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Et, en effet, Schedoni frémissait de tous ses membres et sa figure livide se contractait affreusement. Elena, qui avait poussé un cri d’horreur, était trop vivement affectée elle-même pour s’étonner du trouble répandu sur les traits du moine qui baissa son capuchon.

Le paysan continua au milieu du silence de ses auditeurs:

– Marco n’eut pas la force de refermer le sac; mais à peine eut-il rassemblé ses esprits qu’il se hâta de fuir par une autre porte et courut droit devant lui sans s’inquiéter du chemin. Il erra toute la nuit dans le bois. Rentré enfin chez lui, accablé de fatigue et de terreur, il fut saisi d’une fièvre avec transport au cerveau et dont il faillit mourir. Peu de temps après, on se mit à faire des recherches. Mais que pouvaient de pauvres gens qui n’avaient aucune preuve en main? On visita avec soin la maison, mais l’homme n’y était plus et on ne trouva rien. C’est alors que la maison fut fermée, et elle resta ainsi jusqu’à ce que, plusieurs années après, Spalatro vînt s’y installer. Et le vieux Marco dit maintenant, à qui veut l’entendre, que ce Spalatro est le même homme qui l’a reçu dans la nuit de décembre.

– Lui! cet homme! s’écria Elena, frissonnant au souvenir de la nuit qu’elle avait passée dans cette maison où elle avait été menacée aussi par le poignard d’un assassin.

Schedoni avait repris tout son empire sur lui-même. Il traita de conte et de vision le récit du guide. Et peu de temps après, comme on suivait des chemins plus fréquentés où cet homme cessait de lui être nécessaire, il lui paya son salaire et le congédia.

Elena cependant, plus rassurée à mesure qu’elle se rapprochait de Naples, songeait aux moyens de se rendre soit à la villa Altieri, soit au couvent de Santa Maria de la Pietà. Comme on s’était arrêté pour dîner dans un village assez important et qu’elle entendait Schedoni s’informer des couvents qui se trouvaient aux environs, elle se hasarda à lui exprimer ce désir. Schedoni reconnut alors que, dans l’intérêt de sa propre sûreté, il valait mieux la laisser retourner à la villa Altieri, d’où elle pouvait se réfugier au monastère de la Pietà, que de la placer dans une autre communauté où il serait obligé de la présenter lui-même. La seule objection contre ce plan était la crainte qu’elle ne fût découverte par la marquise; mais de toute façon ne fallait-il pas donner quelque chose au hasard? De tous les partis à prendre, celui qu’elle lui suggérait était encore le meilleur. L’arrivée d’Elena dans une maison respectable, où elle était connue depuis son enfance, n’exciterait aucune curiosité ni aucune recherche sur sa famille, et le secret de Schedoni y serait moins menacé que partout ailleurs. Comme c’était là l’objet principal de ses inquiétudes, il décida qu’Elena se retirerait au couvent de la Pietà. Le reste du voyage se passa sans autre accident. Schedoni s’était arrangé de manière à n’arriver à Naples que vers le soir, et il était nuit close lorsqu’il s’arrêta à la porte de la villa Altieri. Elena revit avec une vive émotion la maison d’où elle avait été si violemment arrachée. Elle y retrouva sa vieille Béatrice dont l’accueil fut aussi joyeux que l’eût été celui de sa tante. Schedoni, qui avait repris son habit religieux, la quitta en l’assurant que, s’il apprenait quelque chose du sort de Vivaldi, il le lui ferait aussitôt connaître. Il ajouta qu’il ne reviendrait pas la voir jusqu’à ce qu’il jugeât convenable d’avouer tout haut qu’il était son père. En attendant, il promettait de lui écrire, et il lui donna une adresse où elle pourrait lui faire parvenir de ses nouvelles sous un nom supposé. Il lui enjoignit, en outre, de garder sur sa naissance, pour sa propre sûreté, un secret absolu et de se rendre dès le lendemain au couvent de la Pietà. Ces divers ordres lui furent intimés d’un ton très ferme pour la convaincre de la nécessité d’y obéir, et cela ne laissa pas de lui causer quelque étonnement.

Schedoni lui fit ses adieux et retourna à son couvent, où il expliqua sa longue absence par un pieux pèlerinage. Reçu sans défiance par ses frères, il redevint l’austère et vénérable père Schedoni du couvent de Spirito Santo. L’affaire dont il avait maintenant à s’occuper était de se justifier auprès de la marquise, de bien mesurer les révélations qu’il serait prudent de lui faire d’abord, et de se rendre maître de son esprit quand elle viendrait à découvrir la vérité tout entière. Il fallait aussi travailler à obtenir la liberté de Vivaldi; mais la conduite à tenir sur ce point dépendrait du résultat de sa conférence avec la marquise. Il se décida donc, quelque pénible que fût pour lui la perspective d’une explication, à voir cette femme dès le lendemain matin, et il passa la nuit à préparer les arguments dont il pourrait se servir pour l’amener à ses nouvelles fins.

XIX

En arrivant au palais Vivaldi, Schedoni apprit que la marquise était dans une de ses maisons de campagne sur la baie, et il s’y rendit aussitôt. Il la trouva étendue sur un sofa, près d’une fenêtre ouverte, les yeux fixés sur le magnifique panorama qui se déroulait devant elle, mais insensible à ce beau spectacle, tout absorbée qu’elle était au-dedans d’elle-même par les images fantastiques que ses passions semblaient évoquer. Ses traits étaient altérés par un mélange de mécontentement et de langueur. Elle accueillit le confesseur avec un sourire contraint, et lui tendit une main qu’il ne put prendre sans frissonner.

– Mon cher père, lui dit-elle, je suis fort aise de vous revoir. Vos bonnes paroles m’ont bien fait défaut ces derniers temps, et c’est aujourd’hui plus que jamais que je sens le besoin de les entendre.

Elle fit signe au domestique de se retirer, tandis que Schedoni, debout près de la fenêtre, s’efforçait de cacher son agitation. Quelques mots obligeants de la marquise le rappelèrent à lui-même. Il retrouva bientôt son sang-froid et sa présence d’esprit, et s’assit près de la marquise. Après l’échange des premiers compliments, il se fit un silence de quelques minutes. Ni l’un ni l’autre n’osait aborder le sujet qui occupait exclusivement sa pensée et sur lequel leurs intérêts respectifs étaient devenus tout à coup si contraires. Si Schedoni eût été moins dominé par ses propres sentiments, il aurait remarqué le tremblement et la rougeur de la marquise qui, craignant de demander si Elena existait encore, détournait les yeux de celui qu’elle croyait son meurtrier. De son côté, Schedoni, non moins troublé, évitait soigneusement les regards de cette femme qui lui inspirait une aversion toute nouvelle. Chaque moment de silence augmentait sa perplexité. Il n’osait prononcer le nom d’Elena, ni avouer qu’elle était encore vivante; et pourtant il se méprisait d’éprouver une semblable crainte, frémissant au souvenir de l’action qui l’avait amené à une situation si critique. Il ne savait pas non plus comment s’y prendre pour informer la marquise de la découverte qu’il avait faite de la naissance d’Elena, ni pour lui suggérer qu’elle pourrait être unie à son amant sans que l’honneur de la famille Vivaldi en fût atteint. Cette révélation devait être ménagée de manière à ne pas froisser trop brusquement l’orgueil de la marquise. Il fallait aussi prévenir le chagrin que lui causerait l’échec de ses premiers desseins. Il méditait sur ces divers sujets, quand la marquise rompit le silence la première.