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Il lui fallut du temps avant qu’il pût se reconnaître et distinguer les objets dont il était entouré. Des figures pareilles à des ombres semblaient glisser dans les ténèbres. Des instruments dont il ne comprenait pas l’usage frappaient ses regards inquiets et troublés. Il entendait toujours des gémissements douloureux et cherchait des yeux les malheureux à qui on les arrachait lorsqu’une voix, qui partait de l’extrémité de la salle, lui ordonna d’avancer.

La distance et l’obscurité ne lui permettant pas de distinguer le point précis d’où venait cet ordre, il hésitait à obéir; mais on le saisit par le bras et on le poussa en avant. Il aperçut alors, sur une estrade élevée de quelques marches, trois personnes assises sous un dais drapé de noir, et qui paraissaient être là pour présider à la torture. Devant elles, et un peu au-dessous, siégeait un greffier, éclairé d’une lampe Vivaldi comprit que les trois juges étaient: le grand inquisiteur, le procureur général de l’Inquisition, et un inquisiteur ordinaire qui paraissait plus ardent que les deux autres à remplir ses cruelles fonctions. À quelque distance de la table, était une grande machine en fer, que Vivaldi supposa être un chevalet, et, tout à côté, une autre machine ressemblant à un cercueil. Heureusement, il ne distingua dans l’obscurité aucune créature humaine soumise à ce moment à la question. Mais c’était sûrement dans une salle voisine qu’étaient exécutées les terribles sentences des inquisiteurs car, toutes les fois qu’une certaine porte s’ouvrait, les gémissements et les cris redoublaient de force, et l’on voyait aller et venir des hommes fort occupés, vêtus de noir comme les autres.

Le grand inquisiteur appela Vivaldi par son nom et l’exhorta de nouveau à dire la vérité s’il voulait éviter les tourments qui l’attendaient. Et, sur ses nouvelles protestations d’innocence, il fit signe aux tortionnaires de préparer les instruments de la question. Pendant que ceux-ci obéissaient, Vivaldi, malgré le trouble où il était, remarqua un homme qui traversait la salle et qu’il reconnut pour être le mystérieux donneur d’avis des ruines de Paluzzi, celui-là même qu’il avait déjà vu quand on le ramenait à sa prison. Il le regarda fixement et s’assura qu’il ne se trompait pas.

Les gardiens de Vivaldi, exécutant l’ordre de l’inquisiteur, se saisirent de lui, le dépouillèrent de son habit et de sa veste, le lièrent avec de fortes cordes et lui enveloppèrent la tête d’un grand voile noir qui l’empêcha de voir le reste des préparatifs. Ce fut dans cet état qu’il fut interrogé de nouveau.

– N’êtes-vous jamais allé dans l’église de Spirito Santo à Naples? lui demanda l’inquisiteur.

– Si, répondit le jeune homme.

– N’y avez-vous pas montré du mépris pour la foi catholique?

– Jamais.

– Rappelez vos souvenirs. N’y avez-vous jamais insulté un ministre de la sainte Église?

Vivaldi garda le silence. Il commençait à reconnaître que la principale accusation portée contre lui pouvait bien être le crime d’hérésie.

L’inquisiteur répéta sa question:

– Parlez, dit-il, n’avez-vous pas insulté un ministre de la religion dans l’église de Spirito Santo?

– Et ne l’avez-vous pas insulté, dit une autre voix, pendant qu’il accomplissait un acte de pénitence?

Vivaldi tressaillit: cette voix était celle du moine des ruines de Paluzzi.

– Qui m’a posé cette dernière question? demanda-t-il.

– Vous êtes ici pour répondre et non pour interroger, reprit l’inquisiteur. Répondez.

– J’ai pu en effet offenser un ministre de l’Église, dit le jeune homme, je n’ai jamais eu l’intention d’insulter notre sainte religion. Vous ne savez pas, mes révérends pères, par quelles injures j’avais été provoqué.

– Il suffit. Répondez seulement à ma question. N’avez-vous pas, par des insultes et des menaces, forcé un saint religieux à interrompre un acte de pénitence et à sortir de l’église?

– Non, mon père, répliqua l’accusé. S’il eût répondu à des questions que j’avais le droit de lui poser, s’il m’eût promis de me rendre la personne qu’il m’avait enlevée par une lâche trahison, rien ne l’eût obligé de quitter l’église.

– Où avez-vous vu, pour la première fois, Elena Rosalba? demanda la même voix qui s’était déjà fait entendre en dehors du tribunal.

– Je demande encore, dit Vivaldi, quelle est la personne qui me pose cette question?

– Et moi, je vous répète, reprit l’inquisiteur, qu’un criminel n’a pas le droit d’interroger. Répondez, ou les serviteurs du Saint-Office vont faire leur devoir.

– C’est dans l’église de San Lorenzo que j’ai vu pour la première fois Elena Rosalba.

– Était-elle déjà religieuse? demanda le grand inquisiteur.

– Elle ne l’a jamais été, répondit le jeune homme, et n’a jamais eu la volonté de l’être.

– En quel lieu demeurait-elle alors?

– Elle vivait avec une parente à la villa Altieri, et elle y serait encore sans les artifices et les violences d’un moine qui l’a arrachée de sa maison pour la jeter dans un couvent.

– Le nom de ce moine? dit le questionneur d’un ton pressant.

– Si je ne me trompe, répondit Vivaldi, vous le connaissez fort bien sans que je le nomme. C’est le père Schedoni, dominicain du couvent de Spirito Santo à Naples, le même qui m’accuse de l’avoir insulté dans son église.

– Pourquoi le reconnaissez-vous pour votre accusateur? ajouta la voix de l’inconnu.