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– Écoutons encore, je l’entends, dit Elena.

– La plainte part de très près, reprit le jeune homme, mais cette lampe jette si peu de clarté!… Qui est là?

Personne ne répondit. Alors Vivaldi, prenant la lampe et la promenant tout autour du caveau, découvrit une petite porte, en même temps qu’il entendait des accents pareils aux élans de ferveur d’une personne en prière. Il poussa la porte, qui ne résista pas, et se trouva à sa grande surprise en présence d’un religieux agenouillé au pied d’un crucifix, et si profondément absorbé dans sa dévotion qu’il ne s’aperçut pas de l’arrivée d’un étranger. C’était un moine à cheveux blancs. La douceur et la mélancolie empreintes sur ses traits touchèrent Vivaldi et inspirèrent quelque confiance à Elena. Tiré de son recueillement par la voix du jeune homme, le religieux témoigna un vif étonnement et s’informa du motif de sa présence et de celle d’une femme dans ce lieu. Vivaldi lui dit franchement quelle était sa situation et lui fit part de son embarras. Le religieux l’écoutait avec une profonde attention, jetant des regards compatissants tantôt sur lui, tantôt sur Elena. La pitié qui le sollicitait en faveur de ces étrangers semblait combattue par quelque considération puissante.

– Ma fille, dit-il, si je me trompe, c’est bien vous que j’ai vue ce matin dans l’église. C’est vous qui avez protesté contre les vœux qu’on voulait vous faire prononcer? Ignoriez-vous, mon enfant, les conséquences terribles d’un semblable refus.

– Hélas! dit Elena, je n’avais le choix qu’entre deux malheurs.

– Saint homme, dit Vivaldi, je ne puis croire que vous soyez de ceux qui oppriment l’innocence ou qui aident à la persécuter. Ah! si vous connaissiez les malheurs de cette jeune personne, si vous saviez que, seule au monde, orpheline, elle a été arrachée à sa demeure au milieu de la nuit, que des scélérats masqués l’ont amenée ici de force sur l’ordre de personnes étrangères, qu’il ne lui reste pas un seul parent, pas un protecteur naturel qui puisse défendre sa liberté et la réclamer des mains de ses ennemis! Oh! mon bon père, si vous saviez tout cela, vous n’hésiteriez pas à prendre pitié d’elle et à la sauver!

Le religieux arrêta de nouveau sur Elena un regard plein de compassion.

– Tout cela peut être vrai, dit-il, mais…

– Je vous comprends, mon père, vous voudriez des preuves. Mais comment vous en fournir ici? Ah! je vous en conjure, fiez-vous à ma parole de gentilhomme. Et si Dieu vous inspire quelque désir de nous secourir, cédez-y sur-le-champ: il en est encore temps, personne ne vient. Hâtez-vous.

– Pauvre créature! disait le père comme pour lui-même mais assez haut pour être entendu. Elle, dans cette chambre! Dans ce lieu funeste!

– Funeste! s’écria Elena qui n’avait pas compris le sens de cette exclamation. Oui cette chambre est celle où a péri une pauvre religieuse, et j’y ai été conduite par trahison pour subir le même sort!

– Quoi, ici! répéta Vivaldi avec l’accent du désespoir. Leur affreux cachot! leur in pace! Ah! je comprends tout, je devine le piège horrible qu’ils nous ont tendu! Mon père, au nom du ciel, si vous êtes disposé à nous secourir, profitez donc du moment qui nous reste!

Le religieux, qui avait tressailli lorsque Elena avait fait allusion à la religieuse enfermée et morte dans ce lieu, devint pensif. Sa tête se pencha sur sa poitrine, des larmes coulèrent de ses yeux, un sentiment profond sembla s’emparer de lui, pendant que Vivaldi, en proie à une extrême agitation, marchait à grands pas dans la chambre, et qu’Elena, jetant des regards effrayés autour d’elle, répétait d’un ton douloureux:

– Dans cette même chambre! dans ce funeste lieu! Oh! de quelles souffrances ces murs ont-ils été et seront-ils encore témoins!

– Je n’ose dire, reprit le religieux, quel sort attend ici cette jeune fille, ni quel sera le mien peut-être, si je me décide à vous sauver, mais l’âge ne m’a pas tout à fait endurci le cœur. Que le reste de ma vie soit malheureux, peu importe, le terme en est si prochain; mais votre jeunesse vous permet encore des années de bonheur. Eh bien, vous les aurez, mes enfants, s’il est en mon pouvoir de vous les rendre! Suivez-moi jusqu’à la porte; nous allons voir si ma clef peut l’ouvrir.

Vivaldi et Elena suivirent les pas tremblants du vieillard qui s’arrêtait de temps en temps pour écouter; mais aucun bruit ne se fit entendre dans le passage solitaire jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à la porte. À ce moment, ils distinguèrent des pas dans l’éloignement.

– Ils approchent, mon père, murmura Elena presque défaillante. Si la clef n’ouvre pas tout de suite, nous sommes perdus! Oui, j’entends leurs voix; ils m’appellent.

Enfin, la porte tourna sur ses gonds; elle ouvrait sur un plateau de la montagne.

– Ne me remerciez pas, dit le religieux, vous n’en avez pas le temps Je vais refermer la porte et retarder, aussi longtemps que je le pourrai, ceux qui seraient tentés de vous poursuivre. Ma bénédiction soit avec vous, mes enfants!

Elena et Vivaldi eurent à peine le temps de lui dire adieu. La porte se referma derrière eux; et le jeune homme, donnant le bras à sa bien-aimée, se dirigea en toute hâte vers l’endroit où Paolo devait l’attendre. Mais en tournant l’angle de la muraille du couvent, il aperçut une longue procession de pèlerins qui sortait par la grande porte. Il recula de quelques pas. Cependant il craignait, en s’arrêtant aux environs du monastère, d’entendre la voix de Geronimo et des frères envoyés à leur poursuite; mais d’un autre côté, le seul chemin praticable pour arriver au bas de la montagne était alors occupé par les pèlerins. Un clair de lune brillant permettait de distinguer tous les visages de ces hommes qu’ils avaient tant d’intérêt à éviter, tandis qu’ils étaient protégés eux-mêmes par l’ombre de la muraille. Ils prirent le parti de se jeter sous un couvert de palmiers qui les conduisit, par un petit coteau, au pied de quelques roches parmi lesquels ils trouvèrent un abri momentané. Plus éloignés alors du monastère, ils attendirent que la procession des pèlerins, suivant les détours de la montagne, cessât de faire entendre ses chants de plus en plus faibles et indistincts. Alors ils se hasardèrent à descendre avec précaution au travers des rochers, regardant souvent derrière eux du côté du couvent. Elena crut distinguer une lumière mouvante dans sa petite tour et supposant que l’abbesse et ses religieuses étaient à sa recherche, elle en éprouva une vive terreur qui lui fit presser le pas. Les fugitifs arrivèrent enfin sans accident au pied de la montagne, où ils trouvèrent Paolo à son poste avec les chevaux.

– Ah! mon cher maître, s’écria-t-il, vous voilà donc enfin!… Je commençais à craindre, en vous voyant tarder si longtemps, que les moines ne vous eussent retenu pour vous faire faire pénitence le reste de votre vie!… Que je suis donc heureux de vous revoir!

– Je ne le suis pas moins de te retrouver, mon cher Paolo. Où est la capote de pèlerin que je t’ai chargé de me procurer?

Paolo la lui donna, et Vivaldi en enveloppa Elena qu’il mit en croupe; puis ils se dirigèrent vers Naples où l’orpheline se proposait de se rendre au couvent de la Pietà. Cependant Vivaldi, craignant qu’on ne les poursuivît sur cette route, résolut de prendre des chemins détournés. Ils arrivèrent bientôt au terrible passage qu’Elena avait suivi pour venir au monastère.

La lune n’éclairait que faiblement le précipice, et la route passait sous des roches saillantes et comme suspendues en plein ciel.