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Sur chaque feuille et chaque branche et chaque pierre chatoyait la pâle roseur de l’aube. La moindre pointe d’herbe était taillée dans l’émeraude, et la moindre gouttelette dans le diamant. Les champignons comme les fleurs étaient revêtus de verre. Et il n’était jusqu’aux fondrières qui ne fussent d’un brun poli. Dans la verdure scintillante, une fine couche de givre faisait pétiller la noirceur des tentes.

Il y a donc bien quelque chose de magique, après tout, de l’autre côté du Mur. Il se surprit à penser à ses sœurs, peut-être en raison du rêve qu’il avait fait d’elles au cours de la nuit. Devant ce spectacle, Sansa parlerait d’enchantement, ses yeux émerveillés s’humecteraient de larmes, tandis qu’Arya prendrait sa course et, tout cris, tout rires, voudrait tout toucher, tout.

« Lord Snow ? », entendit-il. A peine un souffle. Il se retourna.

Accroupie sur le rocher qui l’avait abrité durant la nuit se tenait la fille aux lapins, drapée dans un manteau noir si vaste qu’il l’engloutissait. Le manteau de Sam, devina-t-il en un éclair. Pourquoi porte-t-elle le manteau de Sam ? « Le gros m’a dit que je vous trouverais ici, m’lord, reprit-elle.

— Si c’est pour le lapin que vous venez, nous l’avons mangé. » Cet aveu lui causa un sentiment de culpabilité bouffon.

« Le vieux lord Corbac, çui à l’oiseau qui parle, il a donné à Craster une arbalète qui vaut cent lapins. » Elle reploya les bras sur l’orbe de son sein. « C’est vrai, m’lord ? Vous êtes le frère d’un roi ?

— Demi-frère, admit-il. Je suis le bâtard de Ned Stark. Mon frère, Robb, est le roi du Nord. Que faites-vous là ?

— C’est ce Sam, le gros, il m’a dit de vous voir. Il m’a donné son manteau, que personne dise que j’étais pas du noir.

— Craster ne vous le reprochera pas ?

— Mon père a trop bu du vin de lord Corbac, la nuit dernière. Il va dormir toute la journée. » De petites bouffées gelées trahissaient sa nervosité. « On dit que le roi fait justice et protège les faibles. » Elle entreprit, non sans gaucherie, de descendre de son perchoir, mais la glace qui avait rendu la roche glissante lui fît perdre l’équilibre, Jon la saisit au vol et la déposa sur ses pieds. Elle s’agenouilla aussitôt devant lui. « Par pitié, m’lord…

— Ne me demandez rien. Rentrez chez vous, votre place n’est pas ici. Il nous est interdit d’adresser la parole aux femmes de Craster.

— Pas la peine de me parler, m’lord. Emmenez-moi juste, quand vous partirez, voilà tout ce que je demande. »

Tout ce qu’elle demande. Comme si ce n’était rien…

« Je serai…, je serai votre femme, si vous voulez. Mon père, il en a déjà dix-neuf, une de moins, ça le privera pas, pas du tout.

— Les frères noirs font vœu de ne jamais se marier, ne savez-vous pas ? Et nous sommes les hôtes de votre père, en plus.

— Pas vous, dit-elle. J’ai bien regardé. Vous n’avez pas mangé à sa table ni couché auprès de son feu. Vous n’avez pas eu droit à son hospitalité, vous n’avez pas de devoir envers lui. C’est pour mon enfant que je dois partir.

— Je ne connais pas même votre nom.

— Vère, il m’a nommée. A cause de la verveine.

— C’est joli. » Un compliment qu’il devait, lui avait un jour enjoint Sansa, dire à toute dame qui lui révélerait son nom. Faute de rien pouvoir pour elle, il espérait du moins charmer ainsi la malheureuse. « C’est Craster qui vous fait peur, Vère ?

— Pas pour moi, pour l’enfant. Si c’est une fille, passe, elle grandira et, au bout de quelques années, il l’épousera, mais Nella m’assure que ce sera un garçon, et, comme elle en a eu six, elle en sait un bout. Il donne les garçons aux dieux. Vienne le froid blanc, et il les leur donne, et le froid blanc vient plus souvent, ces derniers temps. C’est pour ça qu’il a commencé à leur donner les moutons, quoiqu’il soit friand de mouton. Seulement y a plus de moutons, maintenant. Après, ce sera les chiens, puis… » Elle baissa les yeux sur son ventre et le caressa.

« Quels dieux ? demanda Jon, de plus en plus frappé de n’avoir en effet vu chez Craster, hormis Craster lui-même, aucun mâle, homme ou enfant.

— Les dieux froids. Ceux qui rôdent dans la nuit. Les ombres blanches. »

A ces mots, Jon se retrouva dans la tour de Mormont. Une main tranchée lui escaladait le mollet, il s’en débarrassait avec la pointe de son épée mais, à terre, elle persistait à se convulser, à ouvrir et refermer les doigts, et le mort, lui, se remettait sur pied, et dans sa face ravagée flamboyaient des prunelles bleues, et de son ventre déchiqueté par Fantôme se déversaient des choses immondes, et rien de tout ça ne saignait…

« De quelle couleur ont-ils les yeux ? insista-t-il.

— Bleus. Aussi brillants que les étoiles bleues, et aussi glacés. »

Elle les a bel et bien vus. Craster en a menti.

« Vous me prendrez ? Jusqu’au Mur…

— Nous n’allons pas en direction du Mur. Nous marchons vers le nord, sur les traces de Mance Rayder et des Autres, de ces ombres blanches et de leurs créatures. Nous les cherchons, Vère. Votre enfant ne serait pas en sécurité, avec nous. »

La terreur la défigurait. « Mais vous reviendrez… Vous repasserez par ici, quand vous aurez fini de vous battre…

— Possible. » S’il en réchappe aucun d’entre nous. « Du Vieil Ours, de l’homme que vous appelez lord Corbac, et de lui seul dépendra notre itinéraire. Je ne suis que son écuyer. La route que je suis, je ne la choisis pas.

— Ah. » Son timbre l’avouait vaincue. « Pardon du tracas, m’lord. J’avais seulement… On disait que le roi protège les gens, et je pensais… » Elle s’enfuit, désespérée. Dans son dos battait, telles d’immenses ailes noires, le manteau de Sam.

Jon la suivit du regard. Massacrée, la splendeur du matin, massacrée, la joie qu’il y avait puisée. Maudite soit-elle, songea-t-il, aigre de rancœur, et doublement maudit Sam qui me l’a envoyée. Que se figurait-il ? Que je pourrais rien pour elle ? Nous sommes ici pour combattre les sauvageons, pas pour les sauver.

De sous leurs abris sortaient un à un, qui rampant, qui s’étirant, bâillant, ses compagnons. Déjà s’était flétrie la magie de l’aube, et changée en rosée vulgaire au soleil levant la magnificence glacée. On avait quelque part allumé du feu ; du sein des arbres s’exhalait, mêlé à l’odeur de fumée de bois, un arôme fumé de lard. Jon se défît de son manteau et, après en avoir fustigé la roche afin de le débarrasser de la fine couche de givre accumulée durant la nuit, ramassa Grand-Griffe et, enfilant son bras dans le baudrier, se l’arrima à l’épaule. Il soulagea sa vessie quelques pas plus loin contre un buisson gelé. L’urine embuait l’air froid, la glace fondait sous le jet. Une fois relacées les braies noires, il se laissa guider par le parfum du feu.

Parmi les frères qui s’étaient groupés tout autour des flammes se trouvaient Grenn et Dywen. Des mains de Hake, Jon reçut un tranchoir de pain farci de lard calciné et de morceaux de poisson salé réchauffés dans la graisse de porc. Pendant qu’il l’engloutissait, Dywen se vanta de s’être tapé trois femmes de Craster durant la nuit.

« C’est pas vrai, dit Grenn d’un air mauvais. J’ l’aurais vu. »