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– Et cependant j’aurai concouru à une dénonciation qui peut n’être qu’une calomnie. Si vous êtes convaincu, vous, des crimes de Schedoni, que ne faites-vous appeler vous-même le père Ansaldo devant le tribunal?

– Je ferai plus, je paraîtrai, dit le moine en donnant à ce mot une certaine solennité.

– Vous paraîtrez comme témoin?

– Oui, répliqua le moine, comme témoin redoutable. Assez de questions maintenant. Oui ou non, ferez-vous au tribunal les demandes et les sommations que je viens de vous indiquer?

– Moi, s’écria le jeune homme hésitant, faire citer le grand pénitencier à l’instigation d’un inconnu!…

– Vous me connaîtrez dans la suite, dit le moine en tirant un poignard de dessous sa robe. Regardez sur cette lame: qu’y voyez-vous?

Vivaldi reconnut des taches de sang, et demeura frappé d’horreur.

– Voilà des preuves de la vérité! reprit le moine d’un ton solennel. Demain soir, nous nous retrouverons dans ces souterrains, empire de la douleur et de la mort.

En achevant ces mots, il s’éloigna. Le prisonnier passa le reste de la nuit sans dormir. Le matin, lorsque son gardien vint comme à l’ordinaire lui apporter du pain et une cruche d’eau, il s’informa de l’étranger qui était venu le visiter pendant la nuit. Le gardien parut fort surpris, et soutint que personne n’avait pu pénétrer dans la chambre, bien verrouillée, cadenassée et gardée à vue la nuit comme le jour.

– Quoi! dit Vivaldi. N’avez-vous entendu aucun bruit?

Et il décrivit le costume et l’air du religieux.

– Quand on dort, répliqua le gardien, on est sujet à rêver.

Il fallut que le jeune homme se contentât de cette réponse.

Le soir, à la même heure que la veille, la porte de sa prison se rouvrit et Vivaldi vit entrer les deux hommes qui étaient déjà venus le chercher. On le revêtit du même manteau, en y ajoutant un épais voile noir qui lui couvrait la tête et les yeux. Puis on se mit en marche. Vivaldi s’aperçut que le terrain s’abaissait et commença à descendre. Il essaya de compter les marches, pour juger si c’était le même escalier que la veille. Il entendit plusieurs portes s’ouvrir et se refermer jusqu’à ce qu’il se trouvât dans une salle qui devait être spacieuse, car l’air y était moins humide et le bruit de ses pas résonnait au loin. On lui cria d’avancer et il reconnut qu’il était devant le même tribunal, présidé par le même inquisiteur qui l’avait déjà interrogé.

Ainsi que le moine le lui avait annoncé, on demanda au jeune homme ce qu’il savait du père Schedoni. Il rapporta seulement ce qu’on lui avait appris du vrai nom du confesseur et de l’incognito qu’il gardait dans le couvent de Spirito Santo…

– De qui tenez-vous ces faits? demanda l’inquisiteur?

– D’une personne qui m’est inconnue.

Un murmure venant du tribunal fit comprendre à Vivaldi que sa réponse était accueillie par une complète incrédulité.

– Pourquoi ne faites-vous pas appeler le père Ansaldo comme je vous l’ai recommandé? lui dit tout bas une voix qu’il reconnut.

Alors Vivaldi, s’adressant à ses juges:

– Celui qui m’a appris ce que je viens de rapporter est ici, s’écria-t-il. Je l’ai reconnu à sa voix. Qu’on l’arrête.

– De quelle voix parlez-vous? dit l’inquisiteur.

– Je parle d’une personne qui est près de moi et qui m’a parlé. Je supplie qu’on me découvre les yeux afin que je puisse désigner celui qui me poursuit jusqu’ici.

Le tribunal, après s’être consulté quelque temps, acquiesça à la demande du jeune homme. On retira le voile qui lui couvrait la tête. Il regarda tout autour de lui et n’y vit personne que les tortionnaires. L’inquisiteur l’accusa alors d’un ton sévère d’avoir voulu en imposer au tribunal et, sur ses dénégations énergiques, il lui ordonna de donner des preuves de la mystérieuse communication qu’il prétendait avoir reçue. Alors Vivaldi, écartant le scrupule qui l’avait arrêté jusque-là, déclara que la voix lui avait enjoint de demander au tribunal qu’il fit comparaître devant lui le père Ansaldo, grand pénitencier de l’église de Santa Maria del Pianto, en même temps que le père Schedoni qui devrait répondre aux charges que le père Ansaldo porterait contre lui.

Ces déclarations jetèrent les juges dans une grande perplexité; et ils demandèrent à Vivaldi s’il connaissait le père Ansaldo. Le jeune homme répondit que ce religieux lui était complètement étranger et qu’il n’avait jamais entendu parler de lui avant la visite de l’inconnu.

– Quelqu’un est donc venu vous voir? demanda l’inquisiteur. Quand cela? Où?

– La nuit dernière, dans ma prison.

– Dans votre prison! s’écria le grand inquisiteur d’un ton ironique C’est une vision que vous aurez eue.

– Il faut éclaircir cela, dit un autre, il y a ici quelque secret artifice. Et vous, Vincenzo de Vivaldi, si vous avez avancé un mensonge, tremblez.

Après une courte consultation entre tous les membres du tribunal, le grand inquisiteur donna l’ordre de faire comparaître les gardiens qui, la nuit précédente, avaient veillé autour de la chambre du prisonnier. Tous déclarèrent sans hésitation que personne n’était entré dans la prison depuis l’heure où Vivaldi y avait été reconduit jusqu’au lendemain matin. Entre cette affirmation et le témoignage du jeune homme qui paraissait sincère, les juges demeuraient plus incertains que jamais. L’accusé, pour donner plus de foi à ses paroles, crut devoir entrer dans des détails circonstanciés sur l’extérieur, la physionomie et le costume du moine Un profond silence accueillit cette description; enfin l’inquisiteur dit d’un ton imposant:

– Nous avons écouté attentivement votre déposition, et nous prendrons des renseignements ultérieurs. Retirez-vous en paix; bientôt, vous en saurez davantage.

Vivaldi fut reconduit, les yeux toujours couverts, dans la prison où il avait cru ne jamais rentrer et, quand on lui retira son voile, il s’aperçut que ses gardes étaient changés. Il attendit la nuit avec anxiété, craignant et désirant à la fois l’apparition mystérieuse qui semblait disposer de sa destinée. Mais la nuit se passa tranquillement et, vers le matin, Vivaldi se laissa aller à un sommeil profond qui ne fut troublé par aucun rêve.

XXI

À la suite de l’interrogatoire de Vivaldi, Schedoni et le père Ansaldo, grand pénitencier de Santa Maria del Pianto, furent cités tous deux devant le tribunal du Saint-Office.

Schedoni fut arrêté pendant qu’il se rendait à Rome pour travailler à la délivrance de Vivaldi, œuvre plus difficile que ne l’avait été son emprisonnement. Il mettait d’autant plus d’ardeur à faire rendre la liberté au jeune homme qu’il craignait que sa famille ne fût instruite de sa situation, malgré le soin que prenait toujours l’Inquisition de cacher les noms des prisonniers. Il se proposait aussi de conclure le mariage d’Elena et de Vivaldi aussitôt que celui-ci serait libre, pensant avec raison que si le jeune homme venait plus tard à concevoir des soupçons sur son compte, toute idée de vengeance contre son persécuteur serait combattue par son devoir et sa reconnaissance. Pauvre Vivaldi! il était loin de se douter, quand il dénonçait Schedoni au tribunal, qu’il agissait contre lui-même, en différant ou en rendant impossible son union avec Elena.