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«- Et votre femme? lui demandai-je.

«- Elle reçut le coup de poignard destiné à son amant, me répondit le pénitent.

«Et maintenant, mes révérends pères, jugez de ce que je dus ressentir à cet aveu! L’amant de la femme qu’il venait se confesser à moi d’avoir assassinée… c’était moi!

Un mouvement d’horreur parcourut la salle.

– Était-elle innocente? s’écria Schedoni, comme malgré lui.

Au son de cette voix, le pénitencier se tourna vivement du côté de Schedoni. Il y eut un moment de silence, pendant lequel il tint les yeux fixés sur lui. À la fin, il éleva la voix et dit solennellement:

– Oui, elle était innocente.

Schedoni, après cette vive apostrophe qui lui était échappée, avait apparemment repris son calme. Un murmure s’éleva parmi les membres du tribunal, et l’inquisiteur ordonna au greffier de prendre note de la question imprudente faite par Schedoni. Puis, s’adressant au père Ansaldo:

– La voix que vous venez d’entendre, lui dit-il, rappelle-t-elle à votre oreille celle de votre pénitent? Pensez-vous que ce soit la même?

– Je pense que c’est la même, répondit le père Ansaldo. Cependant je n’oserais l’affirmer par serment.

– Continuez, reprit l’inquisiteur.

– En reconnaissant le meurtrier, je quittai brusquement le confessionnal et je perdis l’usage de mes sens. Quand je revins à moi, il s’était échappé. Je ne l’ai jamais revu depuis ce jour, et je n’oserais attester que l’homme qui est là devant moi soit celui dont j’ai reçu la confession.

– Mais, observa l’inquisiteur, si vous ne connaissez pas le père Schedoni, religieux du couvent de Spirito Santo, vous connaissiez du moins le comte de Bruno.

– Oui, dit le grand pénitencier, le pénitent était bien le comte Ferando de Bruno; mais je n’oserais prendre sur moi d’affirmer que le comte est ici. Si c’est lui que je vois, les années l’auraient prodigieusement changé. Encore une fois, que le père Schedoni soit cet homme, c’est ce que je n’oserais dire.

– Eh bien je l’oserai, moi! dit une autre voix que Vivaldi reconnut pour celle de l’étranger qui l’avait visité dans sa prison.

Il le vit en même temps s’avancer, le visage découvert, son capuchon rejeté en arrière, et la physionomie menaçante. Schedoni pâlit et se troubla visiblement pour la première fois.

– Me connais-tu? dit cet homme à Schedoni d’un ton terrible, en se plaçant en face de lui.

– Si je te connais! balbutia Schedoni.

– Et connais-tu ceci? ajouta l’inconnu en élevant la voix et en tirant un poignard de dessous sa robe. Reconnais-tu ces taches ineffaçables?

Et en même temps, il brandit le poignard et le mit sous les yeux de Schedoni.

Celui-ci détourna la vue, et parut près de défaillir.

– C’est de ce poignard que ton frère a été percé! reprit le terrible inconnu. Ai-je besoin de t’en dire davantage?

Le courage de Schedoni l’abandonna, et il fut obligé de s’appuyer contre un des piliers de la salle. Il se fit une grande rumeur et un mouvement général. Plusieurs membres du tribunal quittèrent leurs sièges. Cependant le moine restait debout, le poignard à la main, devant Schedoni qui se détournait en tremblant. Enfin le grand inquisiteur demanda aux juges de reprendre leurs places et aux officiers de revenir à leur poste. Quand la confusion fut dissipée:

– Mes révérends pères, dit-il, nous vous recommandons dans une affaire de cette importance le silence, l’ordre et le calme. Laissons l’interrogatoire des parties en cause suivre son cours, et nous examinerons ensuite si nous devons admettre la nouvelle accusation. Quant à présent, il convient que l’accusateur soit entendu et que le père Schedoni le soit à son tour.

Vivaldi profita du silence qui se rétablit pour réclamer un moment d’attention.

– Je déclare, dit-il, en montrant l’inconnu, que cet homme est le même qui est venu dans ma prison au milieu de la nuit, et qui m’a enjoint de faire citer devant vous le grand pénitencier et le père Schedoni.

Cette nouvelle révélation excita quelque agitation chez les membres du tribunal. L’accusateur, interrogé à son tour, convint que Vivaldi avait dit la vérité, et on lui demanda quel avait été le motif de cette visite extraordinaire.

– Mon dessein, répondit-il, était de faire comparaître le meurtrier devant votre justice.

– Ne pouviez-vous, lui objecta-t-on, arriver à ce but par une accusation franche et ouverte? Si vous étiez sûr que votre dénonciation était bien fondée, que ne l’adressiez-vous directement au tribunal, au lieu d’exercer une influence insidieuse sur l’esprit d’un prisonnier étranger au crime dont vous vous voulez le vengeur!

– Cependant, répliqua l’inconnu, je n’ai point évité de comparaître moi-même, et c’est volontairement que je me suis présenté.

– Il est vrai, repartit le grand inquisiteur, mais vous n’avez pas encore déclaré qui vous êtes ni d’où vous venez. Père Schedoni, ajouta-t-il, connaissez-vous cet homme qui se porte votre accusateur?

– Oui, répliqua le confesseur. Son nom est Nicolas de Zampari, religieux au couvent de Spirito Santo.

– Où l’avez-vous d’abord connu?

– À Naples, où il demeurait sous le même toit que moi, lorsque j’étais au couvent de Sant’Angelo. C’est là que nous avons vécu ensemble dans l’intime confiance d’une amitié mutuelle.

– Vous voyez maintenant combien votre confiance a été trompée, et vous vous repentez sans doute de votre imprudence.

– Je déplore son ingratitude, mais je ne lui ai jamais fait aucune confidence qui puisse m’exposer au repentir.

– Quels seraient donc les motifs de son inimitié?

– Je les expliquerai, dit Schedoni.

– Explique-les sur-le-champ, fit l’étranger d’un ton imposant.

– Eh bien, reprit Schedoni, j’avais promis à Zampari de l’aider de mon crédit pour lui faire obtenir une dignité qu’il convoitait. Mais lorsqu’il croyait toucher au but de son ambition, il échoua par la faute de la personne sur qui je comptais et s’en prit à moi de cette déconvenue. C’est un homme violent et vindicatif, et je ne puis attribuer qu’à ses rancunes l’injuste accusation qu’il m’impute aujourd’hui.