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L’officier reparut enfin et fit signe au prisonnier d’avancer. Puis il le fit entrer dans l’appartement d’où il sortait lui-même et se retira.

Vivaldi se trouvait dans une salle spacieuse, à l’extrémité de laquelle deux hommes étaient assis devant une grande table. L’un d’eux avait la tête couverte d’une sorte de coiffure noire qui faisait ressortir l’expression farouche de sa physionomie; l’autre avait la tête découverte et les bras nus jusqu’aux coudes. Un livre et quelques instruments de forme étrange se voyaient sur la table qu’entouraient plusieurs sièges vides, ornés de figures bizarres. Au fond de la chambre, un crucifix de taille gigantesque atteignait presque jusqu’à la voûte; enfin, à l’autre bout, un grand rideau vert sombre tombait devant une arcade intérieure pour cacher, soit une fenêtre, soit les objets ou les personnes nécessaires aux opérations des inquisiteurs. Le plus important des deux personnages dit à Vivaldi de s’avancer. Quand celui-ci fut près de la table, il lui présenta le livre, qui était un Évangile, et lui enjoignit de jurer de dire la vérité et de garder un secret inviolable sur ce qu’il pourrait voir et entendre. Le jeune homme hésitait à se soumettre à cet ordre; mais l’inquisiteur, par un regard auquel on ne pouvait se méprendre, lui signifia la nécessité d’obéir. Le serment prêté et inscrit sur le registre, l’interrogatoire commença.

Après s’être enquis du nom, des qualités et de la demeure de l’accusé, l’inquisiteur lui demanda s’il avait connaissance de l’accusation en vertu de laquelle il avait été arrêté.

– On m’accuse, répondit Vivaldi, d’avoir enlevé une religieuse de son couvent.

L’inquisiteur affecta quelque surprise.

– Vous avouez donc? dit-il après un moment de silence, et en faisant signe au greffier qui transcrivit la réponse.

– Je le nie, au contraire, formellement et hautement.

– Pourtant, reprit l’inquisiteur, vous confessez vous-même que vous connaissez l’accusation portée contre vous. Qui donc vous en aurait instruit, si ce n’est la voix de votre conscience?

– J’en ai été instruit par les termes mêmes de votre ordre d’arrestation et par les paroles de vos officiers.

– Mensonge! s’écria le juge. Notez bien ceci, greffier. Sachez, ajouta-t-il en s’adressant à Vivaldi, que nos ordres ne se montrent pas et que nos officiers ne parlent jamais.

– Il est vrai, répondit Vivaldi, que je n’ai pas lu moi-même votre ordre. Mais le religieux qui l’a lu devant moi m’a appris de quel crime j’étais accusé et vos officiers m’ont confirmé ses paroles. Si vous criez au mensonge, en prétextant que je viole mon serment, si vous interprétez à votre manière mes réponses les plus simples et les plus franches, je ne dirai plus rien.

L’inquisiteur, pâle de colère, se leva à moitié de son fauteuil.

– Audacieux hérétique, dit-il, vous disputez contre vos juges! Vous les insultez! Vous manquez de respect au saint tribunal! Votre impiété va recevoir sa récompense. Qu’on lui applique la question!

Un sourire fier et dédaigneux fut la seule réponse de Vivaldi et, quoique en ce moment il crût voir remuer le rideau qui cachait sans doute quelques autres affidés du Saint-Office, il fixa un regard calme sur l’inquisiteur, sa contenance restant aussi ferme que sa physionomie. Ce froid courage parut frapper son juge qui reconnut sans doute qu’il n’avait pas affaire à une âme commune. Il abandonna donc pour l’instant des moyens de terreur inutiles.

– Où avez-vous été arrêté? demanda-t-il.

– Dans la chapelle de Saint-Sébastien, sur le lac de Celano.

– Êtes-vous sûr de cela? reprit l’inquisiteur. N’est-ce pas plutôt au village de Legano, sur la route de Celano à Rome?

Vivaldi se rappela en effet, non sans quelque surprise, que c’était à Legano que ses gardes avaient été changés et, tout en confirmant sa première assertion, il en fit la remarque à l’inquisiteur. Celui-ci, sans paraître y prêter attention, continua l’interrogatoire.

– Quelque autre personne, demanda-t-il, a-t-elle été arrêtée avec vous?

– Vous ne pouvez pas ignorer, répondit Vivaldi, que la signora Rosalba a été arrêtée en même temps que moi, sous le faux prétexte qu’elle était religieuse et qu’elle avait violé ses vœux, et que mon domestique Paolo Mandrico a été aussi arrêté sans que je puisse imaginer sur quelle imputation.

L’inquisiteur fit de nouveau signe au greffier d’écrire, puis il reprit:

– Jeune homme, encore une fois, confessez votre faute. Le tribunal est miséricordieux et indulgent pour le coupable qui avoue.

Vivaldi sourit.

– Oui, continua le juge, la Sainte Inquisition est miséricordieuse; elle n’emploie jamais la torture que dans les cas de nécessité absolue et lorsque le silence obstiné du criminel appelle toute sa rigueur. Sachez que nous sommes toujours instruits des faits et que vos dénégations ne peuvent ni nous dérober, ni dénaturer la vérité. Vos délits les plus cachés sont déjà consignés dans les registres du Saint-Office aussi fidèlement que dans votre conscience. Tremblez donc et soumettez-vous.

Vivaldi ne répliqua point, et l’inquisiteur après un moment de silence ajouta:

– N’avez-vous jamais été dans l’église du Spirito Santo à Naples?

Le jeune homme tressaillit.

– Avant de répondre à cette question, dit-il, je demande le nom de mon accusateur.

– Je vous fais observer, dit l’inquisiteur, que ce nom reste toujours caché à l’accusé. Eh! qui voudrait remplir son devoir en dénonçant le crime s’il s’exposait ainsi à la vengeance du criminel?

– Au moins doit-on me faire connaître les témoins qui déposent contre moi.

– Pas davantage, et pour les mêmes raisons.

– Ainsi donc, s’écria Vivaldi, c’est le tribunal qui est à la fois accusateur, témoin et juge! Je vois, par ce que vous m’apprenez, qu’il ne me sert de rien d’avoir une conscience irréprochable puisqu’il suffit d’un ennemi, d’un seul ennemi, pour me perdre!

– Vous avez donc un ennemi? demanda l’inquisiteur.

Vivaldi ne pouvait douter qu’il en eût un; mais il n’avait pas de preuves assez positives pour nommer Schedoni. D’un autre côté, l’arrestation d’Elena l’aurait conduit aussi à accuser une autre personne, s’il n’eût frémi d’horreur à l’idée que sa mère eût concouru à le faire jeter dans les prisons de l’Inquisition. Et comme il se taisait:

– Vous avez donc un ennemi? répéta l’inquisiteur.

– Ma situation le prouve assez, répondit Vivaldi. Mais je suis si peu son ennemi moi-même que j’ignore jusqu’à son nom.

– Vous ignorez son nom, dites-vous? Mais, par cela même, il est clair que vous n’avez pas d’ennemi personnel et que la dénonciation portée contre vous est l’œuvre d’un homme qui n’a eu en vue que les intérêts de la religion et de la vérité.