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XVIII

Elena, restée seule, se rappela tout ce que Schedoni lui avait appris sur sa famille; et en comparant ces nouvelles informations avec celles qu’elle tenait de sa tante, elle ne trouva entre les unes et les autres aucune contradiction apparente. Elle savait que sa mère avait épousé un gentilhomme de la maison de Bruno, dans le duché de Milan, que cette union avait été des plus malheureuses et qu’avant même de perdre sa mère, elle avait été confiée aux soins de la signora Bianchi, unique sœur de la comtesse de Bruno. Elle ne conservait aucun souvenir de son enfance. Souvent elle avait demandé, sur sa naissance et ses parents, des éclaircissements qu’on lui avait refusés sous prétexte qu’il valait mieux ensevelir dans le silence les malheurs et la ruine de sa famille. C’est tout ce qu’elle avait pu tirer de la bouche de la pauvre signora qui, se ravisant à ses derniers moments, avait voulu lui en apprendre davantage; mais la mort avait prévenu ses confidences. Quant au père d’Elena, il était mort, assurait-on, quand elle était encore enfant. Le médaillon que la jeune fille portait maintenant au cou figurait parmi les bijoux laissés par la comtesse et devait être remis, plus tard, à l’orpheline, en même temps qu’elle apprendrait l’histoire de sa famille. Elena l’avait trouvé dans le cabinet de sa tante.

Quoique le récit de Schedoni concordât sur presque tous les points avec le peu qu’elle savait de son père, la jeune fille ne pouvait revenir de son étonnement, et quelques doutes subsistaient encore dans son esprit. D’un autre côté, lorsqu’elle eut repris un peu de calme, elle en revint à chercher quel motif avait conduit Schedoni chez elle au milieu de la nuit. Aux récits et au portrait que Vivaldi lui avait faits, elle avait tout de suite reconnu le moine pour l’agent de la marquise et le persécuteur de leurs amours; mais, rejetant des suppositions trop pénibles, elle aimait à se persuader que si Schedoni, ne la connaissant pas, avait voulu aider la marquise à l’éloigner de Vivaldi, il avait changé de sentiments depuis qu’il avait soupçonné les liens de paternité qui l’unissaient à elle et qu’alors, impatient d’éclaircir la vérité, il s’était introduit chez elle sans tenir compte ni du lieu ni de l’heure. Tandis qu’elle apaisait ses craintes par ces explications, plus ou moins vraisemblables, elle aperçut à terre une pointe de poignard qui sortait de dessous le rideau. À cette découverte, frappée d’une commotion terrible, elle ramassa l’arme et, toute tremblante, elle eut un instant l’intuition du vrai motif de la visite de Schedoni; mais elle repoussa bien vite cette idée et se reprit à croire que Spalatro seul avait projeté de l’assassiner et que Schedoni, survenu pour l’arracher à la mort, avait sauvé sans le savoir sa propre fille, que le portrait lui avait fait ensuite reconnaître. S’attachant à cette conviction, le cœur d’Elena, plein de reconnaissance pour son libérateur, recouvra quelque tranquillité.

Pendant ce temps, Schedoni, renfermé dans sa chambre, était livré à des sentiments bien différents. Le premier trouble passé, dès qu’il fut en état de réfléchir, sa situation l’épouvanta. En persécutant Elena à l’instigation de la marquise, il avait menacé la vie de sa propre fille! En conspirant la perte d’une victime innocente, c’était lui qu’il avait été sur le point de frapper!

Enfin, tout ce qu’il avait fait pour satisfaire son ambition tournait contre cette ambition même; car une alliance avec l’illustre maison de Vivaldi était ce qui le flattait le plus au monde, et voilà qu’il s’était éloigné de ce but suprême en foulant aux pieds tous les principes de vertu et d’humanité! Maintenant il désirait aussi ardemment cette union qu’il l’avait jusqu’alors combattue; mais il fallait obtenir le consentement de la marquise. Il ne désespérait pas d’y parvenir; si pourtant elle résistait, il serait toujours temps d’unir secrètement les deux amants. Il pensait d’ailleurs avoir peu de chose à craindre, maître comme il l’était des secrets de la marquise, qui serait trop heureuse d’acheter son silence. Quant à l’accord du marquis, Schedoni ne le regardait pas comme indispensable.

Avant tout, il fallait tirer Vivaldi des redoutables prisons de l’Inquisition.

Or, d’après les règles du Saint-Office, si le dénonciateur ne paraissait pas en personne au tribunal, l’accusé devait être relâché. Il se garderait donc d’y paraître. Pour faire arrêter le jeune homme, il lui avait suffi d’envoyer une dénonciation anonyme, avec l’indication du lieu où l’on pourrait se saisir de sa personne.

Il s’agissait maintenant non plus de poursuivre l’accusation, mais, au contraire, de déployer beaucoup de zèle et d’activité pour soustraire Vivaldi à son persécuteur inconnu et lui faire rendre la liberté. Il espérait ainsi, avec l’aide d’un certain ami qui entretenait des relations officielles avec l’Inquisition et qui l’avait déjà secondé en mainte occasion, s’attribuer le rôle d’un libérateur.

Les mesures qu’il avait employées jusque-là l’avaient mis lui-même à couvert. Ayant trouvé par hasard, dans l’appartement de cet ami, une formule d’arrestation contre une personne suspecte d’hérésie, il avait su en fabriquer une copie assez fidèle pour tromper le bénédictin. Quelques bravi, gagés pour jouer le personnage d’officiers de l’Inquisition, étaient venus s’emparer de Vivaldi et l’avaient conduit à l’endroit où les officiers véritables du tribunal se trouvaient prêts à le recevoir, tandis qu’une autre partie de la troupe emmenait Elena sur les bords de l’Adriatique.

Schedoni s’était fort applaudi de ces heureux artifices par lesquels, en jetant un voile impénétrable sur le sort de la jeune fille, il se mettait lui-même à l’abri des soupçons et de la vengeance de Vivaldi.

L’embarras du moment était de faire revenir Elena à Naples, car il ne pouvait l’y ramener lui-même puisqu’il ne voulait pas l’avouer pour sa fille. Et, d’un autre côté, à qui aurait-il pu la confier sûrement?…

Cependant le jour commençait à paraître. Il se détermina à conduire Elena jusqu’à la première ville, quitter à aviser ensuite. Il délivra Spalatro et lui ordonna d’aller chercher des chevaux et un guide au village voisin. Puis, il s’achemina vers la chambre de la jeune fille pour la préparer au départ. En approchant de cette chambre, le souvenir de l’affreux projet qui l’avait conduit la veille par ce même passage et par ce même escalier excita en lui tant d’émotion qu’il ne put aller plus loin et que, revenant sur ses pas, il prit un autre corridor pour se rendre chez Elena. C’est d’une main tremblante qu’il ouvrit la porte; toutefois, en entrant, il reprit tout son empire sur lui-même. Elena de son côté, fort agitée en le revoyant, vint à sa rencontre, le sourire sur les lèvres, mais l’inquiétude dans le cœur. Il lui tendit affectueusement la main; mais, tout à coup, apercevant le stylet qu’il avait oublié dans la chambre, il s’arrêta court et pâlit. Elena, portant les yeux sur l’objet qui fixait l’attention du moine, le prit et le lui présenta en disant:

– Tenez, mon père, j’ai trouvé cette arme dans ma chambre la nuit dernière.