cette fois… Non… non… C’est point d’ma faute, point d’ma faute… C’est une paillasse qu’en est cause.

Elle ne put en tirer d’autre explication et ne sut jamais que cette rechute était due à ses vingt-cinq francs.

Un cas de divorce

L’avocat de Mme Chassel prit la parole :

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

MESSIEURS LES JUGES,

La cause que je suis chargé de défendre devant vous relève bien plus de la médecine que de la justice, et constitue bien plus un cas pathologique qu’un cas de droit ordinaire. Les faits semblent simples au premier abord.

Un homme jeune, très riche, d’âme noble et exaltée, de cœur généreux, devient amoureux d’une jeune fille absolument belle, plus que belle, adorable, aussi gracieuse, aussi charmante, aussi bonne, aussi tendre que jolie, et il l’épouse.

Pendant quelque temps, il se conduit envers elle en époux plein de soins et de tendresse ; puis il la néglige, la rudoie, semble éprouver pour elle une répulsion insurmontable, un dégoût irrésistible. Un jour même il la frappe, non seulement sans aucune raison, mais même sans aucun prétexte.

Je ne vous ferai point le tableau, Messieurs, de ses allures bizarres, incompréhensibles pour tous. Je ne vous dépeindrai point la vie abominable de ces deux êtres, et la douleur horrible de cette jeune femme.

Il me suffira pour vous convaincre de vous lire quelques fragments d’un journal écrit chaque jour par ce pauvre homme, par ce pauvre fou. Car c’est en face d’un fou que nous nous trouvons, Messieurs, et le cas est d’autant plus curieux, d’autant plus intéressant qu’il rappelle en beaucoup de points la démence du malheureux prince, mort récemment, du roi bizarre qui régna platoniquement sur la Bavière. J’appellerai ce cas : la folie poétique.

Vous vous rappelez tout ce qu’on raconta de ce prince étrange. Il fit construire au milieu des paysages les plus magnifiques de son royaume de vrais châteaux de féerie. La réalité même de la beauté des choses et des lieux ne lui suffisant pas, il imagina, il créa, dans ces manoirs invraisemblables, des horizons factices, obtenus au moyen d’artifices de théâtre, des changements à vue, des forêts peintes, des empires de contes où les feuilles des arbres étaient des pierres précieuses. Il eut des Alpes et des glaciers, des steppes, des déserts de sable brûlés par le soleil ; et, la nuit, sous les rayons de la vraie lune, des lacs qu’éclairaient par dessous de fantastiques lueurs électriques. Sur ces lacs nageaient des cygnes et glissaient des nacelles, tandis qu’un orchestre, composé des premiers exécutants du monde, enivrait de poésie l’âme du fou royal.

Cet homme était chaste, cet homme était vierge. Il n’aima jamais qu’un rêve, son rêve, son rêve divin.

Un soir, il emmena dans sa barque une femme, jeune, belle, une grande artiste et il la pria de chanter. Elle chanta, grisée elle-même par l’admirable paysage, par la douceur tiède de l’air, par le parfum des fleurs et par l’extase de ce prince jeune et beau.

Elle chanta, comme chantent les femmes que touche l’amour, puis, éperdue, frémissante, elle tomba sur le cœur du roi en cherchant ses lèvres.

Mais il la jeta dans le lac, et prenant ses rames gagna la berge, sans s’inquiéter si on la sauvait.

Nous nous trouvons, Messieurs les juges, devant un cas tout à fait semblable. Je ne ferai plus que lire maintenant des passages du journal que nous avons surpris dans un tiroir du secrétaire.

* * *

Comme tout est triste et laid, toujours pareil, toujours odieux. Comme je rêve une terre plus belle, plus noble, plus variée. Comme elle serait pauvre l’imagination de leur Dieu, si leur Dieu existait ou s’il n’avait pas créé d’autres choses, ailleurs.

Toujours des bois, de petits bois, des fleuves qui ressemblent aux fleuves, des plaines qui ressemblent aux plaines, tout est pareil et monotone. Et l’homme !… L’homme ?… Quel horrible animal, méchant, orgueilleux et répugnant.

* * *

Il faudrait aimer, aimer éperdument, sans voir ce qu’on aime. Car voir c’est comprendre, et comprendre c’est mépriser. Il faudrait aimer, en s’enivrant d’elle comme on se grise de vin, de façon à ne plus savoir ce qu’on boit. Et boire, boire, boire, sans reprendre haleine, jour et nuit !

* * *

J’ai trouvé, je crois. Elle a dans toute sa personne quelque chose d’idéal qui ne semble point de ce monde et qui donne des ailes à mon rêve. Ah ! Mon rêve, comme il me montre les êtres différents de ce qu’ils sont. Elle est blonde, d’un blond léger avec des cheveux qui ont des nuances inexprimables. Ses yeux sont bleus ! Seuls les yeux bleus emportent mon âme. Toute la femme, la femme qui existe au fond de mon cœur, m’apparaît dans l’œil, rien que dans l’œil.

Oh ! Mystère ! Quel mystère ? L’œil ?… Tout l’univers est en lui, puisqu’il le voit, puisqu’il le reflète. Il contient l’univers, les choses et les êtres, les forêts et les océans, les hommes et les bêtes, les couchers de soleil, les étoiles, les arts, tout, tout, il voit, cueille et emporte tout ; et il y a plus encore en lui, il y a l’âme, il y a l’homme qui pense, l’homme qui aime, l’homme qui rit, l’homme qui souffre ! Oh ! regardez les yeux bleus des femmes, ceux qui sont profonds comme la mer, changeants comme le ciel, si doux, si doux, doux comme les brises, doux comme la musique, doux comme des baisers, et transparents, si clairs qu’on voit derrière, on voit l’âme, l’âme bleue qui les colore, qui les anime, qui les divinise.

Oui, l’âme a la couleur du regard. L’âme bleue seule porte en elle du rêve, elle a pris son azur aux flots et à l’espace.

L’œil ! Songez à lui ! L’œil ! Il boit la vie apparente pour en nourrir la pensée. Il boit le monde, la couleur, le mouvement, les livres, les tableaux, tout ce qui est beau et tout ce qui est laid, et il en fait des idées. Et quand il nous regarde, il nous donne la sensation d’un bonheur qui n’est point de cette terre. Il nous fait pressentir ce que nous ignorerons toujours ; il nous fait comprendre que les réalités de nos songes sont de méprisables ordures.

* * *

Je l’aime aussi pour sa démarche.

« Même quand l’oiseau marche on sent qu’il a des ailes », a dit le poète.

Quand elle passe on sent qu’elle est d’une autre race que les femmes ordinaires, d’une race plus légère et plus divine.

* * *

Je l’épouse demain… J’ai peur… j’ai peur de tant de choses…

* * *

Deux bêtes, deux chiens, deux loups, deux renards, rôdent par les bois et se rencontrent. L’un est mâle, l’autre femelle. Ils s’accouplent. Ils s’accouplent par un instinct bestial qui les force à continuer la race, leur race, celle dont ils ont la forme, le poil, la taille, les mouvements et les habitudes.

Toutes les bêtes en font autant, sans savoir pourquoi !

Nous aussi…

* * *