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– Parce qu’il est mon seul ennemi.

– Votre ennemi? s’étonna l’inquisiteur. Mais, dans votre première déposition, vous avez dit que vous ne vous en connaissiez aucun. Je vous surprends en contradiction avec vous-même.

– On vous avait averti de ne pas aller à la villa Altieri, reprit encore l’inconnu. Pourquoi n’avez-vous pas profité de cet avis?

– Cet avis? C’est vous-même qui me l’avez donné! s’écria Vivaldi. À présent je vous reconnais bien.

– Moi! dit celui qu’on interpellait.

– Vous-même. C’est vous aussi qui m’avez prédit la mort de la signora Bianchi. Ne seriez-vous pas cet ennemi, le père Schedoni lui-même, mon accusateur?

Un murmure confus venant du tribunal succéda à ces paroles, et la voix imposante de l’inconnu s’éleva de nouveau.

– Je déclare ici solennellement, dit-il, que je ne suis pas le père Schedoni.

Le ton et la fermeté avec lesquels l’inconnu fit cette déclaration persuadèrent Vivaldi de sa sincérité. D’ailleurs, quoiqu’il reconnût toujours la voix du moine, il n’y retrouvait pas celle de Schedoni. Il demeura frappé d’étonnement. S’il eût eu les mains libres, il eût tâché d’écarter le voile qui enveloppait sa tête pour voir ce mystérieux personnage. Mais tout ce qu’il put faire fut de le conjurer de révéler son nom et les motifs de sa conduite. Il ne reçut point de réponse, mais un nouveau murmure parcourut la salle. Bientôt après, il entendit quelqu’un s’avancer et donner ordre de le reconduire dans sa prison.

On le ramena au lieu où on l’avait reçu et on le rendit à ses premiers gardiens.

Ceux-ci l’enfermèrent de nouveau dans sa chambre. Là, Vivaldi, épuisé par les diverses émotions qu’il venait d’éprouver, se jeta sur son grabat et tomba bientôt dans un profond assoupissement.

Il y avait environ deux heures qu’il était dans cet état lorsqu’il en fut tiré par la voix qu’il avait entendue aux ruines de Paluzzi et au tribunal. Quelle ne fut pas sa surprise, en ouvrant les yeux, d’apercevoir, debout à côté de son lit, un moine dont le capuchon relevé laissa voir la figure qui lui était apparue dans les ruines. Il tenait à la main une lampe qui, éclairant les profondes rides dont son visage était sillonné, semblait révéler les traces des passions ardentes qui avaient agité sa vie.

Comme Vivaldi se soulevait sur sa couche pour s’assurer de la réalité de cette apparition, ces mots résonnèrent à son oreille:

– On vous a épargné hier, jeune homme, mais aujourd’hui…

– Au nom du ciel, interrompit Vivaldi, au nom de tout ce qu’il y a de plus sacré, qui êtes-vous? Et que me voulez-vous?

– Point de question, répliqua le moine avec autorité. Mais répondez-moi.

Frappé de ce ton impérieux, Vivaldi n’osa renouveler sa demande, et l’étranger continua:

– Depuis quand connaissez-vous le père Schedoni? Quand l’avez-vous vu pour la première fois?

– Je le connais depuis environ un an. Il est le confesseur de ma mère.

– Savez-vous quel est cet homme? reprit le moine. N’avez-vous rien ouï dire de sa vie passée?

Vivaldi hésita un moment. Il se rappela confusément l’histoire incomplète et obscure que Paolo lui avait racontée dans les souterrains de Paluzzi, au sujet d’une confession reçue dans l’église des Pénitents Noirs. Mais il n’osait assurer que ce récit se rapportât à Schedoni.

Le moine renouvela sa question:

– N’avez-vous jamais rien ouï dire d’extraordinaire concernant le père Schedoni?

– Je vous ai dit, répliqua le jeune homme, tout ce que je savais de lui avec certitude, et je n’y pourrais ajouter que des conjectures.

– Quelles sont ces conjectures? Seraient-elles relatives à certaine confession faite dans l’église des Pénitents Noirs de Santa Maria del Pianto?

– Oui, dit Vivaldi.

«Quelle était cette confession?

– Comment le saurais-je? Une confession n’est-elle pas un dépôt sacré enseveli pour toujours dans le sein du prêtre qui l’a reçu?

L’étranger se tut un instant, puis il reprit:

– N’avez-vous jamais entendu dire que le père Schedoni fût coupable de quelque grand crime, et qu’il s’efforçait d’apaiser ses remords par les austérités de la pénitence?

– Jamais.

– Ne vous a-t-on pas dit qu’il avait une femme, un frère?…

– Lui?… On ne m’a rien dit de pareil.

– Ne vous a-t-on jamais parlé d’actes violents, de meurtre, de…

L’étranger s’arrêta court comme s’il eût voulu que Vivaldi achevât sa phrase; mais le jeune homme garda le silence.

– Ainsi, reprit-il, vous ne savez rien de la vie passée de cet homme?

– Rien. Je vous l’ai déjà dit.

– Soit. À présent écoutez-moi: demain soir vous serez ramené dans la salle souterraine où vous avez été conduit hier; mais, quelque chose que vous y voyiez, ne vous laissez pas intimider. Je serai là, moi aussi, quoique invisible peut-être.

– Invisible!

– Ne m’interrompez pas. Mais écoutez bien ceci: lorsqu’on vous demandera ce que vous savez du père Schedoni, dites hardiment qu’il vit depuis quinze ans, sous le froc religieux, dans le couvent des dominicains de Spirito Santo à Naples; que son vrai nom est Ferando de Marinella, comte de Bruno. On vous demandera alors le motif de son déguisement; vous répondrez en renvoyant au monastère des Pénitents Noirs de Santa Maria del Pianto, et vous sommerez les inquisiteurs de mander à leur tribunal le père Ansaldo, grand pénitencier de l’ordre, et de lui ordonner de révéler les crimes dont il a reçu l’aveu au confessionnal le soir du 24 avril 1752, veille de la Saint-Marc.

– Quoi! s’étonna Vivaldi. Est-il croyable que ce religieux ait conservé ses souvenirs après tant d’années?

– N’en doutez pas, répliqua l’étranger.

– Mais sa conscience lui permettra-t-elle de trahir le secret de la confession?

– L’Inquisition lie et délie sur la terre. Si le saint tribunal lui ordonne de parler, la conscience du révérend père sera déchargée et il ne pourra se dispenser d’obéir. Ferez-vous ce que je vous dis?

– Comment le puis-je? demanda Vivaldi. Ma conscience et la prudence me défendent également d’affermir ce que je ne saurais prouver. Schedoni, il est vrai, est mon ennemi, mon plus cruel ennemi; mais, par cela même, je me trouve obligé d’être juste envers lui. Car, sans cela, on m’accuserait, et je m’accuserais moi-même d’obéir à mes ressentiments. Je n’ai aucune preuve qu’il soit le comte de Bruno ni qu’il ait commis les crimes dont vous parlez, et je ne puis pas me faire l’instrument d’une dénonciation qui traduirait un homme devant ce terrible tribunal qui condamne à mort sur un soupçon.

– Vous doutez donc de la vérité de ce que j’affirme? dit le moine avec hauteur.

– Pourquoi croirais-je aux paroles d’un homme qui refuse même de dire son nom.

– Mon nom n’est plus, dit l’inconnu, il est condamné à l’oubli. Mais qu’importe? Ce que je vous ai dit en est-il moins vrai?

– Une accusation sans preuves!… s’écria Vivaldi.

– Oui, reprit l’étranger, il est certains cas où rien n’oblige de fournir des preuves. On ne vous demande pas d’intenter vous-même l’accusation, mais seulement de faire appeler en justice celui qui produira les charges.