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– Ciel! interrompit Vivaldi en attachant sur elle un regard désolé. Renoncer à moi!… Dites, Elena, dites, est-ce possible?…

– Hélas! répondit-elle, je crains, en effet, de ne pas le pouvoir!

– Vous le craignez! Ô Dieu! dites-moi plutôt, dites-moi que vous espérez vous conserver à moi, et l’espérance alors renaîtra dans mon cœur!

La chaleur avec laquelle il s’exprimait fit sortir l’orpheline de la réserve qu’elle s’était imposée et, oubliant ses irrésolutions, elle lui dit avec un sourire d’une inexprimable douceur:

– Je ne veux me livrer ni à la crainte ni à l’espérance, et je ferai mieux de n’écouter que mon cœur; car, j’ai beau dire, je crois que je ne pourrai jamais renoncer à vous. Non, je ne saurais supporter l’idée que vous doutiez de mon attachement, ne fût-ce qu’un instant! Et comment pouvez-vous croire que je sois insensible au vôtre, que je sois capable d’oublier les périls que vous avez bravés pour m’arracher à ma prison, et d’abjurer tout sentiment de reconnaissance?

– Ah! voilà le mot cruel que je ne puis entendre! s’écria Vivaldi. De la reconnaissance! Je ne sais si je n’aimerais pas mieux votre haine que ce sentiment froid et raisonné qui prend le caractère du devoir.

– Ce mot a pour moi un sens bien différent que celui que vous y attachez, reprit Elena toujours souriante. Il comprend tout ce que l’affection peut avoir de tendre et de dévoué et, si c’est un devoir, l’obéissance qu’il entraîne est pleine de douceur.

– Ah! chère Elena, répondit le jeune homme, j’en crois votre aimable sourire plus encore que votre explication; mais, je vous en supplie, n’employez plus avec moi ce mot banal de reconnaissance! Ma confiance s’affaiblit quand je l’entends prononcer.

Ils en étaient là de leur entretien quand Paolo survint avec un air de mystère.

– Monsieur, dit-il à voix basse, comme j’observais les environs de dessous ce couvert d’amandiers, qui croiriez-vous que j’ai vu descendre la côte qui est là-bas? Les deux individus qui nous avaient rejoints après le passage du pont. Ils n’ont plus leurs manteaux, ce sont des carmes déchaussés. Oh! je les ai bien reconnus, ils suivent nos traces peut-être; j’ai idée que ce sont des capucins qui nous guettent.

– Je les aperçois en effet, dit Vivaldi qui s’était levé. Ils quittent la route et viennent de ce côté. Où est notre hôte?

– Le voici, répondit Elena, cependant que le berger entrait.

– Mon bon ami, lui dit Vivaldi, je vous prie instamment de ne pas laisser entrer chez vous ces deux moines que vous voyez venir et de faire en sorte qu’ils ne sachent pas quels hôtes vous avez reçus: ils nous ont déjà inquiétés sur la route.

Et comme le paysan paraissait étonné, Paolo se hâta d’ajouter:

– Pour tout vous dire, mon ami, car mon maître est très discret, nous avons été obligés de nous tenir sur nos gardes quand nous les avons rencontrés. Sans cela nos poches auraient pu se retrouver plus légères. Ce sont des gens adroits et je crois, entre nous, que ce sont des bandits déguisés.

– Oh! oh! fit le paysan.

– Au surplus, poursuivit Paolo, l’habit qu’ils portent favorise leur entreprise, en ce temps de pèlerinage. Faites la sourde oreille s’ils vous demandent d’entrer chez vous; sinon, après leur départ, vous pourriez bien trouver à l’étable quelques bêtes de moins.

Le vieux berger leva les mains et les yeux au ciel.

– Ce que c’est que le monde! fit-il. Je vous remercie bien de votre avis; ces gens-là ne passeront pas le seuil de ma porte. Et s’ils voulaient me maltraiter pour cela, vous viendriez à mon aide, n’est-ce pas?

– N’en doutez pas mon ami, dit Vivaldi.

Et le berger sortit de la maison. Ils s’enfermèrent, et Paolo se hasarda à regarder au travers de la jalousie. Elena tremblante dit à voix basse à Vivaldi:

– J’ai peur. Si c’étaient de vrais pèlerins, leur route ne les mènerait pas dans ce pays désert. On les aura envoyés après nous, et ils auront été instruits par ceux que nous avons rencontrés du chemin que nous avons pris.

– Ce n’est guère probable, répondit Vivaldi. Cependant il est possible aussi que ce ne soient que des religieux retournant à quelque couvent situé sur le lac de Celano.

– Je n’entends ni ne vois rien, dit Paolo en quittant la jalousie.

Un moment après, ils entendirent la voix du vieux berger qui disait:

– Ils sont partis, vous pouvez ouvrir.

– Quel chemin ont-ils pris? demanda Vivaldi en faisant entrer le vieillard.

– Je ne puis le dire, monsieur, car je les ai perdus de vue.

– Moi, dit Paolo hardiment, je les ai vus se diriger vers ce bois là-haut.

– Ce serait bien possible, répondit le berger.

– Et vous pouvez être sûr, reprit le valet en jetant un regard d’intelligence à son maître, qu’ils se tiennent cachés là pour quelque méchant dessein. Vous feriez bien d’envoyer quelqu’un les observer, car vos troupeaux pourraient se ressentir de ce mauvais voisinage.

– Pourtant, mon ami, reprit Vivaldi, n’ayez aucune crainte pour vous. Ces gens-là n’en veulent qu’à nous seuls, je vous en réponds. Mais, comme j’ai sujet de me défier d’eux et que je ne voudrais pas les retrouver sur ma route, je donnerai quelque chose à l’un de vos garçons s’il veut aller jusqu’au bois, du côté de Celano, et de s’assurer s’ils ne sont pas embusqués sur cette route.

Le vieillard y consentit et donna ses instructions à un jeune homme qui partit sur-le-champ et qui revint plus tôt qu’on ne l’attendait. Il n’apportait aucune nouvelle des deux carmes. Il les avait d’abord aperçus dans le bois, au bas d’un chemin creux; il avait alors monté la côte, mais les avait perdus de vue.

Vivaldi, qui avait consulté Elena pour savoir s’ils devraient ou non continuer leur route, posa encore quelques questions au jeune berger; puis, convaincu que les deux voyageurs n’avaient pas pris la route de Celano ou que, s’ils l’avaient prise, ils avaient déjà beaucoup d’avance, il proposa de partir et de marcher sans se presser.

– Nous n’avons rien à craindre de ces gens-là, ajouta-t-il. Ce que je crains plutôt, c’est que la nuit ne nous surprenne avant que nous soyons à Celano, car la route est montueuse et difficile, et nous ne la connaissons pas bien.

Elena ayant approuvé cette décision, ils prirent congé du vieillard qui leur donna quelques instructions sur la direction à suivre. Arrivés dans le chemin creux où le jeune garçon avait vu les carmes, l’orpheline promena de tous côtés des regards inquiets, tandis que Paolo, tantôt silencieux, tantôt chantant et sifflant pour s’étourdir, sondait de l’œil chaque buisson qui pouvait receler des gens mal intentionnés. La route, après avoir traversé la vallée, conduisait à des montagnes couvertes de troupeaux. Le soleil était près de se coucher lorsque, de la hauteur où nos voyageurs étaient parvenus, ils découvrirent le grand lac de Celano et l’amphithéâtre de montagnes qui l’environne.

Les voyageurs s’arrêtèrent pour admirer ce spectacle et faire reposer leurs chevaux. Les rayons du soleil, réfléchis sur une nappe d’eau de dix-huit à vingt lieues de pourtour, éclairaient les villes et les nombreux villages, les couvents et les églises qui décorent les bords du lac, les bigarrures variées que les diverses cultures donnent à la terre et les montagnes colorées de pourpre qui formaient le fond de ce riche paysage. Elena, malgré son inquiétude, était encore sensible à tant de beautés.