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En passant dans la salle, elle aperçut Béatrice attachée à un pilier; l’un des bandits masqués la surveillait et la menaçait du geste. La pauvre vieille femme, à la vue d’Elena, se mit à supplier ces hommes plus pour sa maîtresse que pour elle-même. Vains efforts! Elena fut entraînée de la maison dans le jardin où elle perdit connaissance. Quand elle revint à elle, elle se trouvait dans un carrosse fermé, emporté au grand galop des chevaux. À ses côtés, elle revit les deux hommes masqués qui s’étaient emparés d’elle, et qui à toutes ses questions, à toutes ses prières, ne répondirent que par un silence absolu. Le carrosse roula toute la nuit, ne s’arrêtant que pour changer de chevaux. À chaque relais, Elena s’efforçait d’appeler au secours et d’intéresser à son sort les gens de la poste; mais les stores de la voiture étaient soigneusement fermés, et les ravisseurs en imposaient sans doute par quelque fable à la crédulité de l’entourage, car personne ne bougea pour la délivrer. Pendant les premières heures, le trouble et la terreur l’avaient profondément abattue; mais quand elle reprit un peu ses esprits, la douleur et le désespoir l’assaillirent derechef: elle se vit séparée de Vivaldi pour toujours. Persuadée que cette violence était l’œuvre de la famille de son amant, elle comprit quels obstacles insurmontables allaient maintenant se dresser entre eux, et l’idée qu’elle ne verrait plus le jeune homme agit sur elle avec tant de force qu’elle en oublia toute autre crainte et devint dès lors indifférente sur le lieu de sa destination et le sort qu’on lui réservait. Dans la matinée, comme la chaleur commençait à se faire sentir, on abaissa un peu les panneaux du carrosse pour donner de l’air; mais cette petite ouverture ne laissait voir que des cimes de montagnes et des roches. Il était près de midi, autant qu’Elena put en juger par l’excès de la chaleur, lorsqu’on s’arrêta à une maison de poste pour lui faire donner un verre d’eau fraîche, et, comme le panneau fut abaissé tout à fait, elle aperçut un pays sauvage et solitaire, hérissé de montagnes et de forêts. Elle trouva cependant un soulagement passager dans le spectacle de cette nature abrupte, mais grandiose, qu’on lui permettait encore de contempler; et son courage se soutint pendant le reste du voyage. Quand la chaleur et le jour furent sur leur déclin, le carrosse entra dans une gorge creusée entre deux chaînes de rochers, au fond de laquelle on découvrait, comme par un long télescope, une vaste plaine bornée par des montagnes que doraient les feux du soleil couchant. Le chemin pratiqué sur l’un des côtés de cette gorge dominait le lit d’un torrent qui, s’élançant impétueusement des hauteurs, modérait ensuite sa course jusqu’au bord d’un autre précipice où il s’élançait avec un horrible fracas, en dispersant dans les airs une poussière d’écume. À ce spectacle plus effrayant mille fois que la plume ou le pinceau ne le peuvent rendre, Elena ressentit une sorte de plaisir âpre, en harmonie avec ses émotions douloureuses; mais ce sentiment fit place à un effroi véritable lorsqu’elle vit que la route qu’elle suivait aboutissait à un pont étroit, jeté, d’une chaîne de montagnes à l’autre, par-dessus l’abîme au fond duquel grondait l’impétueux torrent. Ce pont n’avait d’autre parapet que quelques frêles pièces de bois. Il était si élevé que de loin on croyait le voir suspendu dans le ciel. Elena ferma les yeux et recommanda son âme à Dieu pendant ce périlleux passage. De l’autre côté de la gorge, le chemin continuait à descendre le long du torrent pendant l’espace d’un mille environ et débouchait sur de larges et riches campagnes, en face des belles montagnes qu’on avait entrevues au fond du défilé: il semblait qu’on passât de la mort à la vie. Mais ce tableau et ces contrastes cessèrent d’occuper l’esprit d’Elena lorsque, sur une des plus hautes montagnes qui se dressaient devant elle, elle distingua les clochers d’un monastère qui lui parut être le terme de son voyage.

Comme le chemin était devenu trop roide et trop étroit pour un carrosse, ses deux guides descendirent et l’obligèrent à mettre aussi pied à terre. Elle les suivit par un sentier tournant, ombragé de myrtes, d’amandiers, de jasmins et d’autres arbustes odorants. Ces bosquets laissaient voir par intervalles une plaine verdoyante qui s’étendait au bas des montagnes des Abruzzes. En avançant, on distinguait l’une après l’autre les différentes parties d’un vaste édifice: les tours et les clochers de l’église, les toits du cloître découpés à angles aigus, les murs des terrasses surplombant des précipices et l’antique portail donnant accès dans la cour principale. Après avoir passé à côté de plusieurs chapelles rustiques et devant des statues de saints abritées sous des grottes ou à demi cachées par des ronces, les compagnons d’Elena s’arrêtèrent près de la petite niche d’une madone, à quelques pas du sentier. Là, à son grand étonnement, ils examinèrent ensemble quelques papiers, puis s’éloignèrent un peu pour se consulter; ils parlaient si bas qu’elle ne put entendre un seul mot de leur entretien. Bientôt après, l’un d’eux s’éloigna en direction du monastère, laissant Elena à la garde de son camarade Elle profita du moment où cet homme était seul pour tenter de le bien disposer en sa faveur; mais il ne lui répondit que par un geste de refus. Elle se résolut donc à supporter son malheur avec patience. Le lieu était favorable à la mélancolie; et l’orpheline s’abandonnait à cette impression que redoublait encore le silence de toute la nature lorsqu’elle fut tirée de sa rêverie par un chant lointain de religieux qui célébraient l’office du soir. Elle distingua par intervalles des voix de religieuses qui s’y mêlaient, et se flatta de l’espérance qu’elle trouverait là quelques âmes compatissantes. Elle aperçut bientôt dans l’obscurité deux religieux qui s’avançaient vers elle. Lorsqu’ils furent plus près, elle distingua leur robe grise, leur capuchon, leur tête rasée à l’exception d’une couronne de cheveux blancs. Chose étrange! en observant le plus grand des deux, Elena crut reconnaître son second compagnon de route. La ressemblance était frappante: c’était, sous un costume différent, la même rudesse, le même regard faux et perçant. Les deux moines renvoyèrent l’homme qui était resté près de la jeune fille, et dirent à celle-ci de les suivre. Ils arrivèrent à une grille qui leur fut ouverte par un frère lai, et entrèrent dans une vaste cour dont trois côtés étaient formés par les arcades d’un cloître, le quatrième donnant sur un jardin qui aboutissait, par une allée de cyprès, à une église remarquable par ses vitraux colorés et son fouillis d’ornements gothiques. Le frère qui conduisait Elena traversa la cour et sonna une cloche; une religieuse ouvrit, et la jeune fille fut remise entre ses mains. La sœur, gardant le silence, la fit passer par de longs corridors, dans lesquels ne résonnait le pas d’aucun être humain et dont les murs étaient couverts de lugubres peintures et d’inscriptions menaçantes, signes évidents de la superstition des habitants de ce triste séjour. Elena perdit l’espoir d’éveiller quelque pitié dans des âmes endurcies par la vue perpétuelle de ces sombres emblèmes. Elle considérait avec effroi cette religieuse qui la conduisait, glissant plutôt qu’elle ne marchait le long du cloître, revêtue de sa robe blanche flottante, éclairant de la bougie qu’elle tenait une figure pâle et maigre, plus semblable à un spectre sortant du tombeau qu’à une créature vivante.