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Jamais nuit ne fut pour le jeune homme si longue ni si pénible à passer. Seul, sur les bords du lac, agité tour à tour d’espérance et de crainte, il s’efforçait de prévoir cette décision d’où dépendait tout son bonheur, tantôt l’appelant de ses vœux, tantôt le redoutant. Elena n’eut pas des moments plus tranquilles. Toutes les fois que sa prudence et sa fierté la dissuadaient d’entrer dans une famille qui la repoussait, l’image de Vivaldi venait aussitôt plaider la cause de l’amour et de la reconnaissance.

Le lendemain matin, Vivaldi était à la porte du couvent bien avant l’heure indiquée. Le cœur palpitant, il attendait avec anxiété que la cloche l’avertît du moment où il pourrait entrer. Ce signal donné, il se précipita au parloir. Elena y était déjà. À sa vue, elle se leva toute troublée. Vivaldi s’avança d’un pas chancelant, les yeux fixés sur ceux de sa bien-aimée; il la vit sourire et lui tendre la main. Plus de doute, plus d’inquiétude! Il serra la main de la jeune fille dans les siennes, incapable d’exprimer sa joie autrement que par des soupirs profonds et, s’appuyant sur la grille qui les séparait:

– Ah! s’écria-t-il, enfin vous êtes donc à moi!… Nous ne serons plus séparés!… À moi Elena… à moi pour toujours!… Mais votre visage s’altère! Ô ciel! me serais-je trompé? Parlez, je vous en conjure, mon amie, dissipez ce terrible doute!

– Je suis à vous, répondit doucement Elena. Nos ennemis ne nous sépareront plus.

Ses yeux en même temps se mouillèrent de larmes et elle baissa son voile. Mais, comme Vivaldi s’alarmait, elle lui tendit de nouveau la main; puis, relevant son voile, elle lui adressa un doux sourire à travers ses larmes, gage de sa reconnaissance et, au besoin, de son courage.

Avant de quitter le couvent, Vivaldi avait obtenu d’Elena la permission de consulter un religieux du couvent de bénédictins, où il était logé. Il l’avait mis dans ses intérêts et voulait lui demander l’heure à laquelle il pourrait célébrer leur mariage avec le plus de mystère possible. Le vieux bénédictin lui répondit qu’après l’office du soir, il aurait quelques heures de liberté et qu’aussitôt le soleil couché, pendant que les religieux seraient au réfectoire, il se rendrait à la petite chapelle de Saint-Sébastien, située à peu de distance, sur les bords du lac, où il les marierait.

Vivaldi retourna voir Elena et lui fit part de cet arrangement. Il fut convenu qu’on se rendrait à la chapelle à l’heure indiquée. L’orpheline, qui avait confié son projet à l’abbesse, obtint d’elle qu’une sœur converse l’accompagnerait, et Vivaldi dut se tenir prêt à l’attendre en dehors du couvent pour la conduire à l’autel. La cérémonie achevée, ils devaient s’embarquer sur le lac et le traverser pour se rendre à Naples. Ils se séparèrent ensuite. L’un alla s’assurer d’une barque; l’autre se retira pour faire ses apprêts de voyage.

Plus le moment approchait, plus Elena se sentait gagner par un étrange abattement. Elle ne pouvait se défendre de certains pressentiments douloureux; et c’était d’un œil mélancolique qu’elle voyait le soleil disparaître derrière des nuages noirs et céder peu à peu la place à l’obscurité. Elle prit congé de l’abbesse qui l’avait accueillie avec une si cordiale hospitalité et, accompagnée de la sœur converse, elle sortit du couvent. À la porte, elle trouva Vivaldi qui lui offrit son bras, et tous deux s’acheminèrent en silence vers la chapelle de Saint-Sébastien. La scène était en harmonie avec l’état d’esprit d’Elena. Le ciel était sombre; et les flots, qui dans les ténèbres se brisaient contre les rochers du rivage, mêlaient leur mugissement sourd à celui du vent qui courbait les cimes des grands sapins.

Elena, effrayée, fit remarquer à Vivaldi l’orage qui se préparait et qui rendrait la traversée du lac périlleuse. Aussitôt il donna l’ordre à Paolo de renvoyer le bateau et de faire préparer une voiture. Comme ils approchaient de la chapelle, Elena arrêta ses regards sur les hauts cyprès qui l’ombrageaient.

– Voilà, dit-elle, des arbres qui ne rappellent que des idées funèbres. Vivaldi, en vérité, je deviens superstitieuse. Mais ces noirs cyprès, si voisins de l’autel où nous devons nous unir!…

Vivaldi s’empressa de la calmer et lui reprocha tendrement la tristesse à laquelle elle s’abandonnait. Ils entrèrent dans la chapelle, où régnait un profond silence; elle n’était éclairée que d’une faible lumière. Le vénérable religieux, accompagné du moine qui devait représenter le père de la jeune fille, était déjà là, tous deux agenouillés et en prières. Vivaldi s’approcha de l’autel, conduisant Elena toute tremblante, et ils attendirent que le religieux eût achevé ses dévotions. Pendant ce temps, l’émotion d’Elena croissait sensiblement; elle faisait des yeux le tour de la chapelle. Tout à coup, elle tressaillit, car elle avait cru voir un visage collé aux vitraux; mais, en regardant une seconde fois, elle ne vit plus rien. Elle écoutait avec inquiétude les moindres bruits du dehors et, quelquefois, elle prenait le grondement des vagues pour des voix et des pas d’hommes qui s’approchaient. Elle s’efforçait cependant de calmer ses alarmes, et elle commençait à s’en rendre maîtresse, lorsqu’elle remarqua une porte entrouverte et, à l’entrée, un homme d’une physionomie sinistre. Comme elle allait pousser un cri, l’observateur disparut et la porte se referma Vivaldi, frappé du trouble d’Elena, lui en demanda la cause.

– Nous sommes observés, lui dit-elle. Quelqu’un était là tout à l’heure à cette porte.

Alors le jeune homme se tourna vers le religieux pour l’interroger; mais le père fit signe qu’on lui laissât achever sa prière. L’autre moine se leva et, Vivaldi l’ayant prié de fermer les portes de la chapelle pour écarter les importuns, il répondit qu’il ne l’oserait car l’accès du lieu saint ne devait être interdit à personne.

– Vous pouvez au moins, mon frère, observa Vivaldi, réprimer une vaine curiosité et voir au-dehors qui vient nous épier par cette porte. Vous calmerez par là l’inquiétude de cette jeune dame.

Le frère y consentit et Vivaldi le suivit à la porte: mais, n’apercevant personne dans le passage sur lequel elle donnait, il revint plus tranquille vers l’autel. Déjà l’officiant y avait pris place et ouvrait le rituel. Vivaldi se plaça devant lui, sur sa droite, encourageant de ses regards pleins d’une tendre sollicitude Elena qui s’appuyait sur la sœur converse. La figure indifférente de la sœur, la physionomie rude du frère sous le capuchon de sa robe grise, la tête chenue et calme du vieux prêtre en contraste avec la vivacité du jeune homme et la beauté de la douce Elena, tout cela formait un groupe digne du pinceau d’un maître. À peine la cérémonie était-elle commencée qu’un bruit venant du dehors renouvela les alarmes d’Elena. Elle vit la porte qui l’avait inquiétée se rouvrir lentement, avec précaution, et un homme avancer la tête. Il était d’une taille gigantesque, portait une torche dont la lueur laissa voir d’autres personnes, groupées dans le passage, derrière lui. À la férocité de leurs regards, à l’étrangeté de leurs allures, Elena devina d’un coup d’œil que ce n’étaient pas des gens du couvent mais des messagers sinistres. Elle jeta un cri à demi étouffé et tomba dans les bras de Vivaldi, qui, en se retournant, vit une troupe d’hommes armés s’avancer vers l’autel. Alors élevant la voix avec fermeté: