Выбрать главу

Spalatro, ainsi qu’on l’a donné à entendre, avait été autrefois le confident de Schedoni qui, sachant bien qu’on pouvait se fier à lui, l’avait choisi pour instrument dans cette occasion. Le moine, qui éprouvait quelque répugnance à exécuter lui-même l’exécrable action qu’il avait résolue, avait mis la vie de la malheureuse Elena dans les mains de ce misérable, tenu au secret par sa complicité. La nuit était déjà assez avancée lorsque Schedoni, en proie à des réflexions tumultueuses, prit enfin sa dernière détermination. Ce fut alors qu’il appela Spalatro à voix basse pour l’instruire de ce qu’il avait à faire. Après avoir refermé la porte au verrou, oubliant sans doute qu’ils étaient tous deux seuls dans la maison, à l’exception de la pauvre Elena qui dormait dans la chambre au-dessus, Schedoni fit signe à Spalatro de s’approcher et lui dit à demi-voix:

– Y a-t-il un peu de temps que tu n’as entendu du bruit dans sa chambre? Crois-tu qu’elle dorme à présent?

– Elle n’a pas bougé depuis plus d’une heure, répondit Spalatro. J’ai fait le guet dans le corridor en attendant que vous m’appeliez et je l’aurais entendue au moindre mouvement, car on ne peut faire un pas sur ce vieux plancher sans qu’il crie.

– Écoute-moi donc, Spalatro. Je t’ai déjà éprouvé, et je t’ai toujours trouvé fidèle; rappelle-toi bien tout ce que je t’ai dit ce matin. Sois toujours l’homme actif et déterminé que j’ai connu.

Spalatro écoutait avec une morne attention.

– Il est déjà tard, reprit le moine, monte dans sa chambre puisque tu es sûr qu’elle dort. Prends donc ce poignard et ce manteau: tu sais l’usage qu’il en faut faire.

Il s’arrêta et fixa ses yeux pénétrants sur Spalatro qui avait pris le stylet, mais qui restait immobile sans répondre.

– Eh bien, dit le confesseur, qu’attends-tu? Le jour va bientôt poindre. Est-ce que tu hésites? Est-ce que tu trembles? Je ne te reconnais plus!

Spalatro, sans rien dire, mit le poignard dans son sein, le manteau sur son bras, et se dirigea à pas lents vers la porte. Arrivé là, il s’arrêta.

– Dépêche-toi donc, reprit Schedoni, qui t’arrête?

– Ma foi, je vous avoue, dit Spalatro avec humeur, que cette besogne-là ne me plaît guère. Je ne sais pas pourquoi il faut toujours que je fasse le plus difficile pour être, après tout, le moins bien payé.

– Vilain! s’écria Schedoni, n’est-tu donc pas content de ce qu’on te donne?

– Vilain! répéta Spalatro en jetant le manteau par terre. Pas plus vilain que vous, s’il vous plaît, mon père, car, si c’est moi qui fais toute la besogne, c’est vous qui recevez toute la récompense. Un pauvre homme comme moi a besoin de gagner sa vie, voilà mon excuse. Ainsi, faites votre ouvrage vous-même ou donnez-moi une plus grande part dans le profit.

– Paix! interrompit Schedoni. Tu m’insultes en parlant de profit pour moi. Crois-tu donc que j’agisse pour de l’argent? Je veux que cette fille meure, cela doit te suffire. Quant à toi, le salaire que tu as demandé te sera payé fidèlement.

– Non, c’est trop peu, répliqua Spalatro, et d’ailleurs ceci me répugne. Quel mal cette fille m’a-t-elle fait?

– Oui-da! reprit le moine. Depuis quand t’avises-tu d’avoir des scrupules? Et les autres, quand je t’ai employé, quel mal t’avaient-ils fait! Tu oublies le passé, à ce qu’il paraît?

– Non, révérend père, non, je ne m’en souviens que trop. Plût à Dieu que je pusse l’oublier! Depuis ce temps, je n’ai pas eu un moment de repos: cette main sanglante est toujours devant mes yeux; et souvent, la nuit, quand la mer gronde et que la tempête fait trembler la maison, je les vois tous couverts de blessures, tels que je les ai laissés, se dresser et entourer mon lit!

– Paix encore une fois! dit le moine. Qu’est-ce qu’un pareil délire? Ne vois-tu pas que ce sont là des chimères! Je croyais avoir affaire à un homme, et je trouve ici un enfant effrayé par des contes de nourrice! Sois satisfait cependant, on augmentera ton salaire.

Mais Schedoni se trompait encore sur les motifs réels de la résistance du bandit, qui montra une répugnance invincible à achever l’entreprise dont il s’était chargé. Soit que l’innocence et la beauté d’Elena eussent adouci sa férocité, soit que sa conscience ravivât en ce moment le remords de ses crimes passés, Spalatro refusa résolument d’assassiner lui-même la malheureuse enfant. Ses scrupules ou sa compassion étaient pourtant d’une nature étrange; car, tout en repoussant l’exécution même du meurtre, il consentit à attendre, au pied d’un escalier dérobé, que Schedoni eût égorgé la victime pour l’aider ensuite à porter le corps à la mer. Accommodement diabolique entre la conscience et le crime que Schedoni lui-même avait accepté un moment auparavant lorsque, refusant de tremper ses mains dans le sang, il payait à un autre le meurtre commandé par lui.

– Donne-moi le stylet, dit le confesseur. Prends le manteau et suis-moi jusqu’à l’escalier. Si ton courage te le permet…

Schedoni sortit de la chambre et entra dans le passage qui conduisait à l’escalier dérobé, s’arrêtant souvent pour écouter et marchant avec une extrême précaution. À ce moment il tremblait, cet homme terrible, devant le souffle de la faible jeune fille!

– N’entends-tu rien? demanda-t-il tout bas à Spalatro.

– Je n’entends que le bruit de la mer.

– Chut! il me semble que j’entends des voix…

– Ah! les voix des spectres? dit Spalatro.

Et, en même temps, il saisit avec force le bras du confesseur. Les regards effarés du misérable semblaient suivre quelque objet dans les ténèbres, au fond du corridor. Le moine, gagné un instant malgré lui par cette terreur, porta les yeux dans la même direction, mais sans rien découvrir.

Il demanda à Spalatro le sujet de son épouvante.

– Ne voyez-vous rien? dit le bandit, l’œil hagard et la voix tremblante.

– Rien, répondit le moine, honteux d’avoir partagé sa faiblesse. Ce n’est pas le moment de s’abandonner à des visions.