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Le marchand n’avait pas reparu. Son magasin demeurait fermé.

Le commissaire me dit :

— J’ai fait toutes les démarches nécessaires. Le parquet est au courant de la chose ; nous allons aller ensemble à cette boutique et la faire ouvrir, vous m’indiquerez tout ce qui est à vous.

Un coupé nous emporta. Des agents stationnaient, avec un serrurier, devant la porte de la boutique, qui fut ouverte.

Je n’aperçus, en entrant, ni mon armoire, ni mes fauteuils, ni mes tables, ni rien, rien, de ce qui avait meublé ma maison, mais rien, alors que la veille au soir je ne pouvais faire un pas sans rencontrer un de mes objets.

Le commissaire central, surpris, me regarda d’abord avec méfiance.

— Mon Dieu, Monsieur, lui dis-je, la disparition de ces meubles coïncide étrangement avec celle du marchand.

Il sourit :

— C’est vrai ! Vous avez eu tort d’acheter et de payer des bibelots à vous, hier. Cela lui a donné l’éveil.

Je repris :

— Ce qui me paraît incompréhensible, c’est que toutes les places occupées par mes meubles sont maintenant remplies par d’autres.

— Oh ! répondit le commissaire, il a eu toute la nuit, et des complices sans doute. Cette maison doit communiquer avec les voisines. Ne craignez rien, Monsieur, je vais m’occuper très activement de cette affaire. Le brigand ne nous échappera pas longtemps puisque nous gardons la tanière.

* * *

Ah ! Mon cœur, mon cœur, mon pauvre cœur, comme il battait !

* * *

Je demeurai quinze jours à Rouen. L’homme ne revint pas. Parbleu ! Parbleu ! Cet homme-là qui est-ce qui aurait pu l’embarrasser ou le surprendre ?

Or, le seizième jour, au matin, je reçus de mon jardinier, gardien de ma maison pillée et demeurée vide, l’étrange lettre que voici :

« Monsieur,

j’ai l’honneur d’informer Monsieur qu’il s’est passé, la nuit derrière, quelque chose que personne ne comprend, et la police pas plus que nous. Tous les meubles sont revenus, tous sans exception, tous, jusqu’aux plus petits objets. La maison est maintenant toute pareille à ce qu’elle était la veille du vol. C’est à en perdre la tête. Cela s’est fait dans la nuit de vendredi à samedi. Les chemins sont défoncés comme si on avait traîné tout de la barrière à la porte. Il en était ainsi le jour de la disparition.

Nous attendons Monsieur, dont je suis le très humble serviteur.

RAUDIN, Philippe. »

Ah ! Mais non, ah ! Mais non, ah ! Mais non. Je n’y retournerai pas !

Je portai la lettre au commissaire de Rouen.

— C’est une restitution très adroite, dit-il. Faisons les morts. Nous pincerons l’homme un de ces jours.

* * *

Mais on ne l’a pas pincé. Non. Ils ne l’ont pas pincé, et j’ai peur de lui, maintenant, comme si c’était une bête féroce lâchée derrière moi.

Introuvable ! Il est introuvable, ce monstre à crâne de lune ! On ne le prendra jamais. Il ne reviendra point chez lui. Que lui importe à lui. Il n’y a que moi qui peux le rencontrer, et je ne veux pas.

Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas !

Et s’il revient, s’il rentre dans sa boutique, qui pourra prouver que mes meubles étaient chez lui ? Il n’y a contre lui que mon témoignage ; et je sens bien qu’il devient suspect.

Ah ! Mais non ! Cette existence n’était plus possible. Et je ne pouvais pas garder le secret de ce que j’ai vu. Je ne pouvais pas continuer à vivre comme tout le monde avec la crainte que des choses pareilles recommençassent.

Je suis venu trouver le médecin qui dirige cette maison de santé, et je lui ai tout raconté.

Après m’avoir interrogé longtemps, il m’a dit :

— Consentiriez-vous, Monsieur, à rester quelque temps ici ?

— Très volontiers, Monsieur.

— Vous avez de la fortune ?

— Oui, Monsieur.

— Voulez-vous un pavillon isolé ?

— Oui, Monsieur.

— Voudrez-vous recevoir des amis ?

— Non, Monsieur, non, personne. L’homme de Rouen pourrait oser, par vengeance, me poursuivre ici…

* * *

Et je suis seul, seul, tout seul, depuis trois mois. Je suis tranquille à peu près. Je n’ai qu’une peur… Si l’antiquaire devenait fou… et si on l’amenait en cet asile… Les prisons elles-mêmes ne sont pas sûres…

FIN