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— Et le salut de son frère bien-aimé l’y fera consentir, en dépit de ses répugnances. » Ils longeaient une colonnade abandonnée. « Il n’empêche, la perte de ses manteaux rouges va sûrement l’affoler.

— L’affoler m’agrée », proféra Tyrion.

Escorté par Vylar et une centaine de gardes rouges Lannister auxquels se joignirent, à la porte du Roi, les hommes de Robb Stark, ser Cleos partit l’après-midi même pour sa longue chevauchée vers l’ouest.

Lorsque Tyrion pénétra dans leurs baraquements, Timett jouait aux dés avec ses Faces Brûlées. « Viens à minuit dans ma loggia. » Dur regard borgne, hochement sec, Timett n’était pas un grand discoureur.

Le soir, Tyrion festoya dans la Petite Galerie en compagnie des Freux et des Sélénites, mais sans boire de vin, pour une fois. Il tenait à conserver toute sa présence d’esprit. « Quelle est la lune, Shagga ? »

Terrifiant, Shagga, lorsqu’il fronçait les sourcils. « Noire, il me semble.

— Dans l’ouest, on l’appelle “lune-à-judas”. Essaie de ne pas trop te saouler, ce soir, et contrôle-moi l’affût de ta hache.

— Les haches freux sont toujours affûtées, et plus affûtées que toutes celle de Shagga. Un jour, j’ai coupé la tête à un type, et il ne s’en est aperçu que lorsqu’il a voulu se la brosser. Parce qu’alors elle est tombée.

— C’est pour cela que tu ne te la brosses jamais ? » Les Freux se mirent à rugir de rire et à trépigner, Shagga beuglant plus que quiconque.

Vers la mi-nuit, le château reposait, sombre et silencieux. Assurément, quelques-uns des manteaux d’or postés sur les remparts les virent quitter la tour de la Main, mais nul « Qui-vive ? » ne s’éleva. Es qualité de Main du Roi, la destination de Tyrion ne regardait que lui.

Non sans un crac retentissant, le mince vantail de bois vola en éclats sous le talon botté de Shagga. Parmi la chute des bouts de planches à l’intérieur, Tyrion perçut un cri de femme apeurée. En trois coups de hache, Shagga acheva de démolir la porte et en enjamba les vestiges. Timett le suivit puis, attentif à ne point fouler les débris, Tyrion. Du feu ne subsistaient que de vagues braises, et la chambre était plongée dans d’épaisses ténèbres. Timett arracha les lourdes courtines. Nue dans le lit, la petite servante écarquillait de grands yeux blancs. « Pitié, messires, supplia-t-elle, ne me faites pas de mal. » Aussi confuse qu’effrayée, elle se blottit hors de portée de Shagga, tenta de couvrir ses charmes avec ses mains, mais toujours lui en manquait une.

« Va-t’en, dit Tyrion. Ce n’est pas toi que nous voulons.

— Shagga veut cette femme.

— Shagga veut chaque pute, dans cette cité de putes, gémit Timett, fils de Timett.

— Oui, confirma Shagga sans se démonter. Shagga lui ferait un enfant robuste.

— Si elle désire un enfant robuste, elle saura à qui s’adresser, dit Tyrion. Fais-la sortir, Timett…, en douceur, s’il te plaît. »

Le Face Brûlée arracha la fille du lit et lui fit traverser la pièce, à demi debout, à demi traînée, sous l’œil de Shagga, navré comme un chiot. En titubant, elle franchit le seuil jonché d’échardes et, sous la poussée ferme de Timett, passa dans le vestibule. A l’étage au-dessus piaillaient les corbeaux.

D’une secousse, Tyrion fit venir à lui la courtepointe douillette qui dissimulait le Grand Mestre Pycelle. « Dites-moi, mestre, la Citadelle approuve-t-elle vos coucheries ancillaires ? »

Bien qu’il se trouvât dans le même appareil que sa servante, le vieillard offrait une vision nettement moins attrayante. Largement ouverts, pour une fois, ses yeux ne se camouflaient pas sous leurs paupières appesanties. « Q-que signifie ceci ? Je suis un vieil homme, votre serviteur loyal… »

Tyrion se hissa sur le lit. « Tellement loyal que vous n’avez expédié à Doran Martell qu’une seule de mes lettres. La seconde, vous l’avez remise à ma sœur.

— N-non ! piaula Pycelle, non, c’est faux, je le jure, ce n’est pas moi ! Varys, c’est Varys, l’Araignée, je vous ai prévenu…

— Les mestres mentent-ils tous aussi piteusement ? A Varys, j’ai dit que je donnerais pour pupille au prince Doran mon neveu Tommen ; à Littlefinger que je comptais marier Myrcella à lord Robert des Eyrié ; à personne que j’avais offert ma nièce pour Trystan de Dorne… – vérité que recelait seule ma lettre, et c’est à vous que j’ai confié celle-ci. »

Pycelle essaya d’attraper un coin de la courtepointe. « Les oiseaux se perdent, les messages se volent ou se vendent…, c’est un coup de Varys ! Je pourrais vous dire sur cet eunuque des choses qui vous glaceraient le sang…

— Ma dame préfère que je l’aie bouillant.

— Ne vous y trompez pas, pour chaque secret qu’il vous murmure dans l’oreille, l’eunuque s’en réserve sept. Quant au Littlefinger, celui-là…

— Je sais tout de lord Petyr. Il est presque aussi scrupuleux que vous. Shagga, coupe-lui l’engin, pour nourrir les chèvres. »

Shagga brandit son énorme francisque. « Y a pas de chèvres, Bout-d’Homme.

— Fais. »

Avec un rugissement, Shagga bondit en avant, tandis que Pycelle, tout en s’égosillant, rampait à reculons dans l’espoir de se dérober, non sans compisser copieusement le lit comme ses abords, mais le sauvageon l’attrapa par sa houleuse barbe blanche et, d’un seul coup, la lui raccourcit des trois quarts.

« A ton avis, Timett, notre ami se montrera-t-il plus abordable, à présent qu’il n’a plus ces favoris pour s’y camoufler ? » Tyrion se servit d’un bout du drap pour éponger ses bottes éclaboussées d’urine.

« Il dira bientôt la vérité. » Les ténèbres se concentraient dans l’orbite évidée de Shagga qui renifla : « Pue la trouille. »

Jetant à la jonchée la poignée de poils, il empoigna ce qui restait de barbe au vieillard. « Tenez-vous tranquille, mestre, enjoignit Tyrion. Ses mains tremblent, s’il se met en rogne.

— Les mains de Shagga ne tremblent jamais ! s’indigna le géant qui, pressant l’énorme lame en croissant sous le menton tremblotant de Pycelle, entreprit de scier un nouveau pan de barbe.

— Depuis combien de temps pratiquez-vous l’espionnage au profit de ma sœur ? », interrogea Tyrion.

Le souffle de Pycelle n’était plus qu’un halètement précipité. « Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour la maison Lannister. » Une pellicule de sueur tapissait la peau ridée de son vaste crâne où s’engluaient de vagues flocons blancs. « Toujours…, des années…, le seigneur votre père, demandez-lui, j’ai toujours été son serviteur fidèle…, c’est moi qui poussai Aerys à ouvrir ses portes… »

Celle-là , Tyrion ne s’y attendait pas. Lors de la prise de la ville, il n’était lui-même, à Castral Roc, qu’un gamin bien laid. « Ainsi, le sac de Port-Réal fut aussi votre œuvre ?

— Pour le bien du royaume ! Rhaegar mort, la guerre était terminée. Aerys était fou, Viserys trop jeune, le prince Aegon un nourrisson, et le royaume avait besoin d’un roi… Je demandais dans mes prières que celui-ci soit votre excellent père, mais Robert était trop puissant, et lord Stark intervint trop vite…

— Combien de gens avez-vous donc trahis, dites ? Aerys, Eddard Stark, moi… – le roi Robert également ? et lord Arryn ? et le prince Rhaegar ? Où cela débute-t-il, Pycelle ? » Il savait où cela s’achevait.

Après lui avoir raclé la pomme, la hache effleura les tendres fanons ballottant, crissa sur les derniers poils du menton. « ous… n’étiez pas ici, hoqueta Pycelle lorsque la lame remonta vers ses joues. Robert… – ses blessures…, si vous les aviez vues, les aviez senties, vous n’auriez pas de doute…