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— Son dieu ? Pas le vôtre ?

— Le mien aussi. Ce qui est mort ne saurait mourir. » Sourire finaud. « Si je l’étourdis d’autant de patenôtres qu’il l’escompte, Tifs-trempes me fichera la paix. Quant à mon oncle Victarion…

— Lord capitaine de la flotte de Fer et guerrier des plus redoutable. J’ai entendu chanter ses exploits dans les brasseries.

— Durant la rébellion du seigneur mon père, il mena effectivement ses voiles jusque dans Port-Lannis et y incendia la flotte des Lannister, convint Theon, mais d’après le plan d’Oncle Euron – qui l’accompagnait. A la vérité, s’il a tout d’un grand bœuf gris, la force infatigable et la docilité, il n’est pas taillé pour gagner des courses. Je ne doute pas qu’à l’avenir il ne me serve aussi loyalement qu’il sert à présent mon père. Les talents du comploteur et l’ambition du félon lui font défaut.

— Euron le Choucas ne passe pas pour dépourvu d’astuce, en tout cas. Il court sur lui des histoires atterrantes. »

Theon déplaça son séant. « Voilà près de deux ans qu’on ne l’a revu dans les îles. Peut-être est-il mort. » Et tant mieux si s’avérait cette hypothèse. L’aîné des frères de lord Balon n’avait jamais renoncé, fût-ce un seul jour, à l’Antique Voie. Avec ses voiles noires et sa coque rouge foncé, Le Silence s’était, disait-on, fait une exécrable réputation dans chacun des ports entre Ibben et Asshai.

« Peut-être est-il mort, concéda Esgred, et, s’il vit toujours, tout ce temps passé en mer en ferait presque un étranger ici. Jamais les Fer-nés n’assiéraient un étranger sur le trône de Grès.

— Probable… », acquiesça-t-il, avant de s’apercevoir que certains ne manqueraient pas de le qualifier lui-même d’étranger. Cela le rembrunit. C’est beaucoup, dix ans, mais je suis de retour, à présent, Père n’est pas près de mourir, j’ai le temps de faire mes preuves.

Il envisagea de repeloter les nichons d’Esgred mais, outre qu’il s’attirerait sans doute une nouvelle rebuffade, toutes ces parlotes à propos des oncles avaient quelque peu douché son ardeur. Il aurait tout loisir, au château, de s’adonner à ce genre de badinage dans l’intimité de ses appartements. « A notre arrivée, reprit-il, j’aviserai Helya d’avoir à t’honorer d’une place décente au festin. Je serai forcément sur l’estrade, à la droite de mon père, mais je descendrai te rejoindre dès qu’il se sera retiré. Il ne s’attarde guère, d’habitude. Il ne tient plus la boisson.

— Triste chose, pour un grand homme, que de vieillir.

— Lord Balon n’est que le père d’un grand homme.

— Et modeste, le damoiseau.

— Il faut être idiot pour s’humilier soi-même quand le monde pullule de gens qui brûlent de vous suppléer dans cette besogne. » Il lui baisa légèrement la nuque.

« Quelle tenue porterai-je à ce fameux festin ? » D’un revers de main, elle lui repoussa le visage.

« Je demanderai à Helya de quoi t’habiller. L’une des robes de dame ma mère devrait aller. Elle est partie pour Harloi. Sans espoir de retour.

— Exténuée par les vents glacés, j’ai appris. N’irez-vous pas la voir ? Harloi n’est qu’à un jour de voile, et je présume que lady Greyjoy rêve de revoir son fils une dernière fois.

— Que ne le puis-je ! Trop d’occupations me retiennent ici. Père se repose de tout sur moi, depuis mon retour. La paix venue, peut-être…

— C’est à elle que votre visite apporterait la paix.

— Voilà que tu parles comme une bonne femme, geignit-il.

— Je le confesse, j’en suis une…, et enceinte. »

Bizarrement, cette idée l’excita. « Du moins le prétends-tu, bien que ton corps n’en trahisse rien. Quelle preuve m’en donneras-tu ? Avant que de te croire, il me faudra voir tes seins mûrir et goûter de ton lait.

— Et qu’en dira mon mari ? le serviteur et l’homme lige personnel de votre père ?

— Nous lui ferons construire tant de bateaux qu’il ne s’apercevra pas que tu l’as quitté. »

Elle éclata de rire. « Me voici captive d’un bien féroce damoiseau ! Si je vous promets, dites, de vous laisser un jour regarder mon enfant téter, me parlerez-vous plus avant de votre guerre, Theon, de la maison Greyjoy ? Nous avons encore à parcourir des milles de montagnes, et je serais charmée de vous entendre sur ce roi-loup que vous serviez et les lions d’or qu’il combat. »

Par désir de lui plaire, il redoubla d’obligeance, et l’interminable trajet s’écoula promptement, grâce aux mille détails sur la guerre et sur Winterfell dont il régala sa jolie compagne, quitte à s’étonner lui-même de se livrer parfois autant. Bénie soit-elle de rendre si faciles les confidences ! se disait-il. Il me semble la connaître depuis des années. Il me faudra la garder coûte que coûte, si elle révèle au déduit moitié autant d’habileté qu’elle montre d’esprit… En se rappelant Sigrinn le caréneur et son corps épais, sa cervelle épaisse et les cheveux filasse qui désertaient déjà son front boutonneux, il secouait la tête. Un gâchis. Un gâchis du dernier tragique.

Le temps avait quasiment suspendu son vol quand ils aperçurent les sinistres murailles de Pyk.

Les portes étaient ouvertes. Theon éperonna Blagueur qui les franchit d’un trot fringant, dans un concert d’aboiements furieux. Comme il aidait la jeune femme à mettre pied à terre, plusieurs limiers accoururent en bondissant, queue battante, et, le dépassant en trombe, déboulèrent carrément sur elle et l’assaillirent de jappements, de coups de langue et de sauts fébriles. « Bas les pattes ! » vociféra-t-il en bottant sans l’atteindre une grande lice brune, cependant que pour sa part Esgred ne repoussait ses agresseurs que par des fous rires.

Un palefrenier se présentant pour enfermer la meute, « Prends le cheval, ordonna Theon, et débarrasse-moi de ces maudits chiens, je… ».

Le rustre ne lui accorda que dédain. Mais à Esgred, il dit, sa face s’évasant en un sourire aussi brèche-dents que démesuré : « Lady Asha ! Vous êtes de retour…

— Depuis hier soir. J’ai ramené de Grand-Wyk lord Bonfrère, passé la nuit à l’auberge de Lordsport, et mon petit frère a eu la gentillesse de me laisser partager sa monture jusqu’ici. » Elle embrassa l’un des chiens sur la truffe et régala Theon d’un large sourire.

N’en pouvant mais, ce dernier la considérait, pantois. Asha. Non non. Ce ne peut être Asha. Et il s’aperçut brusquement qu’il avait deux Asha en tête. L’une était la fillette jadis familière, l’autre un vague produit de son imagination, plus ou moins décalqué de Mère. Mais aucune des deux ne ressemblait le moins du monde à cette… cette… cette…

« Les furoncles ont filé quand sont venues les miches, expliqua-t-elle tout en repoussant les assauts d’un chien, mais le bec de vautour m’est resté. »

Theon recouvra la voix. « Pourquoi ne m’avoir rien dit ? »

Elle se libéra du chien, se redressa. « Je voulais d’abord voir qui tu étais. C’est fait. » Elle lui dédia une demi-révérence narquoise. « A présent, petit frère, daigne m’excuser. Avant de m’habiller pour le banquet, je dois prendre un bain. Et une chose me tarabuste : l’ai-je gardée, cette robe de mailles que je me plais à porter sur des caleçons de cuir bouilli ? » Elle lui grimaça son sourire le plus canaille et, de la démarche qui l’avait tant séduit, mi-chaloupée, mi-langoureuse, traversa le pont.