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– Qui donc, demanda-t-il, ose entrer de force dans le sanctuaire?

– Quels sont les sacrilèges, ajouta le prêtre, qui ne craignent pas de violer ainsi le lieu saint?

Elena était évanouie dans les bras de Vivaldi qui tira son épée pour la défendre. Tout à coup retentirent ces mots épouvantables:

– Vincenzo de Vivaldi et Elena Rosalba, vous êtes prisonniers. Rendez-vous! Nous vous en sommons au nom de l’Inquisition!

– Au nom de l’Inquisition! s’écria Vivaldi qui croyait à peine ce qu’il entendait. Il y a ici quelque horrible méprise.

L’officier, sans daigner répliquer, renouvela sa sommation.

– Retire-toi, imposteur, s’écria Vivaldi, ou mon épée te fera repentir de ta témérité!

– Eh quoi! dit le chef de la troupe, vous osez insulter un officier de la Sainte Inquisition? Ce religieux peut vous instruire, jeune homme, des dangers que l’on court en résistant à nos ordres.

Vivaldi allait répliquer, le prêtre le retint.

– Si vous êtes réellement des officiers de ce redoutable tribunal, dit-il, donnez-en la preuve. Rappelez-vous que cette enceinte est sacrée; et ne croyez pas que je sois homme à vous livrer des personnes qui ont trouvé ici un asile, si vous n’êtes pas porteurs d’un pouvoir en bonne et due forme émané du Saint-Office.

– Le voici, répliqua l’officier en tirant un rouleau de sa poche.

Le bénédictin tressaillit à la vue du rouleau. Il le prit et l’examina avec attention: le parchemin, le sceau, la formule, certaines marques connues seulement des initiés, tout certifiait l’authenticité de décret d’arrestation. Le papier tomba de ses mains et, se tournant vers Vivaldi:

– Malheureux! s’écria-t-il, c’est donc vrai! Vous êtes appelé devant ce redoutable tribunal pour répondre d’un crime, et peu s’en est fallu que moi-même je ne me sois rendu coupable d’un grand délit.

Vivaldi, stupéfait, était comme frappé de la foudre.

– Un crime! murmura-t-il. Voilà une imposture bien hardie! Quel crime ai-je donc commis?

– Ah! reprit le vieux prêtre, je ne pensais pas que vous fussiez aussi endurci dans le mal. Prenez garde, n’ajoutez pas l’audace du mensonge à des passions condamnables! Votre crime, dites-vous? Ah! vous le connaissez trop bien!

– Vous aussi vous m’accusez! Ah! votre âge et votre état vous protègent; mais ces scélérats qui osent s’attaquer à une innocente victime n’échapperont pas à ma vengeance! Qu’ils approchent, s’ils l’osent!…

À ce moment, Elena, ayant reprit ses esprits au milieu de ce tumulte qu’elle ne comprenait pas, lui tendait les bras, en l’appelant à son secours. Hors de lui, le jeune homme menaça de nouveau la bande qui l’entourait. Tous au même instant mirent l’épée à la main, malgré les cris perçants d’Elena et les supplications du prêtre. Vivaldi, qui ne voulait pas répandre du sang, se tenait sur la défensive, jusqu’à ce que la violence de ses adversaires l’obligeât à faire usage de tous ses moyens de défense. Il mit l’un d’eux hors de combat, mais il fléchissait sous le nombre, lorsque Paolo entra dans la chapelle. Voyant son maître assailli, il vola à son secours et frappa aussi un de leurs ennemis; mais, enfin, ils se virent entourés. Et le maître et le valet, blessés à leur tour l’un et l’autre, furent terrassés et désarmés. Elena, qu’on avait empêchée à grand-peine de se jeter entre les combattants, suppliait à genoux les féroces séides du Saint-Office en faveur de Vivaldi blessé et qui, de son côté, conjurait le vieux prêtre de la protéger.

– Eh! le puis-je? disait le bénédictin. Qui oserait s’opposer aux ordres de l’Inquisition? Ne savez-vous donc pas, malheureux jeune homme, que toute résistance est punie de mort?

– De mort! s’écria Elena, de mort!

– Oui, dit l’un des officiers à Vivaldi, en lui montrant un de ses hommes couché à terre. Il vous en coûtera cher pour ce que vous avez fait!

– Non! s’écria Paolo, ce n’est pas lui, c’est moi qui ai frappé cet homme. Et si mes bras étaient libres, tout blessé que je suis, j’en ferais encore autant sur quelqu’un de vous.

– Tais-toi, mon cher Paolo, s’écria Vivaldi. C’est moi seul qui suis coupable. Et s’adressant à l’officier: Monsieur, reprit-il, je n’ai rien à dire pour ma défense, j’ai fait mon devoir; mais elle, innocente, délaissée de tous, pouvez-vous, barbares, la voyant sans appui, la traîner dans vos cachots sur une dénonciation calomnieuse?

– Monsieur, dit l’officier, notre pitié ne lui servirait à rien, il faut que nous fassions notre devoir. Que l’accusation soit fondée ou non, ce n’est pas à nous, c’est au tribunal qu’elle doit répondre.

– Mais quelle accusation? demanda Elena.

– Celle d’avoir rompu vos vœux.

– Mes vœux! s’écria-t-elle en levant les yeux au ciel.

– Infâme manœuvre! dit Vivaldi. Je reconnais bien là l’infernale méchanceté de ses persécuteurs! Ô chère Elena! faut-il donc que je vous laisse en leur pouvoir?

Il brisa ses liens et, se traînant vers elle, la pressa encore une fois entre ses bras. La jeune fille, incapable de proférer un mot, appuyée sur le sein de Vivaldi, ne put exprimer que par des larmes les angoisses de son cœur brisé. C’était un spectacle à attendrir les âmes les plus farouches, excepté les inquisiteurs. Vivaldi, épuisé par la perte de son sang et ne pouvant plus se soutenir, fut forcé d’abandonner une seconde fois sa bien-aimée.

– Eh! quoi! dit-elle d’une voix déchirante, le laisserez-vous périr sans secours?

Le bénédictin proposa de le transporter au couvent où ses blessures pourraient être pansées. On se mit donc en devoir de séparer les deux amants, et l’officier donna ordre d’emmener Elena. Ses hommes la saisirent dans leurs bras. Paolo faisait de vains efforts pour se débarrasser de ses liens et aller la défendre.

Vivaldi essaya de se soulever, mais il perdit connaissance en prononçant le nom d’Elena. En vain implorait-elle ses ravisseurs pour qu’il lui fût permis de donner ses soins à l’infortuné; ils l’entraînèrent hors de la chapelle, pendant qu’elle s’écriait encore avec l’accent du désespoir:

– Adieu, Vivaldi! Adieu pour jamais!

Ce cri était si déchirant que le vieux prêtre en fut ému malgré lui. Vivaldi entendit cet adieu qui sembla le rappeler du seuil du tombeau. Il entrouvrit les yeux et, les tournant vers la porte, il aperçut encore le voile flottant de la jeune fille. Ses prières, son déplorable état, ses efforts, rien n’empêcha ces misérables de l’emmener tout chargé de liens jusqu’au couvent, ainsi que Paolo qui continuait à crier de toutes ses forces:

– C’est moi qui suis coupable! Je veux qu’on me mène devant l’Inquisition.

XV

Le frère chirurgien du couvent, ayant examiné et pansé les blessures de Vivaldi et de son fidèle serviteur, assura qu’elles n’étaient pas dangereuses; mais il n’en put dire autant de celles d’un homme de la troupe. Quelques-uns des religieux témoignèrent de la compassion pour les prisonniers; mais la plupart étaient retenus par la crainte du Saint-Office et n’osaient même approcher de la chambre où on les gardait. Cet embarras ne dura pas longtemps. Dès que Vivaldi et Paolo commencèrent à se rétablir, on les obligea à se remettre en route. Ils furent placés dans la même voiture; mais la présence de deux sbires les empêchait de se communiquer leurs suppositions sur le sort d’Elena et sur les causes de leur dernière catastrophe. Paolo, cependant, trouva moyen de dire à son maître que selon toute apparence l’abbesse de San Stefano était leur principale ennemie. Les deux carmes qui les avaient rejoints près du pont étaient probablement ses émissaires et, instruits de la route qu’Elena et Vivaldi avaient prise, ils avaient fourni des renseignements pour suivre leurs traces jusqu’à Celano.