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– Ce poignard? balbutia Schedoni, en affectant une extrême surprise.

– Examinez-le, je vous prie, continua-t-elle. Savez-vous à qui il appartient et qui l’a apporté ici?

– Quoi! Que voulez-vous dire? s’écria le moine, près de se trahir.

– Savez-vous, mon père, quel usage on en voulait faire?

Hors d’état de répondre, Schedoni saisit le poignard et le jeta violemment à l’autre bout de la chambre.

– Oui, s’écria Elena, je vois que vous savez tout! Moi aussi, mon père, j’ai deviné la vérité!

– Quoi, malheureuse enfant! Qu’as-tu deviné? demanda-t-il avec un trouble à peine réprimé. Parle enfin! Que sais-tu?

– Tout ce que je vous dois, répondit-elle simplement. Je sais que la nuit dernière, pendant que je dormais, un assassin est entré dans ma chambre, un poignard à la main, et que…

Un gémissement étouffé interrompit Elena, et la peur la saisit quand elle vit la figure livide et contractée du moine; mais, attribuant ce trouble extrême à l’horreur que lui inspirait le crime, elle reprit:

– Pourquoi me cacher le danger que j’ai couru, puisque vous m’en avez préservée? Ah! mon père, ne me privez pas du plaisir de répandre ces larmes de reconnaissance et ne vous dérobez pas aux actions de grâces qui vous sont dues! Quand je dormais là, sur ce lit, et qu’un scélérat prêt à profiter de mon sommeil… c’est vous, oui, c’est vous qui… Ah! puis-je oublier que c’est mon père qui m’a sauvé de ses coups!

À ce mot, la nouvelle émotion de Schedoni, pour venir d’une cause différente, ne fut pas moins violente. À peine fut-il capable de la dissimuler.

– Assez, ma fille, dit-il d’une voix sourde, assez sur ce sujet!

Et il se détourna, sans oser l’embrasser.

Elena, qui l’observait, continua d’attribuer cette agitation au souvenir du danger auquel il l’avait arrachée. Cependant, Schedoni, pour qui ses remerciements exaltés étaient autant de coups de poignard, l’avertit de se préparer à partir tout de suite et quitta brusquement la chambre.

Spalatro revint avec des chevaux mais sans avoir pu trouver de guide, et il s’offrit lui-même à conduire les voyageurs.

Schedoni, malgré sa répugnance pour cet homme, fut bien forcé d’accepter ses services. Tout étant prêt pour le départ, Elena descendit dans la cour; mais, à l’aspect de Spalatro, elle se détourna avec effroi et se jeta dans les bras du moine.

– Ah! s’écria-t-elle, quels souvenirs cet homme me rappelle: à peine, en le voyant, puis-je me croire en sûreté près de vous!

Et comme Schedoni ne répondait pas:

– N’est-ce pas lui, poursuivit-elle, n’est-ce pas cet assassin dont vous m’avez préservée? Quoique vous n’ayez pas voulu me le dire dans la crainte de m’effrayer.

– Bien, bien, répliqua le moine, cela se peut; mais le mieux est de n’en pas parler. Spalatro amène les chevaux.

Ils montèrent à cheval, et quittèrent cette fatale demeure en s’éloignant des bords de l’Adriatique. Bientôt, ils entèrent dans les sombres forêts du Gargano. La joie qu’éprouvait Elena d’avoir échappé à un danger si récent était fort troublée par la présence de Spalatro. Elle rapprochait toujours son cheval de celui de Schedoni et parfois, quand elle jetait les yeux sur la physionomie de son autre compagnon, son courage l’abandonnait, malgré toutes les raisons qu’elle avait de se croire sous la protection d’un père. Schedoni, perdu dans ses réflexions, ne troublait par aucune parole le silence des solitudes qu’ils traversaient. Quant à Spalatro, occupé à rechercher les causes du changement subit du moine qui protégeait maintenant Elena, après avoir voulu se défaire d’elle, il n’en méditait pas moins quelque moyen de se venger, dès qu’il le pourrait, du traitement qu’il avait subi la veille.

Une des principales préoccupations de Schedoni était la difficulté d’expliquer à la marquise pourquoi il n’avait pas rempli l’engagement qu’il avait pris envers elle et de l’intéresser en faveur d’Elena, sans laisser deviner qu’elle était sa fille. Il désirait et craignait à la fois cette entrevue. Il frémissait à l’idée de revoir une femme à qui il avait promis d’assassiner sa propre fille et qui allait lui reprocher de n’avoir pas tenu parole.

Tandis que nos voyageurs cheminaient en silence, les pensées d’Elena la ramenaient à Vivaldi et elle se perdait en conjectures sur l’influence que devait avoir sur leur destinée future la découverte qu’elle venait de faire. Schedoni cependant, toujours plongé dans ses rêveries, ayant prononcé le nom de Vivaldi, elle saisit cette occasion de s’informer de ce qu’il était devenu.

– Je n’ignore pas votre attachement, dit Schedoni en éludant sa question; mais je désire savoir de quelle manière il a commencé.

Elena, confuse, hésita d’abord, puis elle obéit et lui raconta en rougissant l’histoire de leurs amours. Schedoni ne l’interrompit par aucune observation. Encouragée par ce silence, elle se hasarda à lui demander par l’ordre de qui Vivaldi avait été arrêté et où il avait été conduit. Schedoni lui épargna la douleur d’apprendre que son amant était prisonnier de l’Inquisition. Il affecta d’ignorer tout ce qui s’était passé à Celano, mais il lui dit qu’il croyait que Vivaldi avait été, ainsi qu’elle-même, arrêté par ordre de la marquise qui, sans doute, le faisait détenir pour un certain temps.

Leur arrivée dans une petite ville interrompit ces explications. Le premier soin de Schedoni fut de se procurer un nouveau guide; puis il congédia Spalatro. Le drôle partit avec une répugnance qui fut remarquée par Elena.

Nos voyageurs ne purent se remettre en route que dans l’après-midi. Schedoni garda pendant tout le chemin le même silence que dans la matinée; sauf quelques questions qu’il posa à son guide et auxquelles celui-ci répondit en donnant carrière à sa langue. Il n’était pas aisé d’arrêter le bavardage de ce paysan qui se mit à raconter de terribles histoires sur des meurtres commis dans ces forêts. Schedoni, absorbé dans ses rêveries, ne semblait pas l’entendre; Elena n’y fit pas d’abord grande attention non plus, mais, lorsqu’elle fut entrée dans une partie plus épaisse de la forêt et dans un défilé étroit pratiqué entre deux rochers, elle commença à ressentir quelque crainte. Aucun objet vivant ne se montrait dans les détours du chemin; mais, comme elle regardait souvent en arrière, elle crut apercevoir un homme qui les suivait et qui tout à coup s’arrêta et se glissa derrière les arbres. Il lui sembla reconnaître Spalatro; mais Schedoni, à qui elle communiqua ses soupçons, les taxa d’alarmes imaginaires. Ils arrivèrent bientôt à une ville où le religieux se procura un habit séculier pour continuer son voyage. Là, ils étaient encore à quelques journées de Naples. La route qu’ils prirent pour s’y rendre était tracée sur des bruyères désertes. Durant toute la matinée, ils n’avaient pas rencontré un seul voyageur; et l’après-midi était déjà fort avancé quand le guide leur montra dans l’éloignement les murailles d’un édifice grisâtre situé sur le penchant d’un coteau. Ils s’en approchèrent, espérant trouver là quelque couvent hospitalier, mais ils n’aperçurent que les ruines d’un ancien château qui leur parut inhabité. Les voyageurs s’arrêtèrent donc dans la cour où, assis à l’ombre des palmiers, sur les débris d’une fontaine de marbre, ils se partagèrent quelques provisions tirées de la valise du guide. Elena, pendant ce frugal repas, contemplait les restes d’une tour écroulée, lorsque dans une sorte de passage obscur ménagé entre deux pans de murailles, elle aperçut, grâce à quelques rayons de jour qui y pénétraient, un homme dans lequel elle reconnut encore la figure et la démarche de Spalatro. Elle s’écria, mais il disparut; et, quand Schedoni jeta les yeux vers le même endroit, il ne vit plus, ni n’entendit rien.