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– Mon père, dit-elle avec un soupir et en tenant les yeux baissés, j’ai toujours trouvé en vous un consolateur dans mes afflictions. En sera-t-il de même aujourd’hui? Vous savez quelles inquiétudes me tourmentent depuis longtemps. Puis-je, dites-moi, puis-je savoir si la cause en subsiste encore?

Elle s’arrêta un instant, et reprit:

– M’est-il permis d’espérer que mon fils ne sera plus entraîné à méconnaître ses devoirs?

Schedoni demeura un moment sans répondre, puis, mesurant ses paroles:

– Madame, dit-il, je puis vous assurer que l’objet principal de vos inquiétudes est maintenant écarté.

– Ah! s’écria la marquise, se méprenant sur le sens de cette phrase. Est-elle morte? Est-ce là ce que vous voulez dire?

Et comme il tressaillait en gardant le silence:

– Parlez donc, ajouta-t-elle, mon cher père, dissipez mes craintes. Dites-moi si vous avez réussi et si elle a subi le châtiment qu’elle méritait.

– J’ai réussi, madame, quant à l’objet important, répondit Schedoni en détournant les yeux avec une sourde indignation. Sachez que votre fils n’est plus exposé à contracter une alliance indigne de vous.

– Mais quoi, repartit la marquise, que voulez-vous me faire entendre? Votre succès ne serait-il pas complet?

– Je ne puis dire cela, dit Schedoni, puisque d’une part l’honneur de votre maison est sauf et que, de l’autre, on a pu… sauver les jours…

Il balbutia plutôt qu’il ne prononça ces derniers mots, se représentant l’instant fatal où, le poignard levé sur Elena, il l’avait reconnue pour sa fille.

– Sauver les jours!… répéta la marquise. Expliquez-vous, mon père.

– Elle vit, madame, répondit Schedoni avec effort. Cependant vous n’avez plus rien à craindre d’elle.

– Vos réponses sont des énigmes, mon père, reprit la marquise avec impatience. Cette fille existe, dites-vous? Soit, j’entends cela; mais quand vous ajoutez que je n’ai rien à craindre…

– Je dis aussi la vérité, madame, et la bonté de votre cœur doit applaudir que la miséricorde ait pu se concilier avec la justice.

– Voilà des sentiments, dit la marquise en trahissant son irritation, qui peuvent être bien placés en de certaines circonstances. Ce sont de ces habits de fête que l’on endosse quand le temps est beau; mais ici l’horizon est chargé de nuages; la simplicité est de mise, et je ne veux me revêtir que de raison et de bon sens. Faites-moi connaître ce qui a amené ce changement dans vos résolutions, et venons-en au fait, je vous prie.

Schedoni exposa alors avec toute l’adresse possible, et sans se trahir lui-même, toutes les circonstances capables de relever la famille d’Elena et d’affaiblir la répugnance de la marquise pour le mariage que son fils avait voulu contracter, espérant l’amener ainsi à consentir à cette union Il joignit à ces révélations un récit, habilement arrangé, de la manière dont il avait découvert la nouvelle situation des choses. La marquise, ayant peine à se contenir, attendait impatiemment que Schedoni eût fini de parler.

– Mon père, dit-elle quand le récit fut achevé, est-il possible que vous vous soyez laissé prendre aux artifices d’une fille qui avait tout intérêt à vous abuser pour détourner d’elle le danger? Comment un homme de votre expérience a-t-il pu ajouter foi à de pareilles fables? Dites plutôt, mon père, que vos résolutions ont faibli au moment de les accomplir et que vous cherchez maintenant une excuse à votre faiblesse.

– Madame, répliqua gravement Schedoni, je ne suis pas homme à me contenter de fausses apparences et encore moins à renoncer par faiblesse à un acte de justice que j’aurais jugé nécessaire. Et quant à votre dernier reproche, mon caractère me défend assez, je le pense, contre toute imputation de fausseté.

La marquise s’aperçut qu’elle était allée trop loin. Elle se justifia en alléguant ses inquiétudes maternelles, et le religieux accepta volontiers ses excuses. Chacun d’eux regardant leur bonne intelligence mutuelle comme nécessaire à sa sûreté. Schedoni dit alors que ce qu’il avait avancé de l’origine d’Elena ne reposait pas uniquement sur les assertions de la jeune fille, mais qu’il avait des preuves sérieuses à l’appui de ces assertions, entre autres certaines particularités, qu’il crut pouvoir révéler sans crainte qu’on soupçonnât qu’il s’agissait de sa propre famille. La marquise, sans être au fond ni apaisée, ni convaincue, sut assez bien contenir ses sentiments pour l’écouter tranquillement. De sorte que Schedoni, encouragé par ce calme apparent, en vint à dire qu’autant il avait montré de zèle pour s’opposer à cette union lorsqu’il y voyait une mésalliance, autant il serait disposé à l’approuver aujourd’hui.

– Je m’en remets d’ailleurs, ajouta-t-il, à la justesse ordinaire de votre jugement, madame, et je ne doute pas que, lorsque vous aurez pesé mûrement la question, vous ne tombiez d’accord avec moi que toute autre considération doit céder à celle du bonheur de votre cher fils.

La chaleur que mettait le confesseur à plaider la cause de Vivaldi étonna quelque peu la marquise; mais, sans le faire s’expliquer davantage sur ce point, elle lui demanda ce qu’était devenue Elena. Il était trop habile pour répondre directement à cette question, quelque précise qu’elle fût. Il s’efforça de détourner de nouveau l’attention de la marquise sur Vivaldi; cependant, il n’osa pas lui apprendre que son fils était enfermé dans la prison de l’Inquisition. La marquise, croyant que le jeune homme était encore à la recherche d’Elena, multiplia les questions à son sujet; mais toujours Schedoni les éludait, gardant dans ses réponses une prudente circonspection. Il s’informa de son côté comment le marquis avait supporté l’absence de son fils. Le marquis avait souffert, et comme père et comme chef d’une illustre famille, de la disparition du jeune homme qu’il croyait aussi sur les traces d’Elena. Mais ses nombreuses et importantes occupations faisaient quelque diversion à ses sentiments. Il avait dépêché quelques émissaires à la recherche de Vivaldi, et continuait de se livrer à sa vie ordinaire d’homme du monde et de cour.

Avant de prendre congé de la marquise, Schedoni hasarda encore quelques mots sur l’attachement de Vivaldi pour Elena, en essayant de plaider leur cause. La marquise parut d’abord ne pas l’écouter; puis, sortant de sa rêverie:

– Mon père, dit-elle, c’est, selon moi, un mauvais calcul que d’avoir placé cette jeune fille dans un lieu où son amant ne peut manquer de la découvrir.

– En quelque endroit qu’elle soit, répondit Schedoni, qui sentit l’intention interrogative de cette phrase, il sera difficile en effet de la lui cacher longtemps.

– Il fallait au moins, reprit la marquise, la tenir plus éloignée de Naples.

Et comme le moine ne répondait rien, elle ajouta:

– Car il n’y a pas grande distance, n’est-il pas vrai, du palais Vivaldi au couvent de la Pietà?

Quoique le confesseur pensât bien qu’elle feignait d’être instruite du lieu de la retraite d’Elena pour tirer de lui cette révélation, il ne put s’empêcher de tressaillir. Mais il se remit aussitôt et répliqua:

– J’ignore à quelle distance est la maison dont vous parlez; je n’en connaissais même pas l’existence. Il paraît cependant, d’après ce que vous me dites, que cette communauté serait très près d’ici. Dès lors on a dû l’éviter plus que tout autre. La plus simple prudence en faisait une loi.