Выбрать главу

Elle posa une main sur son ventre. « Femme, maintenant. » Evitant prudemment le loup, elle s’agenouilla d’un air navré près de la cage fracassée. « Z’allaient me faire des petits. Main’nant qu’y a plus de moutons.

— La Garde vous dédommagera. » S’il avait eu de l’argent, il le lui aurait donné de grand cœur…, si sceptique qu’il fût sur l’utilité pour elle de quelques sous de cuivre ou même d’une pièce d’argent au-delà du Mur. « J’en parlerai à lord Mormont dès demain. »

Elle s’essuya les mains sur sa jupe. « M’lord…

— Je ne suis pas lord. »

Alertés par les appels au secours, d’autres étaient cependant accourus, qui faisaient cercle. « L’ crois pas, p’tite…, couina le patrouilleur Fauvette des Sœurs, en vil roquet qu’il était, c’t à lord Snow en personne qu’ t’as l’honneur.

— Bâtard de Winterfell et frangin de rois, ricana Chett, à qui la curiosité avait fait délaisser sa meute.

— Pas toi qu’y guignerait, c’ loup, des fois ? reprit Fauvette. L’aurait envie, moi, du pantin qu’ t’as dans l’ tiroir… »

Jon protesta, horripilé. « Vous l’effrayez.

— L’avertit, plutôt, susurra Chett avec un sourire aussi appétissant que les furoncles de son minois.

— On n’a pas à vous parler, se souvint brusquement la fille.

— Un instant ! » pria Jon, mais elle déguerpissait déjà.

Fauvette voulut s’emparer du second lapin, mais Fantôme le devança, et la seule vue des crocs dénudés fit déraper l’homme et, à l’hilarité des spectateurs, en affala les fesses osseuses dans la fange, pendant que le loup, prenant le lapin dans sa gueule, l’apportait à Jon.

« Vous avance à quoi, d’avoir affolé la fille ? râla-t-il.

— Rien à foutre de tes leçons, bâtard. » Non sans raison, Chett lui gardait rancune de son intervention en faveur de Sam. Il y avait perdu sa position peinarde auprès de mestre Aemon et, au lieu de choyer un vieillard aveugle, écopé d’une bande de limiers vicieux. « T’as beau être le chouchou du lord Commandant, t’es pas lord Commandant…, et ta putain d’arrogance, t’en rabattrais pas mal si t’avais pas toujours ce monstre à tes basques.

— Tant que nous sommes au-delà du Mur, répondit froidement Jon, alors qu’il bouillait intérieurement, je refuserai toute empoignade avec un frère. »

Fauvette retrouva l’un de ses genoux. « Il a peur de toi, Chett. Aux Sœurs, on a un mot pour ses pareils.

— Je connais ce vocabulaire. Epargne ta bave. » Il tourna les talons, suivi de Fantôme. La pluie n’était plus que bruine quand il atteignit la porte. Et le crépuscule imminent présageait, la joie, une nouvelle nuit de trempette noire. Occultant la lune comme les étoiles et la prétendue « Torche de Mormont », les nuages allaient enfouir les bois dans des ténèbres impénétrables. Ça ferait de pisser toute une aventure, à l’exaltation près des aventures chimériques escomptées jadis… !

Dans les fourrés, certains patrouilleurs avaient dégoté suffisamment de bois mort sec pour allumer un feu sous une saillie de schiste. D’autres, au lieu de dresser la tente, s’étaient fabriqué un abri de fortune en étalant leurs manteaux sur des branches basses. Géant, lui, s’était simplement coulé dans le tronc d’un chêne mort. « T’ plaît, mon château, lord Snow ?

— M’a l’air douillet. Tu sais où est Sam ?

— Toujours tout droit. Si tu tombes sur le pavillon de ser Ottyn, t’es déjà trop loin. » Il sourit. « A moins que Sam se soit aussi trouvé un arbre… Un fameux , dans c’ cas ! »

C’est Fantôme qui, à la longue, repéra Tarly sous un ressaut rocheux qui l’abritait à peine de la pluie et, tel un carreau d’arbalète, fondit sur lui. Sam était en train de nourrir les corbeaux. A chaque pas jutaient ses bottes avec un bruit flasque. « J’ai les arpions trempés de part en part, admit-il d’un ton lamentable. En mettant pied à terre, je me suis flanqué dans une fondrière avec de l’eau jusqu’aux genoux.

— Déchausse-toi et fais sécher tes bas. Je vais te chercher du bois sec. Nous parviendrons bien à le faire prendre, si le sol n’est pas trop mouillé, là-dessous. » Et, exhibant le lapin : « On va faire un festin.

— Tu ne dois pas seconder Mormont, là-bas ?

— Non. Mais toi oui. Il veut que tu lui dresses une carte. Craster prétend qu’il nous localisera Mance Rayder.

— Oh. » Malgré la perspective d’un peu de chaleur, rencontrer Craster ne l’enflammait pas outre mesure, manifestement.

« Les ordres sont que tu manges d’abord. Sèche-toi les pieds. » Sur ce, il partit en quête de combustible, fouillant ici sous les feuilles mortes qui dissimulaient les brindilles les moins humides, déblayant là les aiguilles de pin pour accéder aux couches à peu près susceptibles de s’embraser. Sa provision faite, il s’écoula néanmoins une éternité avant qu’une étincelle n’acceptât d’y mordre, et il lui fallut encore suspendre son manteau devant le rocher pour constituer une espèce d’alcôve et préserver vaille que vaille de la pluie le feu maigrichon qui, confort suprême, les enfumait.

Enfin, comme il s’agenouillait pour dépecer le lapin, Sam entreprit de se débotter. « J’ai l’impression qu’il me pousse des lichens entre les orteils, déclara-t-il sombrement tout en tortillant les orteils susdits. Ton lapin va nous régaler. Ça ne me touche même plus, le sang, les tripes et tout et tout. » Il se détourna. « Enfin…, rien qu’un peu. »

Après avoir flanqué le feu de deux gros cailloux, Jon embrocha la viande et la mit à cuire. Tout chétif qu’il était, le lapin répandit bientôt un fumet tellement royal que les alentours luisaient de regards d’envie. Fantôme lui-même humait le rôt d’un air émoustillé, ses prunelles rouges embrasées par le reflet des flammes. « Tu as eu le tien, lui rappela Jon.

— Est-il aussi féroce qu’on le dit, Craster ? » s’enquit Sam. Bien qu’elle fut un rien trop rose, la chair était succulente. « Il ressemble à quoi, son château ?

— A un tas de fumier qui aurait un âtre et un toit. » Puis il circonstancia ce qu’il avait vu et entendu.

Le temps d’achever le récit, la nuit était tombée, et Sam se pourléchait les doigts. « C’était bien bon, mais un gigot d’agneau me ferait plaisir, maintenant. Tout un gigot, pour moi tout seul, nappé de sauce à la menthe, avec du miel et du girofle… Tu n’aurais pas vu d’agneaux, par hasard ?

— Il y avait bien un enclos à moutons, mais pas de moutons.

— Il nourrit ses hommes avec quoi ?

— Je n’ai pas vu d’hommes. Juste Craster, ses femmes et quelques fillettes. M’étonnerait qu’il puisse tenir la place. Pas de défenses à proprement parler, rien qu’un remblai de boue. Mais tu ferais mieux d’y aller tout de suite dessiner ta carte. Tu sauras trouver ton chemin ?

— Si je ne tombe pas dans une tourbière. » Non sans mal, il renfila ses bottes et, une fois muni de plumes et de parchemin, poussa dans la nuit son chapeau mou et son manteau qu’entreprit aussitôt de marteler la pluie.

Le mufle posé sur les pattes, Fantôme s’offrit un somme près du feu. Savourant la chaleur comme un bienfait, Jon s’étendit à ses côtés. Tout humide et glacé qu’il était, il l’était infiniment moins qu’une heure auparavant. Qui sait si, cette nuit, le Vieil Ours n’apprendra pas quelque chose qui nous conduirait à Oncle Benjen ?

Lorsqu’il rouvrit les yeux, son haleine fumait dans l’air froid du matin. Bouger lui crucifiait les os. Fantôme s’était envolé, et le feu éteint. Il tendit la main pour décrocher son manteau du rocher et le découvrit raidi par le gel. Il s’en enveloppa tant bien que mal et se dressa. La forêt, tout autour, s’était cristallisée.