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– C’est un frère qui traverse là-bas pour entrer dans le chœur. Et le confesseur reprit: On ne peut se fier à des gens gagés…

– À qui cependant, demanda la marquise, si ce n’est à des mercenaires?…

Et elle s’interrompit, mais Schedoni avait compris sa pensée.

– Pouvez-vous douter, reprit-il, que les mêmes principes qui ont suggéré la résolution ne suffisent à déterminer l’action?… Pourquoi hésiterait-on à accomplir ce que l’on croit juste?

– Ah! mon père! dit la marquise avec émotion, où trouver un autre vous-même, capable de penser avec la même justesse, d’agir avec la même énergie! Ah! dites, mon père, où le trouver?

– Ma fille, s’écria le moine avec solennité, mon zèle pour l’honneur de votre famille est au-dessus de toute considération.

– Cher père! reprit la marquise qui le comprit alors parfaitement, je ne sais comment vous remercier!

– Le silence est quelquefois éloquent, repartit le confesseur.

La marquise redevint pensive. Sa conscience lui parlait de nouveau et elle s’efforçait d’en étouffer la voix. Pareille à une personne qui mesure la profondeur d’un précipice sur les bords duquel elle marche en chancelant, elle s’étonnait d’avoir pu arrêter sa pensée sur un projet si horrible. Mais bientôt sa passion se ranimait avec plus de force.

– Il faut cependant préparer les moyens, reprit le moine.

– Oui, en effet… Quand? Comment? demanda la marquise avec une agitation fébrile.

– Sur le rivage de l’Adriatique, dans les Pouilles, près de Manfredonia, il y a une maison propre à l’exécution de nos desseins. Elle est isolée, sur le bord même de la mer, en dehors de la route suivie par les voyageurs, cachée dans les bois qui bordent la côte pendant plusieurs milles. Il y a là certaine chambre… Cette maison n’est habitée que par un pauvre pêcheur. Je connais cet homme; je sais les motifs qui l’ont amené à vivre de cette vie misérable et solitaire.

– Mais, mon père, observa la marquise, vous disiez tout à l’heure qu’on ne pouvait se fier à un mercenaire.

– Ma fille, on peut se fier à celui-là, dans le cas où il se trouve. J’ai mes raisons pour penser ainsi.

– Mais… quelles raisons, mon père?

Schedoni garda le silence. Mais tout à coup sa physionomie prit un caractère étrange. Ses traits, plus sombres que de coutume, se contractèrent comme décomposés par une passion farouche. La marquise, frappée de leur expression, regretta un moment de s’être confiée à lui; mais il n’était plus temps de revenir en arrière. Elle lui demanda de nouveau quelles raisons il avait pour se montrer si sûr de l’homme dont il parlait.

– Que vous importe, dit Schedoni d’une voix étouffée, pourvu que vous soyez délivrée de celle qui vous abreuve de tourments et d’humiliations.

Ils retombèrent dans le silence. La marquise le rompit la première.

– Mon père, dit-elle, je me repose entièrement sur votre justice. Mais, je vous en conjure, pressez-vous, car l’attente est pour moi un purgatoire anticipé. Vous parliez d’un endroit sur la côte de l’Adriatique… Vous disiez que dans une chambre de cette maison…

– Dans cette chambre, répondit le confesseur, il y a une porte secrète pratiquée depuis longtemps…

– À quelles fins? demanda la marquise.

– Qu’il vous suffise de savoir, reprit le moine, qu’il y a une porte dont nous saurons faire usage. Par cette porte… au milieu de la nuit… Lorsqu’elle sera plongée dans le sommeil…

– Je vous comprends, dit vivement la marquise. Mais quel besoin d’une porte secrète dans une maison isolée, habitée par une seule personne dont vous êtes sûr?…

– De cette chambre, continua Schedoni, un passage conduit à la mer. Là, dans les ténèbres, jetée aux flots qui l’emporteront…

– Paix! murmura la marquise, quel bruit est-ce là?…

Ils écoutèrent et distinguèrent dans l’éloignement les sons graves et plaintifs de l’orgue, auxquels se mêla une psalmodie mélancolique.

– C’est un chant de mort! observa la marquise.

– Dieu fasse paix au trépassé! dit Schedoni en faisant le signe de la croix.

La marquise était toute troublée. Elle s’éloigna un moment de Schedoni et erra quelque temps dans le cloître. Son agitation la fit trembler de tous ses membres, elle chancela et fut forcée de s’asseoir. Peu s’en fallut qu’elle ne tombât à genoux.

Le confesseur l’observait avec mépris.

«Ce que c’est qu’une femme! pensait-il. Esclave de ses passions, si l’orgueil et la vengeance parlent à son cœur, elle défiera tous les obstacles et sourira complaisamment à la pensée du crime; mais faites impression sur ses sens, que la musique détende ses nerfs et remue son imagination, aussitôt toutes ses idées vont changer. Elle aura horreur de cette même action qui tout à l’heure lui paraissait vertueuse. On verra cette âme mobile dominée ou abattue par un vain son! Être faible et méprisable!»

La marquise semblait justifier les dédains de son complice. Les passions violentes, qui avaient résisté chez elle à la voix de la raison et de l’humanité, tombaient alors devant des émotions extérieures. Ses sens frappés par une mélodie lugubre et sa superstition effrayée par cet étrange rapprochement d’un requiem et d’un complot homicide l’accablèrent, pour un moment, de terreur et de pitié.

Elle se rapprocha du confesseur:

– Mon père, lui dit-elle, nous reparlerons de cette affaire. Je suis maintenant trop agitée. Adieu, souvenez-vous de moi dans vos prières!

Et baissant son voile avec soin, elle sortit précipitamment du cloître. Schedoni la suivit des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu dans l’obscurité. Puis il s’éloigna lui-même par une porte, mécontent de cet incident qui paraissait ajourner ses projets, mais ne désespérant pas de les accomplir.

XIV

Pendant que la marquise et le moine conspiraient ainsi contre la vie d’Elena, l’orpheline était encore au couvent des ursulines, sur le lac de Celano, où elle avait trouvé un asile. À la suite de tant de fatigues et d’inquiétudes, elle s’était sentie trop souffrante pour continuer son voyage. Il se passa plus de quinze jours avant que l’air pur et la tranquillité de cette retraite eussent ranimé ses forces.

Vivaldi, qui la voyait tous les jours à la grille, s’était abstenu pendant tout ce temps de renouveler des instances qui, en agitant l’esprit d’Elena, pouvaient retarder le rétablissement de sa santé. Mais quand il la vit plus affermie, il se hasarda, par degrés, à lui exprimer la crainte que le lieu de sa retraite ne fût découvert et qu’elle ne lui fût ravie une seconde fois. Danger dont leur mariage pouvait seul les garantir. À chaque visite, Vivaldi revenait sur ce sujet, n’épargnant ni les arguments ni les sollicitations. Il réclamait aussi l’exécution de la promesse donnée par Elena elle-même en présence de sa tante, en lui rappelant que, sans une déplorable catastrophe, la jeune fille aurait depuis longtemps déjà comblé ses vœux. Enfin, il la conjurait de faire cesser l’incertitude où il vivait et de lui donner le droit de la protéger hautement avant de quitter son refuge momentané.

L’émotion du jeune homme, plus encore que ses raisons, toucha fortement le cœur d’Elena et, sa tendresse se réveillant plus vive avec sa reconnaissance, elle se reprocha de sacrifier au soin de sa dignité le bonheur d’un homme qui avait bravé de si grands dangers pour lui prouver son amour. Elle le congédia un jour en lui permettant quelque espoir et promit de l’instruire, le lendemain, de sa dernière résolution.